La ruée vers le Maroc

5 juin 2008 - 23h55 - Economie - Ecrit par : L.A

L’engouement des étrangers pour le Maroc, les grands projets de Mohammed VI, les investissements et le boom immobilier modifient le visage du royaume. Sa mue est spectaculaire. Et les Marocains diplômés rentrent au pays. Le Maroc aurait-il une botte secrète pour susciter un tel engouement ? Depuis une douzaine d’années, le royaume chérifien est à la mode. Et la ruée vers ce pays d’ombre et de lumière, de grande richesse et d’extrême pauvreté, où le modernisme côtoie la tradition, n’est visiblement pas près de se calmer.

Une vague de fond qui, après avoir embarqué les people dans son flot, touche aujourd’hui beaucoup de Français, les riches et les moins riches, comme l’Espagne dans les années 70, lorsque Madrid pariait sur le tourisme et les investisseurs étrangers.

Quand Michelle et Robert B. achetèrent, avec deux couples d’amis, des terrains dans la palmeraie de Marrakech au milieu des années 80, ils n’imaginaient pas qu’ils étaient parmi les précurseurs d’un phénomène qui n’a fait que s’accentuer. Pour arriver à leur propriété, une étendue sèche, de couleur crayeuse, plantée de palmiers clairsemés, il fallait jadis parcourir un bon kilomètre d’une piste cahotante et étroite, dont l’entrée était barrée par une fondrière à la première pluie. Puis ils ont vu d’autres Français et des Marocains aisés acheter les terrains alentour, les promoteurs immobiliers sont arrivés et le bitume a recouvert les trous de la piste. La palmeraie est sortie de son oubli, elle est redevenue verdoyante en changeant de vie. Mais nombre de ses anciens habitants sont partis. Ils ne s’y retrouvaient plus.

Explosion des prix

« En 2008, 35 000 Français résident officiellement au Maroc et se sont fait immatriculer au consulat de France. Ils sont en fait deux fois plus nombreux à y vivre », affirme un diplomate. Il y a certes les people qui accourent à Marrakech pour un week-end, viennent s’y marier-tel l’humoriste Jamel Debbouze et la journaliste Mélissa Theuriau. Il y a ceux, retraités ou non, qui achètent des appartements ou des riads dans les médinas de Fès, de Rabat ou de Tanger, pour la beauté des lieux, le plaisir du dépaysement ou avec l’envie d’ouvrir des maisons d’hôtes. Les Anglais leur emboîtent le pas et les tea rooms se multiplient dans les ruelles pentues du vieux Fès. Les Espagnols suivent de près, en particulier dans le Rif, à Tanger et ses environs, où une grande partie de la population, Histoire oblige, parle encore le castillan. Mieux, les sociétés européennes et américaines se pressent pour investir. Sans compter les émirs du Golfe, qui déversent des centaines de millions de dollars dans l’immobilier à Tanger ou Rabat (sur le littoral et le long du fleuve Bou Regreg), bouleversant les paysages urbains du royaume millénaire.

Une folie. La spéculation immobilière est effrénée. Elle a commencé dans le Rif, là où les gros trafiquants de haschisch ont construit et acheté des immeubles entiers pour blanchir l’argent de la drogue. Puis il y a la nécessité de se loger pour les jeunes Marocains, qui n’entendent plus vivre comme autrefois, avec plusieurs générations sous le même toit ; l’arrivée des nouveaux résidents, amateurs d’un art de vivre que le Maroc moderne ne veut surtout pas abandonner, et celle des touristes (5 millions en 2007, 10 millions espérés en 2010) ont fait exploser les prix. Les Marocains aisés ne sont pas en reste. Heureux propriétaire d’une grande villa à l’architecture d’avant-garde dans un quartier chic de Rabat, Ali, industriel, est ravi : en cinq ans, le prix de son terrain a été multiplié par sept. La proportion est pratiquement la même aux quatre coins du pays. Accumulant terrains et maisons qu’ils revendent souvent après quelques mois, les riches Marocains (de 5 à 10 % des 32 millions d’habitants) entretiennent la spéculation et font craindre des lendemains qui déchantent si la bulle immobilière éclate. « Les prix peuvent baisser, pas s’effondrer, car il manque trop de logements pour les citadins les moins aisés », rassure un haut fonctionnaire. Un optimisme qui n’est toutefois pas partagé par tous.

Quoi qu’il en soit, la moindre bourgade est un chantier. Tanger, si longtemps oubliée, va transformer son port ( voir le reportage de Jean Guisnel ) en une marina branchée ; Rabat a abandonné son caractère provincial sans perdre son charme ; Marrakech la rouge explose et revendique, grâce au tourisme, le taux de chômage le plus faible du royaume (moins de 6 %, mais les salaires sont très faibles). Même Fès la religieuse s’est mise au goût du jour. Mais à son rythme et à sa façon, élégante et précieuse. Chaque début du mois de juin (le 6, cette année), le Festival des musiques sacrées est devenu un must. Le concert d’ouverture, sous les remparts ocre illuminés du Mechouar, la place qui précède le grand portail de bois du palais royal, est une des soirées les plus chics et les plus courues de l’année. Les plus grands de l’art lyrique s’y donnent rendez-vous et font accourir le tout-Rabat et le tout-Casablanca, mais aussi nombre d’amateurs européens. Parallèlement, les mêmes orchestres se produisent dans la ville pour des concerts gratuits.

La mue la plus spectaculaire touche Casablanca, la métropole blanche où la spectaculaire mosquée Hassan-II (le deuxième minaret du monde après celui de La Mecque) rivalise avec les tours de verre et d’acier. Un symbole du Maroc de Mohammed VI. C’est là que les investissements étrangers sont le plus visibles. « En ce domaine, le pays a changé d’échelle » , explique Nadia Salah, rédactrice en chef et éditorialiste de L’Economiste, un quotidien épluché par le gotha des affaires et du gouvernement. Elle poursuit : « Maintenant, à moins de 2 milliards de dirhams [180 millions d’euros] , on n’annonce plus les projets à la une. »

Le retour au bercail

Casablanca est devenue la deuxième place financière du continent. Elle draine 48 % des investissements et assure 60 % du PNB du pays. Européens et Américains (la Snecma, EADS, Boeing...) se sont installés dans sa banlieue pour créer Casa Aerocity. En 2008, les seules réparations de moteurs d’avion vont engendrer une activité de 100 millions de dollars. La recherche y commence timidement. Le Maroc a formé 5 000 ingénieurs en 2006 mais en espère 10 000 en 2010. Ce sera le plus difficile. Car il faut plus de temps pour former les hommes que pour attirer les investissements à grands renforts d’incitations fiscales et de faibles coûts de main-d’oeuvre.

Là encore, le Maroc n’a pas dit son dernier mot. Il dispose d’une réserve de matière grise à l’étranger et espère la faire rentrer au pays. Les jeunes des milieux aisés vont faire leurs études à Paris, Montréal, New York, Londres. Autrefois, ils restaient y vivre. Ce n’est plus le cas. Après quelques années, une expérience acquise, ils rentrent au bercail. Ce n’est pas encore un processus de masse, mais plus qu’un frémissement. « Les occasions sont multiples ici, ce serait stupide de ne pas en profiter », explique Brahim Sedrati. Avec son cousin, Reda, ils ont à peine 60 ans à eux deux et ont lancé un quotidien gratuit, le premier du Maroc. « C’est vrai, c’est difficile. Au Canada, on crée une entreprise en trente minutes et personne ne vous dit que vous êtes trop jeune. Mais la concurrence y est rude. Ici, l’administration est tatillonne, tout est lent, mais quand le succès vient la vie est plus facile. » Surtout pour les couples avec enfants. Une évidence qui leur fait sauter le pas.

« Ce n’est pas parce que le pays n’est pas encore au niveau européen que j’allais attendre pour rentrer. Je voulais au contraire faire l’expérience d’une société où tout est à construire », s’enthousiasme Khadija Mekouar. Elle a ouvert un cabinet de conseil aux entreprises étrangères qui veulent installer des franchises. « Je suis arrivée au bon endroit au bon moment, explique-t-elle en secouant ses longues mèches brunes. Les sociétés étrangères voulaient s’installer au Maroc et ne savaient pas comment s’y prendre. Au départ, elles estimaient pouvoir réussir seules, puis elles ont vu qu’il valait mieux me rémunérer et que leur dossier avance plutôt que de faire quatre séjours pour rien. » L’arrivée des Américains et des Anglais, beaucoup moins à l’aise avec ce marché francophone que les entreprises françaises, est une incontestable opportunité pour Khadija, parfaitement bilingue. Elle n’est plus un oiseau rare. Le ministre de l’Economie et des Finances est venu à Paris en mars pour rencontrer des anciens des grandes écoles et les inciter à rentrer. Nommés à la tête de sociétés d’Etat ou d’administrations, on espère qu’ils vont secouer la machine. La lourdeur administrative, surtout des échelons intermédiaires, dont les mentalités n’ont pas évolué, reste un grave handicap.

Ainsi va le Maroc de Mohammed VI, qui fêtera ses 9 ans de pouvoir en juillet-et ses 45 ans en août. Le royaume a un pied dans la modernité, l’autre dans la pauvreté. Le bled, 45 % de la population, n’évolue guère. Les bidonvilles sont toujours une réalité et l’islam radical n’a pas disparu. « Ce n’est pas encore un pays à revenus moyens, mais les pièces du puzzle pour y parvenir sont en train de se mettre en place », affirme un économiste. En cinq ans, c’est la première fois qu’il semble optimiste.

Source : Le Point - Mireille Duteil

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