Thèse de la bavure écartée dans la mort d’un Marocain en 93 dans un commissariat

22 août 2003 - 14h36 - France - Ecrit par :

La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux a définitivement écarté la responsabilité de deux policiers dans la mort de Pascal Taïs, un Marocain de 30 ans retrouvé mort, le 7 avril 1993, dans le local de dégrisement du commissariat d’Arcachon (Gironde).

Son corps avait été découvert à 7 h 30, une large plaie derrière la tête, des ecchymoses multiples sur le corps, deux côtes cassées, un poumon perforé et la rate fissurée. Dans un arrêt rendu le 19 juin, la cour d’appel a estimé que "rien ne permet de mettre en cause les déclarations des policiers" présents ce matin-là au commissariat.

Après avoir ordonné trois suppléments d’information entre 1997 et 2002 (Le Monde du 17 avril 2000 et du 4 février 2002), la chambre de l’instruction a donc confirmé le non-lieu prononcé en 1996 et "l’hypothèse la plus vraisemblable" soutenue par le juge d’instruction, selon laquelle le décès de Pascal Taïs serait dû "à une chute involontaire ou volontaire"dans sa cellule, et non aux coups que lui auraient portés deux policiers de permanence, comme le soutient la famille du défunt depuis dix ans.

Pascal Taïs, malade du sida et détenteur d’une carte d’invalidité à 100 %, avait été interpellé quelques heures avant sa mort en état d’ébriété. A la lecture de la procédure, la cour a "écarté formellement toutes les hypothèses" faisant remonter la cause du décès aux événements ayant précédé son séjour au commissariat, comme son interpellation "musclée" ou l’accident de voiture "bénin" qu’il avait eu dans la soirée.

"PASSAGE À TABAC"

Selon la cour d’appel, ces événements, "peuvent néanmoins expliquer les ecchymoses multiples relevées lors de l’autopsie et contredisent l’existence d’un "passage à tabac" comme le soutiennent les parties civiles". La cour a aussi estimé que la plaie constatée sur le crâne avec décollement du cuir chevelu "pouvait avoir pour origine un choc contre un mur" ou "une chute sur la banquette". Les magistrats estiment qu’une partie de ces blessures pouvaient provenir du passage de Pascal Taïs à l’hôpital, où il était "tombé à deux reprises de la table d’examen, heurtant un tabouret selon les policiers" qui l’y avaient conduit avant de l’emmener au commissariat.

A la lecture de plusieurs expertises médicales, les magistrats attribuent "la cause exclusive du décès" à "un choc violent dorsal "survenu" peu de temps avant la mort". La cour d’appel attribue "la cause la plus probable" de ce choc à "une chute brutale sur un angle vif de la banquette en ciment" de la cellule.

"UN ANGLE VIF"

Les magistrats de la cour d’appel précisent bien qu’un transport effectué en 1997 au commissariat dans le cadre du premier supplément d’information avait établi"que les arêtes de la paillasse en béton sont arrondies" (Le Mondedu 17 avril 2000). "Néanmoins, l’examen des photos des lieux montre que le bas-flanc présente à l’endroit où se rejoignent perpendiculairement sa longueur et sa largeur un angle vif", ajoutent-ils.

L’arrêt de la chambre de l’instruction exonère enfin de toute responsabilité les policiers, "qui avaient enduré sans réagir les cris et les injures de Pascal Taïs pendant plusieurs heures". Ils ne remettent pas en cause leurs déclarations, selon lesquelles "ils étaient au courant de ce que Pascal Taïs était porteur du sida et éprouvaient la crainte d’être contaminés par celui-ci qui était dans un état d’excitation extrême et avait manifesté l’intention de leur communiquer sa maladie". Pour cette raison, "ils ont pris la précaution de ne pas avoir de contact physique avec l’intéressé en ne pénétrant pas dans sa cellule", concluent les magistrats.

L’avocat de la famille, Me Jacques Vincens, a saisi la Cour de cassation afin d’épuiser toutes les voies de recours avant de s’adresser à la Cour européenne des droits de l’Homme. Il dénonce "une décision inacceptable qui tue la justice en lui retirant toute crédibilité". A ses yeux, il n’y a pas "deux lectures possibles du dossier "dans une affaire" qui ne relève pas de la raison d’Etat, mais de l’ambiance détestable d’un commissariat bien connu pour sa réputation exécrable".

Alexandre Garcia pour lemonde.fr

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