Touria Tiouli, franco marocaine , violée et accusée à Dubaï

2 janvier 2003 - 12h22 - Maroc - Ecrit par :

En vantant les charmes de Dubaï, centre commercial et touristique des Emirats arabes unis, un hebdomadaire français écrivait : « Au risque de traumatiser les incrédules, à Dubaï on peut vivre comme partout ailleurs sans tchador. Dans ce pays musulman, on peut boire de l’alcool dans tous les hôtels et s’éclater en boîte de nuit. Et s’il y a un endroit où les femmes peuvent se promener seules en toute sécurité, c’est bien ici. Il faut simplement se comporter en touriste responsable, en respectant les habitants et leurs traditions. »

Touria Tiouli, 39 ans, de nationalité française, née au Maroc, élevée et scolarisée en France, originaire de Limoges, divorcée, mère d’un garçon de 14 ans, est retenue à Dubaï par la justice émiratie depuis le 14 octobre. Elle n’a pas respecté les traditions qui commandent de ne jamais avoir maille à partir avec un Emirati de souche.

« Gens de confiance ». Le soir de son anniversaire, cette chargée de mission en marketing décide d’aller boire un verre ­ du Coca-Cola, disent ses amis ­ dans une discothèque huppée et cosmopolite du centre. Elle connaît bien l’endroit. C’est sa troi sième mission à Dubaï, elle parle couramment l’anglais et l’arabe. Elle connaît aussi le directeur de l’établissement, discute avec trois de ses amis qui lui offrent une consommation en début de soirée. Vers minuit, lorsqu’elle commande un taxi pour rentrer à son hôtel, les trois amis du directeur lui proposent de la raccompagner. « Elle ne s’est pas méfiée, ces hommes n’avaient pas cherché à la draguer, c’étaient des connaissances du patron de la boîte, donc des gens de confiance », explique une amie du comité de soutien à Limoges (1). Ils l’embarquent dans un quartier excentré, la violent à tour de rôle avant de la raccompagner à son hôtel au petit jour. Touria Tiouli hésite, puis finit par porter plainte, se croyant protégée par son statut de Française et ses liens professionnels avec la mission économique du consulat de France à Dubaï. « Je pleurais, et j’ai vite compris que mon récit n’émouvait pas du tout les policiers », raconte-t-elle à Libération, par téléphone.

Le lendemain, les policiers la convoquent pour un complément d’information, lui passent les menottes et la conduisent à la prison des femmes de Dubaï. Deux de ses agresseurs ont été interpellés, mais, sur la foi de leurs déclarations, c’est elle qu’on accuse : de s’être prostituée, d’avoir con sommé de l’alcool et d’être montée avec des inconnus en voiture. Elle est finalement inculpée de « relation sexuelle adultérine », un des interpellés ayant reconnu une relation sexuelle « consentie ». D’après une source proche du consulat, le troisième homme, celui qui n’a pas été interpellé, appartiendrait à une « très bonne » famille de Dubaï. Selon la charia, en vigueur aux Emirats arabes unis, toute relation sexuelle hors mariage est adultérine.

« Je ne dors plus. » Touria a passé cinq jours en détention. Le consulat français l’a fait libérer sous caution, mais elle n’a pas le droit de quitter le pays, son passeport est retenu par les autorités de Dubaï, en l’attente du procès. Elle risque six mois de prison, et ne prend pas cette menace à la légère : « J’ai peur, je ne dors plus. » L’Union des Français à l’étranger (UFE) lui a trouvé un hôtel-résidence, lui apporte une aide financière pour sa nourriture et ses frais médicaux. « Cette femme a subi un concours de circonstances malheureux. On est dans un pays musulman, même si elle est française, pour eux, elle est musulmane et marocaine », explique une des représentantes de l’UFE de Dubaï. Les origines marocaines de la jeune femme atténuent de fait la portée de la protection du consulat de France. « Et il faut savoir qu’aux Emirats, les autres Arabes, mais surtout les Maghrébins, sont considérés comme des sous-citoyens. Parmi cette sous-caste, les Marocaines ont la réputation d’être des prostituées, car beaucoup d’Emiratis se rendent au Maroc pour consommer des jeunes filles ou des jeunes garçons », explique un spécialiste du Golfe.

Les autorités françaises estiment avoir apporté à Touria Tiouli la protection à laquelle tous leurs ressortissants ont droit. Elles lui ont trouvé un avocat qui veut bien assurer sa défense, tous ceux de la ville contactés par ses proches ayant refusé. « Ses droits à la défense sont assurés », assure Paris, alors que, sur place, des compatriotes estiment que cette défense est toute formelle, les avocats locaux étant peu enclins à défendre une étrangère qui accuse un Emirati. A Paris, on pense qu’il faut éviter de faire de cette histoire « une affaire d’honneur national : il convient de ne pas heurter les sentiments religieux des Emirats ».

Relations tendues. En 1995, l’intervention de personnalités françaises ­ Marie- Claire Mendès France et Gisèle Halimi ­ dans l’affaire Sarah Balabagan, la petite bonne philippine condamnée à mort pour avoir tué son employeur qui voulait la violer, avait tendu les relations entre les deux pays. L’ambassade des Emirats en France avait publié un communiqué dans la presse française où il était rappelé que « dans cette affaire, on se réfère à la loi divine et à la charia. La justice aux Emirats arabes unis ne fait pas de discrimination de sexe, de race ou de religion ». En 1996, un chrétien libanais y a été condamné à un an de prison ferme et 39 coups de fouet pour avoir épousé une musulmane émiratie.

Cela fera bientôt trois mois que Touria Tiouli n’a pas vu son fils. Elle ne sait pas quand elle sera jugée. Personne ne parle plus du viol qu’elle a subi.

(1) roddeschmittb@aol.com

Libération France

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Droits et Justice - Dubaï - Procès - Femme marocaine

Ces articles devraient vous intéresser :

Pilules abortives : le Maroc face à un gros problème

Des associations de défense des droits des consommateurs dénoncent la promotion sur les réseaux sociaux de pilules abortives après l’interdiction de leur vente en pharmacie, estimant que cette pratique constitue une « atteinte grave à la vie » des...

Blanchiment d’argent : la justice marocaine frappe fort

Le Maroc a réalisé des avancées significatives dans sa lutte contre le blanchiment d’argent. C’est ce qui ressort du septième rapport annuel de la présidence du ministère public, publié le 6 mars 2024. Ce document officiel montre une évolution positive...

Code de la famille : les féministes marocaines face à l’opposition de Benkirane

Le secrétaire général du Parti justice et développement (PJD), Abdelilah Benkirane, a vivement critiqué le mouvement féministe qui milite pour l’égalité des sexes dans le cadre de la réforme du Code de la famille, estimant que son combat vise à...

L’appel des chrétiens marocains

La communauté chrétienne au Maroc a réitéré, à l’occasion de la célébration de la fête de Noël, sa demande d’abrogation de l’article 220 du Code pénal et de la dépénalisation du prosélytisme.

Ramadan et menstrues : le tabou du jeûne brisé

Chaque Ramadan, la question du jeûne pendant les menstrues revient hanter les femmes musulmanes. La réponse n’est jamais claire, noyée dans un tabou tenace.

Affaire "Hamza Mon Bébé" : Dounia Batma présente de nouvelles preuves

La chanteuse marocaine Dounia Batma confie avoir présenté de nouveaux documents à la justice susceptibles de changer le verdict en sa faveur.

Un député marocain poursuivi pour débauche

Le député Yassine Radi, membre du parti de l’Union constitutionnelle (UC), son ami homme d’affaires, deux jeunes femmes et un gardien comparaissent devant la Chambre criminelle du tribunal de Rabat.

« Sexy ! » : le harcèlement de rue dénoncé par une tiktokeuse au Maroc

Une célèbre tiktokeuse vient de visiter le Maroc et elle en vient à la conclusion que c’est le pays le plus sexiste au monde. Elle a toutefois salué l’hospitalité marocaine.

Un agriculteur espagnol attaque la famille royale marocaine

Le Tribunal de l’Union européenne a entendu mardi les arguments de l’entreprise Eurosemillas, spécialisée dans la production de semences sélectionnées, qui demande l’annulation de la protection communautaire des obtentions végétales pour la variété...

Corruption au Maroc : des élus et entrepreneurs devant la justice

Au Maroc, plusieurs députés et élus locaux sont poursuivis devant la justice pour les infractions présumées de corruption et d’abus de pouvoir.