Le gouvernement marocain, via son porte-parole Mustapha Baitas, a annoncé une révision de l’Impôt sur le revenu (IR) avec pour objectif d’augmenter les revenus des employés et fonctionnaires.
Rares sont les investisseurs au Maroc qui n’ont pas été obligés un jour, pour faire fructifier leurs affaires, de graisser la patte à quelqu’un, de tricher sur la qualité de leur marchandise, sur leur comptabilité, d’exploiter sans scrupule leurs employés, de casser sans pitié leurs concurrents ou de mentir...
Pourtant, ces gens sont considérés comme débrouillards et lucides, selon la norme sociale en vigueur. Selon cette même norme, un homme d’affaires qui se comporte correctement au plan de l’éthique, qui respecte scrupuleusement la loi est vu comme un homme « candide ».
Le témoignage de ces deux Marocains résidant à l’étranger venus investir au Maroc, est éloquent. Ils sont salariés dans le domaine de la restauration à Paris, et gagnent plutôt bien leur vie. Ils ramassent un pécule et décident un jour - on est en 1994 - de rentrer au bercail pour ouvrir un restaurant. Avec leurs économies et l’aide d’un crédit bancaire, ils ont acheté un local au quartier du Mâarif. Ils l’ont aménagé, meublé et équipé d’un matériel de restauration flambant neuf.
Coût de l’opération : 1,5 million de dirhams. Comme on peut l’imaginer, de l’achat du local jusqu’à la fin des travaux d’aménagement, ce fut pour eux un parcours du combattant. Ayant vécu dans un environnement relativement transparent et respectueux de la loi quand ils étaient en France, où la pratique de la corruption à petite échelle n’existe quasiment pas, ils trouvaient contraire à l’éthique de devoir cracher au bassinet pour obtenir ce qui était un droit.
Ils ont pourtant fini par le faire pour faire avancer leur dossier. Quand ils ont demandé une licence pour servir de l’alcool, ils ont essuyé un refus. La raison ? Ils n’avaient pas accompagné la demande d’une enveloppe pour qui de droit. Prix demandé : 200.000 DH. Trouvant la somme exorbitante, ils refusèrent de céder au chantage. « Nous pouvions réunir cet argent et corrompre ce responsable haut placé pour avoir notre autorisation, mais nous trouvions cela injuste.
Nous nous sommes dit : c’est incroyable, nous sommes venus investir, nous avons ramené de l’argent, il n’y a pas de raison que l’on nous refuse cette autorisation. Nous avons alors décidé de nous en tenir à la procédure légale », raconte l’un de ces deux investisseurs.
C’est ce qu’il ne fallait surtout pas faire, dans une société où faire prévaloir l’éthique pour obtenir un droit est suicidaire pour qui veut faire des affaires. Après deux ans de galère, les deux associés n’en peuvent plus. Ayant dépensé leurs dernières économies, ils décident de fermer boutique et de retourner en France.
Certains pensent que l’argent peut être mis au service de l’éthique
Doit-on se résoudre à considérer qu’éthique et argent sont inconciliables ? Tout dépend du contexte. Pour les uns, c’est le cas, dans une société où la corruption est érigée en système qui la régit dans tous les secteurs et du haut au bas de l’échelle.
Pour ceux-là, le respect de l’éthique ne dépend pas du comportement individuel, mais de la capacité de la société à ériger des garde-fous à même de faire respecter la loi qui protège l’homme contre l’abus de l’argent et des comportements immoraux.
D’autres considèrent au contraire qu’argent et éthique sont conciliables, et même que l’un peut être au service de l’autre, pour peu que les lois dans ce domaine soient suffisamment claires et appliquées.
Le débat est loin d’être épuisé car l’argent a investi les relations humaines d’une puissance singulière en tant que moyen universel d’échange commercial, et surtout en ces temps de mondialisation où les flux financiers en circulation l’emportent largement sur le volume des transactions physiques.
Au vu de la centralité de cette problématique, le Centre d’études sociales, économiques et managériales (Cesem), rattaché à l’Institut des hautes études de management (HEM), a placé la problématique « argent et éthique » au centre d’un colloque organisé à Rabat du 21 au 23 mai.
Le Cesem, créé depuis un an, et présidé par le journaliste et écrivain Driss Ksikes, a réuni pour des échanges sur la question plus d’une vingtaine de chercheurs dans différentes disciplines (économie, sociologie, philosophie, droit, société civile...). Difficile pour ces chercheurs d’avancer des réponses tranchées ou des solutions.
Pourtant, la communauté scientifique, déclare à La Vie éco Kamal Mesbahi, économiste, membre dirigeant de Transparency Maroc et membre du comité exécutif de Transparency International, « doit se positionner par rapport à une question centrale, qui traverse tous les segments de la société marocaine. Que ce soit la relation de l’argent au pouvoir, de l’argent à la règle de droit, ou les conditions permissives de production de l’argent.
Aujourd’hui, c’est une porte d’entrée fondamentale pour la consolidation d’un Etat de droit. » Cela est vrai, même si l’action humaine est souvent marquée d’impuissance, « terrible réalité à laquelle tout code éthique est confronté », dira un document introductif au colloque, rédigé par un comité scientifique fort de six chercheurs marocains et étrangers, dont Kamal Mesbahi lui-même.
L’éthique, dirait un sage, souligne le même document, « c’est d’abord vivre les yeux ouverts. Alors, comment ouvrir les yeux sans être aveuglé par l’argent ? »
L’éthique se préoccupe des modes d’action, ce qui peut gêner l’obtention de résultats
Quelle place pour l’éthique dans l’entreprise ? Voilà une des questions débattues lors de ce colloque. Là encore, il n’y a pas de recette miracle, et les entreprises, selon la probité ou l’improbité de leur patron et sa gestion sont sujettes à tous les avatars moraux qui font fi des préceptes élémentaires d’éthique, pour se procurer un enrichissement rapide et sans scrupule (corruption, travail au noir, fraude fiscale, abus de biens, sous-traitance à l’informel...).
L’exemple de l’incendie de la société Rosamor de Lissasfa, peu respectueuse des normes élémentaires de sécurité, est édifiant à ce propos, même si toutes les entreprises ne fonctionnent pas à l’image de celle-ci.
Abdesslam Aboudrar, directeur général adjoint de la CDG et président de la commission anti-corruption à la CGEM, expose une synthèse de l’école de pensée qui subordonne l’éthique, ce faisceau de comportements admis communément comme corrects, aux résultats.
L’éthique est là, au service de la performance de l’entreprise, laquelle n’est plus mesurée par le gain financier à court terme, mais par sa capacité à créer de la valeur sur la durée.
L’éthique se préoccupe des modes d’action, ce qui peut gêner voire contrecarrer l’obtention de ces résultats. Mais une entreprise sans éthique, réalisant sans scrupule des gains rapides, est-elle capable d’en assurer la pérennité ? Rien n’est moins sûr.
Il y a par exemple des hommes d’affaires prospères qui font, c’est vrai, du social en lui consacrant un budget annuel, d’autres personnes très riches qui allouent, pour se donner bonne conscience, des fonds consistants pour des actions humanitaires ou de bienfaisance.
D’autres encore qui construisent des immeubles ou ouvrent des commerces juteux. D’où vient la richesse des uns et des autres ? On le sait, répondent certains, il y a de l’argent qui vient de la corruption, de la drogue, de l’exploitation de fonds publics...
Toute la problématique, soutient Sion Assidon, homme d’affaires et membre de Transparency Maroc, dans son intervention, est de mettre sur pied des garde-fous capables de prémunir la société contre certains comportements malsains, dont la fameuse instance centrale de prévention de la corruption qui existe sur le papier, mais qui attend encore de voir le jour.
Source : La vie éco - Jaouad Mdidech
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