Dans le cadre du renforcement de la lutte contre la cybercriminalité, les opérateurs télécoms sont tenus d’identifier tous leurs abonnés, a récemment annoncé Ghita Mezzour, ministre déléguée chargée de la Transition numérique et de la réforme de...
Franck P., domicilié près de Tours, veut se faire rembourser le taxi qui l’a conduit à l’hôpital. Il appelle sa mutuelle, Ipeca, en composant le numéro de son service clients. Au bout du fil, Arnaud Latour, 25 ans. Le téléconseiller explique le processus complexe que l’assuré social devra suivre. Une conversation classique, en somme. Comment Franck P. pourrait-il imaginer qu’il est en ligne avec Rabat, et que son conseiller est un Marocain qui s’appelle Amine Ismaili ? Comment peut-il s’apercevoir qu’à 100 mètres du centre d’appels ultramoderne où travaille son interlocuteur les effluves d’épices orientales et le brouhaha des vendeurs de tapis s’échappent des murs d’enceinte de la médina ? Impossible, et c’est justement pour cette raison que les services offshore peuvent fonctionner.
Pourtant, utiliser Amine le Marocain comme s’il s’appelait Pierre de Paris n’est pas un pari facile, même si, depuis une dizaine d’années, l’exercice est devenu monnaie courante. Dès la fin des années 90, en effet, les Américains Dell, FedEx ou General Electric délocalisent en masse leurs call centers vers les pays en voie de développement. D’autres suivent. Le britannique British Telecom fait travailler ainsi 2 200 téléconseillers dans la ville indienne de Bengalore ! En France, la formule est encore peu pratiquée. Selon le cabinet d’études Cesmo, seuls 2 % des postes de téléconseillers français sont implantés en offshore, dans des pays francophones : Maroc, Tunisie, Sénégal, île Maurice... Beaucoup d’opérateurs français sont en effet subventionnés par des collectivités locales qui voient dans cette industrie demandeuse de main-d’oeuvre un remède antichômage. L’équation économique de l’offshore devrait pourtant s’imposer à terme. C’est en tout cas la conviction de Webhelp, « outsourcer » qui réalise 6 millions d’euros de chiffre d’affaires en fournissant des plates-formes d’appels à de grandes entreprises. La société compte aujourd’hui 250 téléconseillers à Rabat. Et compte bien continuer à se développer. Avantages du royaume chérifien ? Son excellent rapport qualité-prix. Le taux de chômage de 25 % permet de plus de recruter des diplômés de l’enseignement supérieur avides de travailler. Sur quelque 200 CV qui arrivent chaque semaine chez Webhelp à Rabat, près de 50 % sont des candidatures spontanées ! Contrairement à ce qui se passe en France, le métier de télé-opérateur n’est pas considéré à Rabat comme un travail de soutier...
Le Maroc présente d’autres avantages pour les employeurs. Le niveau des salaires, d’abord. Le Smic avoisine 180 euros par mois, pour 44 heures hebdomadaires légales. Même si Webhelp paie ses salariés 280 euros minimum par mois, on est loin des 1 215 euros du Smic français ! Ajoutez à cela des syndicats qui pointent aux abonnés absents. Complétez par un droit du travail peu contraignant qui autorise le travail de nuit et le week-end sans surcoût salarial excessif, et vous obtenez au bilan une diminution des coûts globaux de l’ordre de 35 %, avec en prime la sacro-sainte flexibilité qui fait tant défaut en France. Rien d’étonnant si un quartier de Casablanca, où sont implantés quatre opérateurs français, a été rebaptisé, en « hommage » à l’instigatrice des 35 heures, le quartier Martine Aubry !
Mais garantir un tarif imbattable à ses entreprises clientes est une chose, leur assurer la qualité du service en est une autre. Or la relation client est une pièce maîtresse pour les entreprises. Pas question de placer derrière le téléphone un quidam qui répondra à côté ou demandera à son interlocuteur français d’épeler le nom « Victor Hugo »... « La relation client, ce n’est pas le textile, où il suffit d’envoyer à l’étranger le plan de coupe sans se soucier des hommes qui assureront la fabrication », prévient Frédéric Jousset, 33 ans, cofondateur avec Olivier Duha, 34 ans, de Webhelp.
Pour ne pas l’avoir compris, la société Taxis bleus a connu un échec cuisant. En octobre 2002, la société signe un partenariat avec un call center de Rabat pour soulager son central de réservations parisien. Mais, après quinze jours, les chauffeurs de Taxis bleus menacent de faire grève. Le service est mauvais : formés à la va-vite, les télé-conseillers marocains n’ont aucune connaissance des us et coutumes français. Cinq mois plus tard, Taxis bleus arrête les frais. Et rapatrie la gestion de ses appels en France...
Management local
Pour éviter ce genre de déconvenue, Webhelp mise avant tout sur les ressources humaines. En s’associant dès le départ avec des investisseurs marocains, les Belhasen, elle s’est assuré un management local. L’entreprise organise des pauses supplémentaires pendant le ramadan. Pour améliorer l’encadrement, l’outsourcer a renforcé la hiérarchie habituelle des plateaux téléphoniques en recrutant une dizaine d’experts techniques spécialistes de l’industrie du client, aptes à venir au secours des téléopérateurs en cas de problèmes.
De même, la procédure de recrutement a été très étudiée. En embauchant à niveau bac plus 3 et 4, Webhelp cherche des jeunes dotés d’une bonne culture générale, qui, surtout, maîtrisent la langue de Molière sans accent : à la demande des entreprises donneurs d’ordres, il faut en effet ménager l’illusion que le centre d’appels est en France ! « Nous éliminons 60 % des candidatures sur une simple conversation téléphonique, notamment parce que l’accent est trop prononcé », confie Olivier Duha.
Une fois embauchés, les futurs opérateurs sont formés durant une à trois semaines. Au menu : l’utilisation de l’Internet (les téléopérateurs consulteront la météo française pour pouvoir parler de la pluie et du beau temps avec leurs interlocuteurs), les rudiments de culture française pour discuter avec un Français et les techniques qui font mouche au téléphone. Par exemple, savoir dire oui à bon escient ! « Les Marocains ont tendance à dire oui pour tout, mais pas toujours à écouter le client ! » explique Olivier Duha. La dizaine de superviseurs qui encadrent les téléconseillers viennent quant à eux deux fois par an à Paris pour suivre une formation plus pointue. Mais cet effort a un prix : Webhelp consacre environ 3,5 % de sa masse salariale à la formation, contre une moyenne de 1,5 % pour le secteur.
La carte sociale
Afin de limiter le turnover, Webhelp joue aussi la carte sociale. Elle propose en majorité des CDI à temps plein, qui représentent aujourd’hui 70 % des contrats, et propose à tous une mutuelle (rare au Maroc). Les salles de travail sont confortables et l’entreprise assure un système de navettes pour les trajets entre le travail et le domicile ! Il est vrai que les heures ouvrées étant calquées sur celles de la France, le décalage horaire oblige les téléopérateurs à démarrer leur journée à 6 heures du matin. Or, à Rabat, point de transports publics dès potron-minet...
Enfin, pour récompenser la qualité du travail et l’assiduité, l’entreprise offre une prime mensuelle qui peut aller jusqu’à 15 %. Efficace, ce cocktail ? Oui, semble-t-il, si l’on en croit la direction de Webhelp, qui assure que le turnover ne dépasse pas 10 % à Rabat. Le taux serait de 30 % chez ses homologues parisiens.
Alors, l’« outsourcing » au Maroc, le nirvana des call centers, employeurs comme salariés ? Recruté il y a six mois chez Webhelp, Mohammed se veut nuancé : « Avec mon salaire moyen de 300 euros par mois, j’arrive à bien vivre, sans plus, dit-il. Même au Maroc, passer sa journée au téléphone alors qu’on a un diplôme du supérieur, ce n’est pas un choix de carrière. Ici, beaucoup attendent une opportunité pour démissionner »...
lepoint.fr
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