Au Maroc, Safran utilise "la finesse et la tendresse de la femme" pour produire des pièces d’Airbus

17 décembre 2007 - 23h45 - Economie - Ecrit par : L.A

Au bord de la longue route cabossée de Rhboula, à l’entrée d’Aïn Atiq, cité pauvre du Maroc, des enfants sortis de classe font du stop. A quelques mètres d’eux, une usine de bois et de verre. Rien de clinquant, mais la modernité de ce bâtiment tranche avec le dénuement du lieu.

Sous la tôle "high-tech" de Labinal Maroc - filiale du groupe Safran, née du mariage entre l’électronicien Sagem et le motoriste Snecma - c’est le royaume des femmes. Sur les 410 employés de ce site, à 20 minutes à peine de Rabat, à peine 10 % d’hommes. Plus de 300 ouvrières, âgées de 18 à 30 ans, s’attellent méticuleusement à la tâche. Relier, fixer, souder, dénuder, vérifier, assembler d’interminables câbles électriques, aux nombreuses ramifications. Ils sont destinés aux tableaux de bord des avions A320 ou A400M d’Airbus.

En cette fin d’après-midi, les "filles" sont dissipées. Ça discute. Un peu trop fort, même. Une musique arabe commence à couvrir les bavardages. C’est le signal pour baisser le ton. Parfois, c’est une sirène qui retentit. Malgré cette agitation, les ouvrières restent concentrées. Elles répètent les mêmes gestes, neuf heures par jour, 45 heures par semaine, du lundi au vendredi. Le tout au Smic du pays (9,66 dirhams de l’heure - un peu moins d’un euro). Et elles ont, en plus, une mutuelle. "Ce n’est pas parce que nous sommes dans un pays "low cost" que nous devons faire du "low social"", note Patrick Gaillard, directeur général de Labinal Maroc.

Dans cette unité de production de haute technicité, il n’y a qu’un seul Français : le patron. "Je n’ai pas besoin de compatriotes, insiste M. Gaillard. Je ne veux surtout pas de Français." Les onze ingénieurs - sept hommes et quatre femmes - sont pratiquement tous diplômés de grandes écoles de Casablanca.

Quant aux ouvrières, la majorité ont au moins leur bac + 2. Des diplômes universitaires malheureusement encore infructueux dans ce pays. C’est le cas de Nadia Moujahib, 25 ans. Licence de droit privé en poche, elle se voyait avocate. "Je me suis rendu compte un peu tard qu’il n’y avait pas de travail dans ce domaine", explique-t-elle tout en connectant de minuscules fils à une prise. Leila Moukit, 26 ans, ancienne institutrice, dit ne pas avoir eu d’autre choix que de devenir ouvrière pour gagner plus d’argent.

L’entreprise ne veut pas d’hommes à la production. "Notre travail demande de la finesse et la tendresse de la femme", explique Rachida El Atbani, 38 ans, chargée de la formation. Elles sont aussi moins contestataires, "plus faciles à diriger et plus enclines que les hommes à comprendre le français", estime M. Gaillard. La maîtrise de cette langue est d’ailleurs exigée si l’on veut avoir une chance d’être embauché.

Et pas seulement. Il faut aussi réussir trois épreuves "psychologiques" difficiles. Un test d’intelligence, notamment, mis en place il y a plus de trente ans par le professeur Raymond Bonnardel. Il s’agit de reproduire seize images en dix minutes à l’aide de cubes.

Puis il y a "les rondelles de Piorkowski", un test de dysfonctionnement fonctionnel. L’ouvrière doit placer des tranches d’acier dans une tige. Il n’existe qu’une possibilité. Il faut trouver l’astuce. Enfin, l’examen d’entrée se termine par un exercice de dextérité manuelle et de rapidité. La candidate est notée, et doit avoir au moins huit sur vingt pour espérer être recrutée. Si elle est embauchée, elle rejoindra "une classe" où, pendant cinq semaines, elle se formera au monde du câblage électrique.

"Nous n’avons pas le droit à l’erreur, souligne M. Gaillard. C’est pour cela que nous sommes si exigeants lors de l’embauche." Rachida El Atbani ajoute : "Nous leur faisons comprendre qu’il y a des vies en jeu. Elles ne construisent pas des jouets, mais de vrais avions qui volent."

Et est-ce que "construire" des avions donne envie à ces ouvrières de quitter le Maroc ? "Non, lâche Wissa Dahoudi, 19 ans. L’avenir du pays, comme disent nos parents, c’est l’aéronautique."

Depuis son installation dans le royaume en 2004, Labinal Maroc a vu son chiffre d’affaires passer de 350 000 euros à 20 millions en 2007, et ses effectifs de 42 salariés à 410. La société prévoit 150 nouvelles embauches en 2008.

Le Monde - Mustapha Kessous

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Femme marocaine - Aéronautique - Aïn Atiq

Aller plus loin

Safran renforce sa présence au Maroc

La société Safran Nacelles Maroc, spécialisée dans la construction des équipements de pointe, a inauguré mardi l’extension de son usine à Nouaceur, dédiée à la production des...

Ces articles devraient vous intéresser :

Le burkini banni dans plusieurs piscines au Maroc

Au Maroc, l’interdiction du port du burkini à la piscine de certains hôtels empêche les femmes musulmanes de profiter pleinement de leurs vacances d’été. La mesure est jugée discriminatoire et considérée comme une violation du droit des femmes de...

L’aéroport de Tanger fait peau neuve

Le projet de développement et d’expansion de l’aéroport Ibn Batouta, vise à contribuer au développement touristique et économique de la ville de Tanger. La commune apporte une contribution financière.

Rapport inquiétant sur les violences faites aux femmes marocaines

Au Maroc, les femmes continuent de subir toutes sortes de violence dont les cas enregistrés ne cessent d’augmenter au point d’inquiéter.

Cosmétiques contrefaits : une bombe à retardement pour les Marocaines

Nadia Radouane, spécialiste en dermatologie et esthétique, alerte les Marocaines sur les risques liés à l’utilisation des produits cosmétiques contrefaits.

Maroc : les femmes divorcées réclament des droits

Au Maroc, les appels à la réforme du Code de la famille (Moudawana) continuent. Une association milite pour que la tutelle légale des enfants, qui actuellement revient de droit au père, soit également accordée aux femmes en cas de divorce.

Les Marocaines pénalisées en cas de divorce ?

Des associations féminines sont vent debout contre la réforme d’Abdelatif Ouahbi, ministre de la Justice, imposant aux femmes ayant un revenu supérieur à celui de leur conjoint de verser une pension alimentaire à leurs ex-maris après le divorce.

Aéronautique : le Maroc décolle et concurrence les géants européens

À l’heure où les constructeurs aéronautiques de l’Europe peinent à répondre à la demande, le Maroc travaille à devenir une plaque tournante de l’aérospatiale.

L’actrice Malika El Omari en maison de retraite ?

Malika El Omari n’a pas été placée dans une maison de retraite, a affirmé une source proche de l’actrice marocaine, démentant les rumeurs qui ont circulé récemment sur les réseaux sociaux à son sujet.

« Sexy ! » : le harcèlement de rue dénoncé par une tiktokeuse au Maroc

Une célèbre tiktokeuse vient de visiter le Maroc et elle en vient à la conclusion que c’est le pays le plus sexiste au monde. Elle a toutefois salué l’hospitalité marocaine.

Royal Air Maroc à nouveau critiquée pour la perte de bagages

Abdessamad Kayouh, ministre du Transport et de la Logistique, s’explique sur les retards observés dans la remise des bagages et la perte des bagages dans les aéroports marocains, surtout l’aéroport Mohammed V de Casablanca.