Dans les coulisses des centres d’appels au Maroc

29 décembre 2009 - 11h42 - Maroc - Ecrit par : • Journaliste Free lance, • Doctorant en Sciences Economiques, • Président du Forum de la Jeunesse Rurale FOJER

Il y a dix ans, il n’y avait aucun centre d’appels, pas un téléopérateur, pas un plateau de travail. Aujourd’hui, le Maroc est le nouvel Eldorado de la relation client, avec des centaines d’entreprises travaillant principalement pour des sociétés étrangères (télécoms, vente par correspondance...) dont 95% sont installés entre Casablanca et Rabat.

Ce secteur en pleine expansion, attire de plus en plus de jeunes diplômés en début de carrière, y compris ceux des écoles d’ingénieurs publiques ou privées. C’est que l’activité des call centers, qui a commencé par la téléphonie, se diversifie de plus en plus en s’ouvrant sur la vente, l’assistance informatique et bureautique, le marketing, etc. On les retrouve ainsi dans des domaines relativement traditionnels comme la vente par correspondance mais aussi dans des secteurs moins conventionnels tels que la banque, la finance, le tourisme, les télécommunications, l’informatique ou encore l’automobile, qui mettent à la disposition du
client des numéros verts ou des services d’accueil.

Le secteur des centres d’appels au Maroc enregistre, ces dernières années, une moyenne de croissance de 20%, avec un chiffre d’affaire estimé à deux milliards de DH, ce qui a permis d’embaucher quelque 25.000 personnes. En partenariat avec l’Anapec, les centres d’appels ont lancé des programmes de formations au profit des employés pour pouvoir, à terme, pallier la carence dont souffre le secteur, il est prévu de former entre 4600 et 6000 personnes à l’horizon de 2010.

Comment est – il organisé le travail dans les centres d’appel ? Qui sont leurs salariés ? Quel est le degré de satisfaction de ces employés ? Quel est le degré de stress dans leur travail ? Comment voient –t- ils leur avenir professionnel ?

Un centre d’appel est un ensemble de moyens humains, immobiliers, mobiliers et techniques, qui permettent de prendre en charge la relation à distance entre une marque et son marché. Il est le plus souvent concrétisé par un ou plusieurs espace(s) de bureaux où sont distribués des appels téléphoniques, mais aussi des courriers.

Ces appels peuvent être qualifiés d’entrants, lorsqu’ils sont reçus par les conseillers clientèle du centre, (associé à un service, à une aide téléphonique, ou à une hotline) ou à l’inverse de sortants lorsqu’ils sont émis par eux (davantage tournés vers la vente).
Considérés il y a encore quelques années comme des jobs réservés aux étudiants ou des salaires d’appoint pour les salariés à temps partiel, ces métiers connaissent une professionnalisation et une diversification grandissante ainsi qu’en témoignent la multiplication des numéros verts.

Quels sont les salariés des centres d’appel

La plupart des jeunes qui travaillent dans les centres d’appel sont des femmes âgées entre 18 et 40 ans et sont dans la majorité des cas sans responsabilité familiale. Plutôt de famille modeste, elles ont au minimum un niveau baccalauréat plus deux.

Ces jeunes diplômés et qualifiés maitrisant plusieurs langues sont considérés comme les mieux préparés à exercer le métier de téléconseiller ou d’opérateur et les moins coûteux pour l’entreprise en matière de formation.

La rémunération est le plus souvent représentée par un salaire fixe, assorti de primes selon les rendements. Leur salaire mensuel fixe se situe en général entre 3000 et 4000 dirhams pour plus de 9 heures de travail par jour. Ce salaire devient attrayant pour les jeunes diplômés touché par le chômage surtout quand il est le triple du SMIC marocain.

Le recrutement des candidats se fait soit par des offres d’emploi paraissant dans certains journaux francophones, soit par filière relationnelle et la sélection se fait par deux étapes principales.

La première sélection des candidats s’effectue bien évidemment par téléphone ! Les candidats sont jugés sur leur élocution mais aussi sur leur chaleur et leur capacité à rendre agréable le contact avec le client, sans oublier que le sourire est très important au téléphone.

Les candidats admis sont convoqués par téléphone pour se présenter à un entretien individuel avec le responsable des ressources humaines. L’admission définitive sera prononcée par ce dernier en fonction des résultats du candidat lors de cet entretien, les candidats dont les dossiers sont retenus signent une convention de formation dite de « mise à niveau », cette formation accélérée d’une durée de 3 à 4 semaine permet aux candidats d’apprendre à utiliser les logiciels et les applications utilisés dans les centres d’appels ainsi que les principes fondamentaux du télémarketing etc.

Organisation du travail dans les centres d’appels

L’organisation du travail dans les centres d’appels est particulière, qu’il s’agisse de séparation des tâches ou du suivi de l’activité, les procédures de travail (scripts, phrases type, durée des appels…) sont souvent définies dans l’entreprise par un service dédié à cette tâche (bureau des méthodes, service qualité…).

Le contrôle de la bonne application de ces procédures est assuré par l’encadrement de proximité (superviseur). Les téléopérateurs sont placés sous la responsabilité d’un superviseur, également appelé animateur, responsable de groupe, ou manager d’équipe. Ce dernier encadre généralement une dizaine de téléopérateurs, jouant à la fois le rôle de formateur à l’écoute de son équipe et de surveillant poussant à la productivité, il est lui aussi soumis à des impératifs de productivité et de qualité.

Comme les salariés d’usine du début du siècle dernier, les téléopérateurs effectuent un travail suivant un schéma préétabli et doivent faire face à une grande répétitivité des tâches. Ces principes sont proches du système élaboré par Taylor au début du XXe siècle : certains les considèrent comme une "industrialisation" d’activités tertiaires.

Un métier de souffrance sous fortes contraintes

Dans nombre de centres d’appels, les téléopérateurs sont soumis à des normes de rendement (nombre d’appels par jour, durée moyenne des échanges, obligation de résultat, objectifs de vente…). Ces objectifs peuvent être établis au niveau individuel et/ou collectif. Ainsi, la majorité des salariés du secteur estiment être soumis à de fortes contraintes temporelles. Une mesure en temps réel des performances par des systèmes informatiques et une surveillance constante par la hiérarchie renforcent cette sensation de contraintes.

De plus, les téléopérateurs sont amenés à respecter des procédures pour la conduite des entretiens téléphoniques (scripts, supports visuels…). Elles fixent le déroulement requis du dialogue et spécifient les éléments incontournables de l’entretien avec le client. Celles-ci constituent des supports utiles pour le téléopérateur (surtout pour les débutants), mais elles ne lui laissent que peu d’autonomie dans la gestion de l’appel, et de façon générale, dans son activité.

Ces contraintes réduisent les occasions d’échanges avec les autres téléopérateurs : pauses décalées, difficultés des échanges informels et plus généralement des rencontres collectives. Or, toutes les études montrent que le soutien par le collectif facilite la gestion des situations stressantes. Le travail de téléopérateur impose d’afficher des émotions (« sourire au téléphone », calme, cordialité forcée, empathie…) qui ne sont pas nécessairement ressenties. Sur le long terme, la dissimulation de ses émotions réelles (agacement, fatigue, colère…) crée des tensions qui peuvent conduire à des troubles psychologiques.

Le syndicalisme dans les centres d’appel

Outre des conditions de travail particulièrement stressantes, les salariés des centres d’appel dont la majorité ne sont pas déclarés à la CNSS et travaillant sous un contrat-ANAPEC, subissent un manque de reconnaissance de leurs qualifications et de leurs compétences. Ce secteur en pleine expansion, qui emploie plus de 25000 jeunes, n’intéresse pas les syndicats marocains, aucune organisation syndicale n’a pu mobiliser les salariés sur la reconnaissance de leur statut et de leurs droits. Par ailleurs, les conditions dans lesquelles ils travaillent (absence de médecin du travail ainsi qu’une couverture sociale etc.) nécessitent désormais une action globale des organisations syndicales dans notre pays afin de mettre en place des normes minimales pour le secteur.

Comment les salariés voient t-ils leur avenir professionnel

Quelle satisfaction pour ces diplômés en sciences économiques, en droit, ces ingénieurs, ces techniciens qui passent leurs journées suspendus au combiné de leur téléphone à débiter des choses dont ils ne sont même pas convaincus ! Sans compter les risques sur la santé tels que le mal de dos, aux oreilles, la migraine et un stress permanent.

Quand ces jeunes postulent pour un poste de téléopérateur c’est souvent avec l’illusion de faire du provisoire, mais, très vite, ils découvrent le pot au rose et voilà que c’est le provisoire qui dure. Il faut dire aussi que quand ils intègrent ce genre d’entreprises ils se trouvent rapidement obligés de mettre leur vie entre parenthèses. « C’est tout à fait normal quand on travaille plus de 9h par jour, qu’on travaille les weekends, les jours de l’Eïd, sans oublier bien sûr les conditions de travail. Et du coup on n’a ni le temps ni le moral de chercher un autre travail plus valorisant et qui correspond à nos compétences. Nous savons tous qu’on a aucun avenir professionnel dans ce genre de métier » a déclaré un jeune salarié d’un centre d’appel à Rabat.

Sous prétexte d’absorber un incroyable taux de chômage et de bien payer son personnel, les centres d’appels généralement étrangers qui payent les employés par des salaires cinq fois inférieurs à ceux accordés en Europe, profitent du savoir faire des jeunes cadres marocain. Par contre ils ont donné l’occasion à des gens qui n’ont pas un niveau scolaire très élevé de percevoir des salaires auxquels ils ne pouvaient même pas rêver s’ils travaillaient dans d’autres structures. Peut-être que ces structures résolvent certains problèmes de nos jeunes surtout matériels, mais ça ne peut être que pour du court et moyen terme d’autant plus qu’ils ne font que favoriser la précarité de l’emploi.

Témoignages

Témoignage de Wail, 20 ans, conseiller clientèle dans un centre d’appels depuis deux ans ;

« Dés que j’ai décroché mon bac il y a deux ans j’ai commencé à travailler dans les centres d’appels, j’ai eu de la chance d’être facilement recruté car je maîtrise très bien le français. Après une durée de 2 mois, je suis devenu assez rapide dans le traitement des appels. En général, je n’ai qu’une petite pause de 20 minutes pendant 8 heures afin d’augmenter mon rendement mensuel et gagner plus d’argent.

Notre travail est difficile, pénible et très stressant, surtout qu’il s’agit d’assurer plusieurs tâches répétitives chaque jour. Des appels continus, NON STOP. Ce qui est fatiguant. C’est de rabâcher sans cesse la même chose, jusqu’à ce que les clients disent « oui ». Et au prochain appel, le client redemandera la même chose. C’est usant. Il nous arrive même de deviner ce que le client va dire avant qu’il parle.

En début de journée, quand on voit qu’on vient de réaliser 30 appels et qu’il nous en reste encore 280, c’est très pénible ! Le soir je rentre chez moi, très lassé. Mon corps entier me fait mal surtout ma tête. Je me mets devant la télé, je n’ai envie de rien. Je n’arrive pas à manger ni à lire, à discuter, un être passif à cause d’un métier pareil. »

Témoignage de Sara, 19 ans, conseiller clientèle dans un centre d’appels depuis un an

J’ai commencé à travailler dans un centre d’appel il y a un an et des poussières, plus exactement quand j’avais 17 ans. Au début , j’étais très excitée de me lancer dans la vie professionnelle avec mes études de Droit privé , ce métier m’a permis de développer mon sens de communication et surtout plusieurs techniques de persuasion pour mettre en valeur mon service, par contre j’ai connu une grande déception lorsque j’ai constaté que ce que j’étudiais en Droit de Travail n’était malheureusement que théorique surtout quand une personne ayant un contrat CDI n’est pas affiliée à la CNSS et peut être licenciée du jour au lendemain sans parler des jours fériés auxquels on a plus droit ; que ça soit marocains ou étrangers.

Dans ce métier, on accorde aucune importance aux salariés et ces derniers ne jouissent d’aucun droit .Tout le monde ici parle chiffre, bref une vraie exploitation de l’être humain. Ainsi, le fait de passer des heures scotchée devant l’ordinateur pendant plus de 9 heures m’a causé quelques soucis qui se répercutent mal sur ma santé.

Témoignage de Dina, 23 ans, superviseuse dans un centre d’appels depuis un an

Ma principale mission dans le centre d’appels où je travaille consiste à superviser une équipe de 20 personnes ainsi que de former les nouvelles recrues.

C’est le premier métier que j’ai réussi à décrocher après l’obtention de ma licence en économie. Quoique ce métier est stressant, il m’a permis d’apprendre à gérer une équipe et de maîtriser le projet sur lequel nous travaillons afin d’assurer une bonne formation aux futurs téléopérateurs. Mais, le fait de superviser une équipe dans un centre d’appels ne représente strictement pas un métier d’avenir pour moi vu que qu’elle que soit la formation acquise dans ce domaine, cette dernière ne me permettra jamais d’évoluer ou d’être embaucher dans d’autres secteurs.

Dans un centre d’appels, une fois le projet maîtrisé, la même musique se répète ; ce métier peut engendrer une stagnation intellectuelle et n’a aucun avenir professionnel.

Rachid Beddaoui

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Sujets associés : Centres d’appel - Emploi - Jeunesse

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