Khalid Rahmouni, politologue et membre du secrétariat général du PJD cité par le quotidien Akhbar Al Yaoum, explique que Benkirane se réfère dans sa démarche à l’expérience de l’ancien premier ministre socialiste Abderrahmane El Youssoufi, qui n’avait pas réussi à "combattre ses créatures invincibles, au pouvoir dévastateur".
Si Benkirane se garde de nommer les "crocodiles, les démons et les fantômes", auxquels il fait souvent allusion, c’est qu’il n’est pas encore prêt à les affronter, affirme Rahmouni. Le chef du gouvernement attend que les Marocains comprennent que ces créatures sont en fait des opposants invisibles bien ancrés dans les arcanes du pouvoir, et qui veulent entraver le processus de réformes lancé par son exécutif.
Pour le chercheur Rachid Moktadir, il s’agit de forces invisibles opposées au changement, qui menace les intérêts qu’ils ont accumulés depuis plusieurs décennies. "Ces parties travaillent secrètement pour conserver leur pouvoir politique, leurs intérêts économiques, et leurs positions privilégiées dans les structures de l’Etat, conformément à la logique des lobbies. Et ce sont là, les principaux défis auxquels fait face le gouvernement", explique Moktadir.
Les démons de Benkirane s’opposent en fait à la légitimité populaire naissante, renchérit Khalid Rahmouni, pour qui ces parties défendant le totalitarisme ne veulent pas que la société marocaine évolue et s’exprime avec maturité. Ils veulent que le Marocain reste un être contrôlé sans intermédiaires, ni force politique et esprit civique réels.
Le plus grand des démons de Benkirane serait Ilyass El Omari, controversé membre influent du Parti Authenticité et Modernité (PAM), connu pour être l’ami de l’ami du Roi Mohammed VI, Fouad Ali El Himma.
Samira Sitaïl, directrice adjointe de la chaîne de télévision publique 2M, figure aussi sur la liste des crocodiles auxquels fait allusion Abdelilah Benkirane, pointant du doigt certaines émissions dont l’objectif serait de faire perdre confiance aux investisseurs en l’économie marocaine.
Noureddine Bensouda, trésorier du Royaume, serait lui le ministre des Finances de l’Etat profond, d’après certains dirigeants du PJD, qui accusent Bensouda de présenter de faux chiffres et indicateurs sur l’économie marocaine aux instances internationales.
L’ancien compagnon de classe du Roi Mohammed VI, avait été entendu en juillet dernier par la police dans le cadre de l’enquête sur les primes échangées avec l’ancien ministre des Finances Salaheddine Mezouar.
Le patron du Parti du Rassemblement National des Indépendants (RNI) serait lui aussi l’un de ceux que Benkirane désigne comme étant des crocodiles. Salaheddine Mezouar était convaincu à la veille des élections du 25 novembre 2011, qu’il était l’unique candidat valable pour occuper le poste de premier ministre.
Le raz de marée islamiste met fin à ses rêves. Mezouar multiplie les sorties contre Benkirane, mais celui-ci réussit à le faire taire en rappelant que le gouvernement sortant a laissé au Maroc une ardoise d’environ 600 milliards de DH.
Hamid Chabat, secrétaire général du Parti de l’Istiqlal est l’un des démons qui hantent le plus Abdelilah Benkirane, surtout depuis que Chabat a décidé de retirer son parti du gouvernement. Récemment, le patron de l’Istiqlal a été jusqu’à comparer Benkirane aux généraux Oufkir et Dlimi.
Driss Lachgar, patron de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), connu pour ses retentissantes sorties à l’égard de ses opposants islamistes, mais qui figure tout de même dans la catégorie des hommes politiques populistes, au même titre que Benkirane, serait lui parmi les plus farouches adversaires du PJD. Mais une place de ministre pourrait lui faire changer d’avis.
Ahmed Assid, le militant amazigh, qui a suscité une forte polémique récemment, en affirmant que l’Islam était dépassé, est lui aussi répertorié comme étant un démon par Benkirane, qui n’avait pas manqué de rappeler à la jeunesse de son parti : "soyez modérés et modernistes, mais dans un contexte islamique", en réponse aux discours laïques prônés par certains militants amazighs.
Les adversaires de la transition démocratique en cours au Maroc, sont des réseaux d’intérêts et de clientélisme complexes, gravitant autour de la monarchie, pour piller les richesses du pays. Ces parties s’opposent aux réformes parce qu’elles ne servent pas leurs intérêts, conclut Khalid Rahmouni.