Tanger, porte de l’Europe

12 septembre 2007 - 01h21 - Maroc - Ecrit par : L.A

Malgré la montée de l’islamisme, le royaume chérifien a depuis longtemps fait le choix de l’Occident. Usines, port, tunnel, tourisme, Exposition universelle, tout sera fait à Tanger pour ouvrir le pays au reste du monde.

En se déplaçant en personne, à une semaine des élections, pour assister à la signature d’un protocole d’intention entre le président de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, et son premier ministre, Driss Jettou, le roi Mohammed VI a voulu signifier que les inquiétudes en Occident sur la pérennité du développement économique du Maroc étaient infondées.

Pour lui, l’engagement du royaume dans un système libéral ouvert sur le monde est irréversible. L’affaire est d’importance, puisque le constructeur franco-japonais s’engage à édifier d’ici à 2010 dans la zone spéciale de “Tanger Méditerranée” une usine d’assemblage d’une capacité qui atteindra progressivement 400 000 véhicules par an. Cet investissement de 600 millions d’euros permettra la création de 6 000 emplois directs et de 30 000 emplois indirects. Destiné dans un premier temps à construire la Logan, déjà assemblée à Casablanca, cet investissement pourrait faire du Maroc le premier producteur automobile d’Afrique.

Longtemps tenue à l’écart du royaume, la capitale du nord du Maroc est en train de renaître. Ville internationale jusqu’à l’indépendance, elle avait autrefois attiré artistes et écrivains du monde entier. Delacroix, Matisse, Paul Morand y avaient loué son climat idéal et une atmosphère particulière, subtile combinaison d’ambiance méditerranéenne et d’influences atlantiques.

C’est à Tanger que, dans un discours célèbre, Mohammed V avait revendiqué l’indépendance en 1947. Pourtant, l’indépendance acquise, la ville a perdu de son lustre. Certes, elle conservait son charme avec son mélange d’architecture européenne des années 1930 et de constructions traditionnelles arabes dans sa médina. Une baie superbe et une longue plage en faisaient un site touristique attrayant. Hélas ! La pression de l’exode rural a encerclé la ville de constructions sauvages sans eau courante et sans assainissement. Des égouts à ciel ouvert se déversent sur les plages, rendant l’eau impropre à la baignade.

Les infrastructures de Tanger ont été longtemps négligées. La révolte du Rif, en 1959, sévèrement réprimée, a suscité la méfiance du pouvoir central et du roi Hassan II à l’égard de la partie septentrionale du pays. Tout change avec son fils, qui, à partir de 2004, affirme sa volonté de réconcilier le Maroc avec son passé. Il s’agit non seulement de faire la lumière sur les aspects sombres du règne de son père, mais aussi d’effacer les séquelles économiques qui ont pu en résulter entre le Nord et le reste du pays. La nomination d’un nouveau wali (préfet) en 2005, Mohamed Hassad, surnommé le bâtisseur pour avoir rénové la ville royale de Marrakech, signe cette volonté de relance de la capitale du Nord. Il a notamment la charge de préparer la ville à accueillir en 2012 l’Exposition universelle – si elle emporte les suffrages face à Wroclaw, en Pologne, et Séoul, en Corée-du-Sud.

Le roi appuie bien sûr le projet. Il apprécie la cité et y fait de fréquents séjours. De mal aimée, elle devient choyée. La vie mondaine renaît sur les bords de mer, où surgissent des villas et de nouveaux complexes hôteliers. Les people, comme Bernard-Henri Lévy, lassés de Marrakech, commencent à s’installer dans la médina et à restaurer les belles demeures des années 1930.

La grande affaire de Tanger reste le nouveau port en eaux profondes

Bientôt, grâce à Amendis, une filiale de Veolia Environnement, on pourra à nouveau se baigner dans la baie sans danger. Le réseau d’assainissement est en cours de rénovation, tandis qu’une station d’épuration sera bientôt achevée sur le port de la ville. Un conduit évacuera les eaux usées au large, dans les profondeurs du détroit de Gibraltar.

Mais la grande affaire de Tanger reste le nouveau port en eaux profondes construit à une quarantaine de kilomètres à l’est de la ville, qui vient d’être inauguré cet été. Situé sur l’une des voies navigables les plus fréquentées au monde, ce port est destiné à accueillir les porte-conteneurs géants qui débarqueront des produits semi-finis dans les usines de la zone franche pour être réexportés ensuite à destination de l’Europe et des États-Unis. Sans ce port, Renault n’aurait jamais envisagé de construire son usine, dont la production est destinée à être réexportée à 90 %. Grâce à une immense digue de protection de deux kilomètres, des porte-conteneurs de 400 mètres de longueur pourront accoster.

Le chantier a été titanesque compte tenu des difficultés du site : profondeur de l’eau, force des vents et des courants, il a nécessité la mise en œuvre de technologies de pointe. Bouygues, qui avait déjà construit la mosquée Hassan II, sur la mer, à Casablanca, a trouvé là une autre manière d’illustrer sa compétence technique. Il vient récemment d’obtenir la concession du port roulier. Le français sera sûrement candidat à la construction de Tanger Med II, un deuxième port du même type que le premier, à proximité immédiate de celui-ci. Le succès du nouveau port a été tel que le gouvernement marocain a en effet dû lancer plus tôt que prévu la deuxième tranche. Les armateurs, comme le danois Maersk, numéro un mondial des porte-conteneurs, se sont rués sur les concessions portuaires, tandis que les industriels se précipitaient sur la zone franche. C’est notamment le cas d’un certain nombre d’équipementiers automobiles, comme le français Valeo et l’américain Delphi. D’autres suivront avec Renault.

L’atout principal de Tanger est sa proximité avec le continent européen, à moins de 15 kilomètres des côtes de l’Espagne. Une main-d’œuvre bon marché peut permettre à la région de devenir pour l’Europe ce qu’est le Mexique pour les États-Unis : sa base arrière industrielle. Encore faut-il que le royaume parvienne à former les ouvriers en quantité suffisante. Il compte en partie sur les investisseurs étrangers pour assurer cette formation. Renault s’engage ainsi « à former et accompagner le développement des compétences de ses employés locaux ».

L’attrait nouveau de la région risque cependant d’accélérer l’afflux des populations rurales de la montagne du Rif et du reste du Maroc. La ville atteint sans doute le million d’habitants, et chaque jour des constructions sauvages se développent à sa périphérie. Une épreuve est engagée entre la croissance économique et l’arrivée de nouveaux migrants.

Valeurs Actuelles - David Victoroff

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