Observatoire de la corruption, bilan positif malgré des moyens dérisoires

21 juillet 2008 - 23h50 - Maroc - Ecrit par : L.A

Un an après sa création par Transparency Maroc, en août 2007, l’Observatoire de la corruption et du développement de la transparence (OCDT) continue son bonhomme de chemin. Lancé avec l’appui financier - d’une valeur de 100.000 euros (un million de dirhams) - de l’ambassade des Pays-Bas à Rabat, l’expérience ne manque pas d’intérêt.

Le don octroyé a permis à l’observatoire d’installer ses bureaux dans la capitale, de créer un comité de suivi, et, surtout, de mettre en place une cellule de veille chargée de recueillir les doléances des citoyens victimes d’actes de corruption et d’apporter une assistance juridique aux plaignants. Satistaite du bon fonctionnement de l’observatoire pendant sa première année d’existence, la même ambassade lui a octroyé une nouvelle aide, du même montant.

Ali Lahlou, directeur de l’observatoire, qui nous a reçus dans ses bureaux de Rabat, début juillet, est confiant. La nouvelle aide accordée par l’ambassade des Pays-Bas est une preuve de sa confiance dans le travail accompli. « Maintenant, pour assurer sa pérennité, il va falloir développer, pendant la deuxième année de son existence, d’autres partenariats afin de lui assurer de nouveaux appuis financiers », estime M. Lahlou.

Quel bilan peut-on faire après une année d’existence ? Continuer d’abord la mission essentielle pour laquelle il a été créé, à savoir participer à la lutte contre la corruption. Et pour que cette action soit efficace, collecter le maximum d’informations sur le fléau, par tous les moyens possibles, les traiter, les diffuser à un large public.

Contacter, si besoin, quand les preuves sont irréfutables, les administrations où la corruption a été dénoncée. Et, bien sûr, faire des recommandations aux décideurs. Le travail est colossal, et les moyens dérisoires. C’est ce travail, d’ailleurs, qui attend l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC), créée il y a une année, et dont on attend toujours la nomination du président et des membres.

La cellule de veille trie les plaintes et aide les plaignants à les formaliser quand elles sont recevables

Parmi les actions menées par l’Observatoire de la corruption cette année, notons la publication de Transparency News. Il s’agit d’un bulletin qui restitue l’essentiel des informations recensées par l’observatoire, avec un zoom sur un thème central rédigé et synthétisé par le journalise et écrivain Driss Ksikes.

Le premier numéro, sorti en novembre 2007, avait consacré un dossier aux élections du 7 septembre. Le second, en avril 2008, a traité du thème de la justice. Deux autres sont en cours, l’un sur l’immobilier et le foncier, et un autre sur la gouvernance. Un courriel d’information et une revue de presse sont également réalisés et diffusés à un large public.

Mais l’action la plus significative, et appelée à se développer encore, est la mise sur pied d’une cellule de veille qui recueille les doléances des citoyens qui dénoncent la corruption, les traite, et apporte une assistance juridique aux plaignants. La mission a été confiée à Habib Hajji et Abdellatif Kanjaâ, deux des trois avocats radiés du barreau de Tétouan pour avoir dénoncé la corruption auprès des tribunaux de la même ville, suite à une décision de la justice.

Pour les aider, l’observatoire a fait appel à ces deux avocats afin qu’ils pilotent la cellule d’écoute. Et l’expérience a été concluante, bien que le nombre de dénonciations de cas de corruption ne soit pas élevé. Tous les vendredis, de 10h30 à 16h, les deux avocats sont à pied d’œuvre dans les bureaux de l’observatoire à Rabat pour écouter et traiter les cas.

« Nous nous assurons d’abord que les plaintes ont bien trait à de la corruption. Parfois, nous recevons des plaintes qui relèvent des droits de l’homme, et nous devons donc orienter les plaignants, selon les cas, vers les associations spécialisées en la matière, le Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH), ou vers Diwane Al Madalim », explique M. Kanjaâ.

Ce premier tri effectué, le travail des deux avocats, épaulés par Kenza Hemiani, membre de Transparency Maroc (TM), consiste à expliquer aux plaignants comment rédiger une plainte en bonne et due forme en leur nom (et non au nom de l’observatoire), assortie de l’argumentaire juridique idoine, avant de l’adresser au procureur général ou à l’inspection du ministère de la justice.

Le bilan de cette cellule d’aide aux victimes de la corruption, après une année de travail, dégage quelques données et enseignements significatifs. D’abord, la plupart des plaintes reçues, environ 70%, sont relatives à des décisions de justice. Cela conforte les rapports établis au niveau national et international, qui pointent du doigt la justice, un des secteurs - avec la police, la santé et les impôts - les plus corrompus au Maroc.

Dans un sondage réalisé par Transparency Maroc en 2006, dans le cadre du rapport du Centre arabe du développement, on relève des chiffres alarmants : 51,1% des justiciables déclarent avoir versé ou été invités à verser des pots-de-vin ou des présents à l’administration judiciaire. 50,2% déclarent que le comportement de l’avocat avec eux a été plutôt malhonnête. Nombre de plaignants, explique M. Kanjaâ, ne comprennent pas comment la justice a pu rendre un jugement contre eux, alors que tout le dossier est en leur faveur.

Ils n’ont pas de preuve quant à l’acte de corruption et sont donc dans l’incapacité d’accuser le magistrat qui a rendu le jugement. Leur seul recours est de demander une révision du procès. TM recommande aux responsables de la cellule d’écarter systématiquement tout dossier dépourvu de preuves.

La peur explique le faible nombre de dénonciations et le recours aux lettres anonymes

Pourquoi le nombre des plaignants auprès de l’observatoire est-il aussi réduit ? « La peur, qui continue de tétaniser les citoyens face à l’appareil judiciaire, martèle M. Kanjaâ. Seuls les plus courageux osent la vaincre ». La peur est aggravée par l’absence de loi pour la protection de ceux qui dénoncent la corruption. L’affaire des avocats « téméraires » de Tétouan en est la preuve éclatante. « Cette loi devient une urgence si l’Etat veut réellement que son plan national anti-corruption, adopté du temps du gouvernement Jettou, réussisse.

L’Etat doit encourager toutes les initiatives susceptibles de lutter contre la corruption au lieu de les contrecarrer », explique Mohamed Akdim, du barreau de Rabat et ex-bâtonnier de la capitale. Rappelons que le plan d’action dont parle M. Akdim prévoit plus de 30 actions transversales et 40 sectorielles pour plus de transparence de la gestion des services publics et pour le respect de l’éthique au service de la bonne gouvernance.

La corruption dénoncée dans le corps des mokhaznis

Pas étonnant, en l’absence de loi de protection des témoins, que l’observatoire reçoive des dénonciations par lettres anonymes. L’une d’elles, rappelle M. Kanjaâ, a été envoyée par un mokhazni qui se plaint des agissements de son supérieur hiérarchique.

Ce dernier oblige ses subordonnés à lui verser de l’argent en échange d’une affectation dans les coins les plus « rentables » de la ville, là où il ont le plus de chances d’extorquer de l’argent aux citoyens. Cette plainte anonyme nous rappelle, avec évidence, le cas du capitaine Mustapha Adib, ce jeune soldat qui avait osé dénoncer la corruption au sein de l’armée, ce qui lui avait valu la prison.

Même si les cas traités ne sont pas assez nombreux, force est de souligner, dans l’attente de la nomination des membres de l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC), « combien est importante la fonction d’une telle structure.

Il faut pousser par tous les moyens les gens à venir dénoncer les actes de corruption, voire multiplier dans plusieurs régions du Maroc, notamment dans les régions marginalisées qui en souffrent le plus, des cellules d’écoute pareilles », conseille Ali Lahlou. Comme ces Centres d’assistance juridique et d’action citoyenne (Cajac) lancés par Transparency internationale (TI) dans plusieurs pays. Comme leur nom l’indique, il s’agit de centres d’écoute et d’aide juridique aux personnes victimes de la corruption, créés en 2003 par trois sections de TI (Bosnie-Herzégovine, Macédoine et Roumanie).

Aujourd’hui, il en existe 16 qui opèrent dans 12 pays. Ils ont accueilli plus de 15.000 personnes. La création d’autres Cajac est envisagée les prochains mois dans des régions autres que l’Europe et l’Asie centrale où ils sont actuellement implantés.

Source : La vie éco - Jaouad Mdidech

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