Malika El Aroud, condamnée pour terrorisme en 2008, est décédée à l’âge de 64 ans. Cette femme, qui avait la double nationalité belge et marocaine, avait été déchue de sa nationalité belge en 2017 pour avoir « gravement manqué à ses devoirs de...
Les juristes le savent depuis longtemps : nécessité fait loi. Et voilà qu’un rapprochement objectif se fait entre les États maghrébins -surtout ceux du Maghreb central- parce qu’ils sont de plus en plus confrontés au même danger : le terrorisme islamiste. Les divergences et les contentieux ne manquent pas, surtout entre Rabat et Alger à propos du dossier du Sahara marocain. Mais tout paraît se passer comme si le secteur dit sécuritaire touchant la lutte antiterroriste, avait désormais gagné son autonomie et qu’il était ainsi pratiquement à l’abri des variations des conjonctures politiques intramaghrébines.
“La concurrence et la rivalité sont la règle dans le monde des appareils de sécurité”, commente ce responsable, qui a servi sous le règne de feu Hassan II, puis sous celui de S.M Mohammed VI. “Mais vigilance est aussi dans notre ordre du jour quotidien, poursuit-il. Avec l’Algérie, les circonstances actuelles et les contraintes communes nous poussent tous deux à composer, à coopérer”. Avec cependant cette restriction qu’il a tenu à préciser : “Dans notre secteur, il n’y a pas de partage du renseignement opérationnel parce que, par essence, il ne se partage pas…”.
Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie sont arrivés depuis des années à cette conclusion : c’est bien en amont, sur le front de l’anticipation, que la coopération antiterroriste doit le plus intervenir. Sans doute, les fronts diplomatiques, politiques et médiatiques ne doivent pas être minorés : ils prolongent même les effets de l’action au dedans. Mais c’est la politique sécuritaire dans sa globalité qui doit être appréhendée et mise en œuvre tant dans ses aspects intérieurs qu’extérieurs. Le terrorisme s’est mondialisé tout en se délocalisant. Il importe d’y apporter les réponses les plus opératoires, à savoir : infiltrer, noyauter pour prévenir les projets criminogènes et mortifères et se doter des ressources humaines et techniques au niveau des nouvelles exigences de la situation. Dans cette optique, le renseignement humain reste irremplaçable ; les appareils de sécurité maghrébins le savent mieux que personne alors que ces quinze dernières années l’école anglo-saxonne, elle, l’avait quelque peu déclassé au profit du renseignement informatique. Le 11 septembre 2001 a rappelé cruellement, aux Américains en particulier, les insuffisances patentes de cette politique…
C’est en effet sur le front de l’anticipation et de la prévention que les efforts doivent porter. Rabat, Alger et Tunis l’ont compris et ont décidé d’asseoir et de renforcer une étroite coopération. Pourquoi ? Parce que les intérêts sont convergents : mettre les trois pays et la région à l’abri des spasmes et des violences du terrorisme islamiste. L’analyse commune part de ce constat : aucun pays n’est à l’abri, le risque zéro n’existe pas ; et la thèse marquée du sceau de la suffisance et/ou de l’indolence qui voulait que le Royaume soit un havre de paix dans une Méditerranée fortement tourmentée n’est plus plaidable depuis les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca.
Voici un an seulement, l’Algérie s’est enfin décidée à “sécuriser” ses frontières nord avec le Maroc. Rabat a reçu à cette occasion une note relative à la nouvelle stratégie de ses voisins de l’Est portant sur la surveillance des frontières communes. Cette opération était dictée par les nécessités de la lutte contre l’immigration clandestine et les groupes terroristes sévissant dans ces zones désertiques. Du côté officiel marocain, ce nouveau dispositif a été accueilli dans un premier temps avec méfiance et suspicion. Et il aura fallu que la clôture barbelée de la ville occupée de Sebta soit prise d’assaut par des clandestins subsahariens pour que les responsables algériens prennent la juste mesure de la situation. C’était d’autant plus préoccupant qu’à cette occasion fut signalée l’entrée en Europe de 18 Islamistes recherchés en raison de leurs liens avec des groupes terroristes. Fini le temps du “laisser-faire, laisser-passer” sans que les services algériens ne mettent un terme aux flux d’immigrés illégaux pénétrant au Maroc pour y transiter vers l’Europe. Une triple nuisance pour le Royaume tant pour ce qui est de ses rapports avec Madrid qu’avec l’Europe, sans oublier l’activation d’un foyer éligible pratiquement à une “zone grise” dans le préside espagnol de la côte méditerranéenne. C’est qu’en effet dans ce flux d’immigrés, en majorité subsahariens, se trouvent des dizaines d’islamistesqui voulent traverser la Méditerranée.
Du coup, les pressions américaines et européennes aidant, les responsables algériens ont arrêté en quelques semaines pas moins de 2.370 clandestins. Ils ont également installé des caméras de surveillance sur l’Oued Nachef (près d’Oujda jusqu’à Sâaïdia) ainsi que des radars. Ils ont même donné leur accord pour des patrouilles communes avec le Maroc. C’est dire si la coordination s’est imposée du fait des circonstances liées à la lutte contre l’immigration clandestine et les opportunités que celle-ci offre aux groupes terroristes réfugiés dans ces zones frontalières. Dans ce climat, les services marocains ont fait part à leurs homologues algériens d’une liste de 16 noms d’islamistes très dangereux impliqués dans le terrorisme.
La coopération bilatérale en matière de sécurité fonctionne donc bien ; vraisemblablement mieux que par le passé. Les frontières entre les deux pays ne peuvent plus être la passoire à des terroristes établissant leurs bases arrières au Maroc. L’Algérie sort d’une tragédie qui a vu le terrorisme faire plus de 100.000 morts depuis le début des années quatre-vingt-dix ; il est devenu aujourd’hui résiduel avec un bilan de 400 morts en 2006. Ce pays a dans le domaine de la lutte antiterroriste une grande expérience, une expertise et aussi un précieux fichier d’“activistes” de tout poil. Autant de données pouvant être mises à profit par Rabat dans la lutte antiterroriste, surtout que, malgré de nombreux démantèlements de réseaux islamistes, les menaces persistent. Que des sources policières marocaines aient annoncé au début d’avril 2005 que 250 terroristes marocains talibans ont réussi à échapper à la traque des forces américaines en Afghanistan et au Pakistan et qu’ils ont pu se replier dans le Royaume ne peut qu’intéresser Alger.
C’est d’autant plus vrai que le Groupe salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) algérien paraît assister sinon coordonner le terrorisme à l’échelle maghrébine. Ainsi, le Groupe islamique combattant marocain (GICM) bénéficie de son aide et de son encadrement -les arrestations opérées, le 30 décembre 2006, à Casablanca, Kenitra, Meknès et Tétouan l’attestent. Ainsi encore, en Tunisie cette fois, à la même date donc qu’au Maroc, les forces de l’ordre se sont trouvées confrontées à un groupe de Salafistes dans la banlieue même de la capitale. Bilan, une quinzaine de morts. De quoi réactiver et élargir le champ de la coopération entre les deux pays et ce sur plusieurs fronts : maillage sécuritaire renforcé aux points de contrôle frontalier, sécurisation des 965 km des frontières communes et échange d’informations…
Dans les trois pays maghrébins, la mise à niveau des appareils de sécurité s’est imposée avec force. Au Maroc, un grand remue-ménage a marqué ce secteur tant au niveau des responsables -en particulier le départ du général Mohamed Belbachir du 5ème bureau des FAR et la réaffectation du général Hmidou Laâniguri de la DGSN- que de la coordination de l’action. Voici quatre mois, le ministre de l’Intérieur, Chakib Benmoussa, présentait les quatre axes de la nouvelle stratégie : restructuration des services et des appareils sécuritaires, renforcement du dispositif législatif de lutte antiterroriste, promotion et extension de la coopération internationale, enfin consolidation des mesures préventives. En Algérie, les services des généraux Mohamed Medienne dit Taoufik et de Smaîn Laâmari, n’ont pas manqué non plus ces derniers mois de se réadapter à ces nouvelles données régionales. Enfin, en Tunisie, le président Ben Ali a limogé le directeur de la sûreté nationale et s’emploie à optimiser les moyens de lutte antiterroriste.
À l’échelle maghrébine, ni le colonel Kaddafi ni le colonel Mohamed Vall ne peuvent rester indifférents face aux menées déstabilisatrices actuelles qui marquent la région.
Mais, les facteurs internes liés aux préoccupations de sécurité des Etats maghrébins ne sont pas les seules à pousser dans ce sens. L’environnement international, en particulier les fortes pressions américaines depuis le 11 septembre 2001, pèsent en effet de tout leur poids pour une “sainte alliance” sécuritaire au Maghreb. Renforcer et réformer les appareils de renseignement et de sécurité est nécessaire, mais pas suffisant ; il faut aussi “sanctuariser” les territoires visés par le terrorisme, développer le “renseignement domestique”, élargir la coopération internationale, se doter d’un dispositif législatif antiterroriste efficace et ériger le terrorisme au rang de menace stratégique : telle est la nouvelle doctrine mise à Washington et reprise globalement par les autres pays concernés.
Aux conflits du Proche-Orient et de l’Afghanistan est venu surimposer l’Irak, qui est devenu l’une des matrices et l’un des vecteurs du Jihad mondial, offrant un nouveau champ de bataille et d’affrontement.
Ce n’est plus tellement la dangerosité intrinsèque de Ben Laden, chef d’Al Qaïda, qui prime désormais, mais l’éclatement et la prolifération de la menace et du terrorisme islamiste. Pour la première fois dans l’histoire contemporaine, l’on est en face de deux “terres de Jihad” en Afghanistan et en Irak. Ce qui induit l’élargissement du recrutement, ainsi que les terrains d’action des terroristes. D’où l’atomisation du jihadisme global autour de “franchisés” régionaux et de sous-traitants locaux. Pour autant, l’erreur serait de donner une forme étatique à l’ennemi et de militariser la réponse à y apporter comme le fait le Pentagone américain. Le risque réel qui s’ensuit est la diabolisation de l’islam et l’exacerbation des tensions ethniques.
En tout cas, depuis le 11 septembre 2001, les Etats-Unis poursuivent au Maghreb cet objectif principal : la promotion d’une étroite coopération militaire et sécuritaire, surclassant même le partenariat économique. À ce titre, ce processus a mis pratiquement deux ans pour être fortement engagé : Algérie (depuis 2001), Mauritanie (2002), Maroc (mai 2003) et Libye (décembre 2003). Tout cela a pu se traduire, à Stuttgart, le 22 mars 2004, par une réunion de deux jours rassemblant, sous l’égide de l’US European Command (EUCOM), les chefs des armées du Maghreb (Mauritanie, Maroc, Algérie, et Tunisie) et pays du Sahel (Tchad, Mali, Niger et Sénégal). À l’ordre du jour : la coordination de la lutte contre le terrorisme.
Cet intérêt américain pour le Sahel présente un double intérêt. Il est tout d’abord sécuritaire en ce sens que les Etats-Unis veulent y traquer des groupes terroristes -aussi bien locaux qu’internationaux- parmi lesquels le GSPC algérien. Washington veut empêcher que cette région vulnérable ne serve de base arrière aux groupes terroristes et elle la considère comme “le nouveau front dans la guerre contre le terrorisme”. Ainsi fin 2002, a été lancée l’Initiative pan-Sahel (PS1) reposant sur un programme de formation de troupes spécialisées dans la lutte antiterroriste. Cette action a été complétée en 2004 par un programme complémentaire baptisé “Initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme” estimé à 100 millions de dollars. Des stages de formation sont assurés par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA) rattaché à la National Defense University ; des unités fortes de 200 membres des forces spéciales US ont été déployées dans les pays sahéliens à des fins d’entraînement des armées locales.
Le Maroc et la Tunisie bénéficient depuis 2004 d’une assistance budgétée dans les programmes du département d’Etat (Anti-Terrorism Assistance, Terrorist Interdiction Program). L’axe stratégique américain vise la maîtrise de “l’arc d’instabilité” s’étendant de l’Afghanistan au Golfe de Guinée, en englobant les grands champs pétrolifères de la planète.
Depuis le 11 septembre, la donne a chargé au Maghreb : le rapprochement avec les Etats-Unis s’est traduit par une hausse de l’argus stratégique de la région. Un facteur de stabilité et de sécurité à terme.
Maroc : qui fait quoi ?
Jusqu’au 16 mai 2003, force est de faire ce constat pour ce qui est de l’appareil sécuritaire : il n’était pas au niveau opérationnel requis pour lutter contre le terrorisme islamiste. C’est qu’en effet le champ d’action, ou le paradigme si l’on préfère, était surtout axé sur deux grands dossiers : les activités et les menées des partis d’opposition et des groupes “activistes” qui s’en réclamaient au dedans et au dehors ; et la neutralisation de l’action des services algériens et de leurs protégés du Poisario à l’extérieur.
Les RG et la DST, sous la coupe de Driss Basri et de ses hommes, n’ont pas été aptes à appréhender à temps la poussée islamiste et sa radicalisation ; par rigidité psychologique, marqués qu’ils étaient par un certain mode de gouvernance forgé par le CAB 1 et des équations datant des années soixante ; par déficit culturel et politique aussi, parce qu’obsédés pratiquement par la gestion de l’ordre public et du statu quo alors qu’une nouvelle dialectique sociale était en marche.
La DGED, de son côté, devait être recadrée après la mort de Dlimi en janvier 1983. Le général Abdelhak El Kadiri, qui en assuré la direction durant dix huit ans, s’est attaché à en faire un instrument performant et professionnel tourné vers l’extérieur, ce qui était sa vocation et sa mission, même si elle suivait avec attention les cheminements parfois heurtés de la vie politique intérieure. Au Moyen Orient, en Afrique, ailleurs, la DGED a gagné une crédibilité opérationnelle en couplant, parallèlement à des actions opérationnelles, un rôle clé dans la mise en œuvre de la diplomatie. C’est à elle que l’on doit, soit dit en passant, le retour de la plupart des responsables du Polisario dans le Royaume.
Si avec le général Ahmed Harchi, la DGED accuse un certain affaissement, elle retrouve avec la nomination de Yacine Mansouri, le 15 février 2005, une feuille de route articulant sa mission et promouvant ses ressources et ses potentialités : restructuration, reprofilage de son rôle au sein du pôle sécuritaire, consolidation de la coopération internationale. Ni routine ni “barbouzeries”, mais la mise en œuvre d’une politique prenant en charge tous les paramètres complexes d’une mondialisation du terrorisme et des multiples vecteurs qui en sont aujourd’hui l’expression.
CAFSA, Layada,…
C’est connu : les rapports sécuritaires entre les pays du Maghreb n’ont pas toujours été un long fleuve tranquille, loin de là. Et si les “opérateurs” pouvaient parler ou rédiger leurs mémoires, on en apprendrait des bonnes sur tout le monde. On peut citer pour commencer, du fait de son ampleur, l’épisode du complot libyen de la ville tunisienne de CAFSA, dans la nuit du 26 au 27 janvier 1980, Tripoli invoquant la “libyanité” de cette région.
Quatre ans auparavant, le Premier ministre de Bourguiba, Hédi Nouiri, échappait à une tentative d’assassinat par un commando libyen qui fut arrêté et condamné en avril 1976. Sans oublier encore l’enrôlement de jeunes Tunisiens ou l’attentat contre un oléoduc, même si Tripoli nia toute implication…
Au registre des relations Rabat-Alger, le tableau n’a pas été pacifique non plus. On peut ainsi faire référence aux services algériens dans l’introduction d’éléments et d’armes dans les événements de Moulay Bouazza, en mars 1973 - Mehdi Bennouna dans son livre en a donné de nombreux détails. Ou encore l’instrumentalisation des islamistes par Rabat et des séparatistes par Alger. L’épisode de l’ancien chef du GIA algérien, Abdelhak Layada, arrêté au Maroc et extradé plus tard au prix de laborieux contacts, traduit bien cette situation.
Maroc Hebdo - Mustapha Sehimi
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