D’après vos recherches, peut-on dire que l’ascenseur social ai fonctionné pour les enfants de l’immigration ?
Très partiellement. Beaucoup de jeunes de la troisième génération disposent d’un faible niveau de qualifications et sont au chômage. Sinon, d’une certaine manière, ils sont restés au niveau de leurs parents : précarité des contrats, bas salaires, tâches d’exécution et conditions de travail pénible. Certains parviennent toutefois à faire des études supérieures, mais ils se heurtent alors à de la discrimination. Par ailleurs, ils partent avec un handicap puisqu’ils ne jouissent pas d’un réseau social qui leur permet d’accéder plus facilement à un emploi. Bon an, mal an, le niveau de vie s’est certes élevé, mais il est frappant de constater que les jeunes générations sont encore souvent à charge des parents arrivés en Belgique en 1964.
Qu’en est-il des filles ?
Leur niveau d’instruction a indéniablement augmenté, principalement en raison de l’obligation scolaire. A titre de comparaison, une étude de 1991 indiquait que 85 pc des mères marocaines de la première génération étaient analphabètes ou presque. Un taux que l’on retrouve dans certaines zones rurales du Maroc. Reste que les filles se retrouvent encore souvent confinées dans l’enseignement professionnel et elles se limitent encore au strict minimum d’obligation scolaire.
C’est un tableau plutôt noir...
Il serait réducteur d’apporter une réponse tranchée à la question de l’intégration, elle ne peut-être que nuancée et complexe. Ainsi, sur un plan positif, il faut souligner l’émergence -même si encore limitée- d’une élite politique et féminine de surcroît. Certains sont parvenus à se frayer un chemin dans les sphères médiatiques, politiques ou encore artistiques, ce qui contribue à renvoyer une image plus positive des populations maghrébines. Le taux de naturalisation des Marocains de Belgique -60 pc, l’un des plus massif- est à mettre à l’actif d’une intégration réussie. Cela se traduit, par exemple, dans le rapport à la mort. Beaucoup de parents ne veulent plus spécialement être enterrés « au pays ». La mixité, le mélange, des populations commencent tout doucement à s’opérer ; selon une enquête menée auprès des femmes marocaines, un mariage de Marocaine sur cinq est conclu avec un Belge.
Et pour les aspects plus négatifs ?
De manière générale, la mobilité sociale reste un gros problème. Les discriminations -et surtout celle à l’embauche- favorisent malheureusement le repli communautaire, les radicalisations identitaires. Il n’y a rien à faire, la frustration demeure le terreau le plus fertile pour les prédicateurs en tous genres. Cela étant, je pense toutefois que l’immigration marocaine est arrivée à un tournant : on assiste à une forme de stabilisation et à des revendications. Le problème n’est pas d’avoir un cahier de revendications -ce qui démontre plutôt une étape supplémentaire dans le désir d’intégration- mais bien d’y être à l’écoute. Les jeunes filles qui portent le voile et se disent musulmanes, s’affirment aussi comme citoyennes. Elles veulent s’inscrire dans cette société et jouir des mêmes droits. Les politiques d’« aides au retour » ont été des échecs, il va falloir apprendre à se parler. Je crois qu’il ne faut pas mélanger l’« invisibilisation » d’une communauté d’immigrés avec son intégration. Quand elle commence à écrire son histoire, c’est qu’elle est arrivée à un point crucial.
(1) « Trajectoires et dynamiques migratoires de l’immigration marocaine de Belgique » - Editions Academia-Bruylant.
La Libre Belgique