Si les Maghrébins de la première génération n’ont vraiment pas connu une ascension sociale et économique, ce n’est pas le cas pour leurs enfants. C’est ce que Arnaud Lacheret démontre à travers 50 témoignages que son livre « Les intégrés – Réussites de la deuxième génération de l’immigration nord-africaine » a recueillis. De quoi confirmer les données de l’enquête « Trajectoires et origines » de l’Ined. En 2010, les enfants de parents d’origine marocaine étaient à 31 % titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur, soit juste trois points de moins que la population majoritaire française (l’Ined définit cette population comme les Français métropolitains non immigrés et non enfants d’immigrés ou de ressortissants d’outre-mer), fait savoir L’Express.
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Quant à ceux originaires de l’Algérie, le taux était de 20 %. « Le saut générationnel est spectaculaire avec un quasi-rattrapage en une seule génération pour les descendants d’immigrés marocains et tunisiens », souligne le sociologue. Notamment la comparaison, en termes de catégories socio-professionnelles, de l’évolution des enfants des Maghrébins et celle des Italiens ou d’Espagnols. Celle des descendants de l’immigration algérienne, moins diplômée au départ, est similaire à celle des descendants de Portugais. « Sur une génération, la progression est la même entre populations européennes ou extra-européennes », ajoute l’universitaire, montrant par ailleurs que les enfants d’immigrés maghrébins privilégient des études de commerce qui leur permettent de gagner de l’argent rapidement et d’obtenir un poste à responsabilité.
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« C’est très cruel pour les politiques de discrimination positive pratiquées en France. On favorise l’accès à Science Po, mais le but de ces jeunes n’est pas d’être fonctionnaire. Ils veulent réussir dans le privé », confie l’ancien chef de cabinet du maire LR de Rilieux-la-Pape (Rhône) de 2014 à 2017. Ces jeunes se tournent également vers les études scientifiques ou techniques, bien plus mises en valeur dans la culture nord-africaine, ce qui leur permet d’échapper partiellement aux discriminations et au favoritisme. Pour preuve, les élèves marocains sont par exemple très nombreux à Polytechnique. Les Intégrés évoque également les différences entre femmes et hommes issus de l’immigration maghrébine. « Souvent, les primo-arrivants reproduisent un schéma rural nord-africain. Les garçons passent en premier, alors que les filles doivent négocier le moindre espace de liberté. Elles se battent sans cesse », observe le sociologue.
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Il poursuit : « Mais quand elles rencontrent des difficultés à l’école ou qu’elles affrontent des refus pour leurs stages ou leur premier emploi, ces femmes ont plus l’habitude des obstacles et des frustrations, contrairement aux hommes à qui on a dit oui à tout ». Par conséquent, les hommes se disent plus marqués par les discriminations que les femmes. « De surcroît, les garçons issus de l’immigration maghrébine sont victimes de plus de préjugés. Les hommes arabes sont perçus par la société française comme des conquérants, là où les femmes sont davantage vues comme des faibles victimes qu’il faut aider à émanciper. » L’auteur du livre réfute par ailleurs la tendance des politiques à lier tous les problèmes de l’intégration à l’islam. « Il est faux de lier tous les problèmes de l’intégration à l’islam. Les primo-arrivants venus du Maghreb sont plutôt conservateurs. Mais c’est une culture patriarcale et rurale que l’on retrouve autour de la Méditerranée », estime Arnaud Lacheret, dénonçant les courants qui « ciblent la deuxième génération, et de préférence ceux qui n’arrivent pas à évoluer au-dessus de la condition sociale de leurs parents ».