La lutte contre la corruption ne produit pas de résultats encourageants au Maroc qui est mal logé dans les classements mondiaux depuis quatre ans.
Il est 4 heures du matin. Des dizaines de personnes, adossées, accroupies ou carrément allongées sur des nattes ou des peaux de moutons, ont déjà investi la rue jouxtant le mur de l’annexe du ministère des Affaires étrangères à Rabat. Cette division, spécialisée dans la légalisation des papiers à destination des différents consulats et ambassades étrangers, constitue l’ultime étape d’un pénible parcours, pour une simple certification d’une signature ou de la copie d’un document officiel.
Une heure avant l’ouverture, à 9 heures, des bureaux de cette administration, la rue est déjà assiégée par des centaines de personnes. En cette période d’été, les files d’attente atteignent des niveaux records. Dans une anarchie totale, la rue se transforme en un souk quotidien, où des trafiquants, des courtiers proposent toute une panoplie de services. Devant des fonctionnaires hostiles, dépassés par la charge du travail, ou des policiers désagréables, des querelles et des accrochages éclatent toutes les cinq minutes, comme pour en rajouter à ce tableau chaotique.
« Je suis arrivée à 5 heures du matin. A partir de 8 heures, on est déjà considérés comme des retardataires », explique Hasna, une jeune fille venue de Marrakech légaliser la copie de son diplôme et ses relevés de notes.
Les attentes peuvent durer des heures et des heures. « J’ai fait la queue depuis 5 heures, déposé mes papiers à 9h30 (ndlr : contre un numéro de dossier), il est 11h30 et j’attends toujours qu’on me les rende », ajoute-t-elle.
Avant d’arriver là, Hasna a fait le tour des administrations : il faut d’abord légaliser une première copie à l’arrondissement et une deuxième à la préfecture du lieu de résidence. « Je suis venue une première fois la semaine dernière. Pour un problème de signature, j’ai été obligée de revenir à ma préfecture à Marrakech », lance-t-elle. Elle n’a pas pu régler le problème dans une administration de Rabat, « comme s’il s’agissait d’un autre pays », ironise-t-elle.
« Tout le monde est coupable »
Pour ceux qui disposent d’un peu d’argent, ou qui sont trop pressés et ne peuvent attendre dans des files interminables, d’autres alternatives s’imposent. Des courtiers qui sillonnent la rue proposent des livraisons rapides. Pour un bakchich qui varie de 100 à 500 dirhams, ces jeunes peuvent dépasser les foules et obtenir la légalisation des documents en moins d’une heure.
Accompagné par un de ces courtiers, un jeune venu de Laâyoune affirme avoir obtenu son document en 45 minutes contre 450 dirhams. « Je suis arrivé ce matin à Rabat, le consulat ferme à 15 heures, donc je suis obligé de passer par ces intermédiaires », explique-t-il. Interrogé sur son business, le courtier reste sur la défensive. « Je ne prends qu’un pourcentage sur le bakchich, le reste va aux policiers devant les portes et aux fonctionnaires à l’intérieur », se défend-il.
A chaque fois que la presse aborde le sujet, les autorités procèdent à des arrestations de masse. « On se contente de nous arrêter, nous les courtiers, car personne ne peut rien faire contre les employés et les policiers, martèle-t-il avant d’ajouter : Comme vous voyez, tout le monde est coupable par ici ». Ils sont une dizaine, venus pour la plupart de la ville de Salé ou des quartiers pauvres de la capitale, et ces jeunes restent la seule solution pour éviter de perdre toute une journée.
Les autres se sont spécialisés dans la vente des places à l’intérieur des files. « J’arrive tous les matins vers 4 ou 5 heures, je réserve 4 ou 5 places. Vers 9 heures, je les vends à 100 ou 150 dirhams chacune pour les retardataires », explique ce trentenaire adossé au café du coin. Le guichet ferme à 13 heures. A plein régime, il peut traiter jusqu’à 300 demandes par jour et les demandeurs viennent de toutes les régions du Maroc. Pour les moins chanceux, il faudra revenir et revivre la triste aventure. Car, certainement, la décentralisation n’est pas pour demain.
Le ras-le-bol
Une manifestation improvisée a éclaté jeudi dernier devant cette annexe du ministère des Affaires étrangères. Lassées par des heures d’attente et une anarchie totale, des dizaines de personnes ont dénoncé les pratiques « frauduleuses » des fonctionnaires du service de la légalisation.
La foule a aussi réclamé la création d’autres bureaux dans les autres villes. Ce service connaît une grande affluence en période d’été. En effet, les ambassades et les consulats étrangers exigent que tous les documents présentés soient légalisés et certifiés.
Source : L’Economiste - Aziz El Yaakoubi
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