Le rapport qui dit presque tout sur les dernières élections

7 juin 2008 - 09h13 - Maroc - Ecrit par : L.A

Regroupant pas moins de 1000 associations, fort du soutien de l’Union Européenne et revendiquant plus de 3000 observateurs indépendants lors du scrutin de septembre 2007, le Collectif associatif pour l’observation des élections (CAOE) est un organisme crédible, a priori peu coupable de complaisance, tant envers les partis politiques qu’à l’égard des autorités administratives. Ce collectif, emmené par Kamal Lahbib, président du Forum social – Alternatives, et réunissant entre autres grandes associations l’AMDH et l’OMDH, a fourni son rapport tant attendu sur les dernières élections législatives.

Aux urnes citoyens !

Du bilan électoral, on a surtout retenu que seulement 37% des Marocains se sont déplacés aux urnes le 7 septembre dernier. Mais le rapport du Collectif se veut plus précis, et un tantinet plus alarmiste. “19% de bulletins nuls et environ 2 millions de non-inscrits ramènent le taux de participation à un maximum de 20%”, peut-on y lire. Et d’énumérer les raisons de la désertion des bureaux de vote : “Les dysfonctionnements au niveau de la gouvernance, la corruption endémique, la situation socio-économique critique du pays et la perte de confiance des citoyens dans les partis politiques”. Autant de facteurs qui auraient poussé les Marocains, plus que de coutume, à bouder les urnes. On l’aura compris, le rapport du CAOE n’entend pas faire dans la dentelle. Un travail, chiffres à l’appui, qui est une véritable radioscopie du dernier rendez-vous électoral. Unique réserve sur la pertinence des résultats : seulement 9% des bureaux de vote ont pu être couverts par des observateurs indépendants.

À cela plusieurs raisons, notamment les difficultés d’observation rencontrées par le Collectif. Ses rapports avec le CCDH (qui était en charge de la procédure d’accréditation des observateurs) ont été émaillés d’incidents qui ont compliqué le travail sur le terrain. Le Collectif note ainsi qu’il a finalement “pu recevoir 2825 badges d’accréditation du CCDH, mais seulement la veille du scrutin, ce qui n’a pas permis d’acheminer les badges à travers l’ensemble du territoire, et a empêché plus d’un tiers des observateurs d’accéder aux bureaux de vote”. Par ailleurs, même si, pour la première fois, des observateurs indépendants ont pu assister au dépouillement, certains membres du Collectif n’ont pu faire correctement leur travail, étant parfois victimes d’agressions verbales ou physiques.

Quant aux irrégularités constatées, elles auront été nombreuses. 1054 observateurs du CAOE ont notamment pointé 448 cas de corruption et, globalement, “l’honnêteté des élections a été compromise par les pressions exercées sur de larges secteurs de l’électorat, notamment par l’usage illicite de l’argent et l’exploitation des mosquées lors de la campagne et le jour du scrutin”, ajoute le rapport.

Parti cherche candidat riche

Le paysage politique marocain est également passé sous la loupe du CAOE, qui pointe la responsabilité des partis dans le très faible taux de participation enregistré. Les auteurs du rapport notent ainsi que “la difficulté croissante pour les partis à répondre à leurs fonctions essentielles contribue à la rupture du pacte social entre les citoyens et leurs élites politiques et à l’aggravation de la méfiance et du désarroi des citoyens face à autant de partis (26 en 2002, 36 en 2007)”. Malgré la laborieuse mise à niveau des partis engagée lors de la dernière législature, le chantier reste entier, notamment en ce qui concerne le financement de la campagne électorale par les candidats. Le rapport explique ainsi que “si la loi plafonne le financement d’une campagne électorale à 250 000 DH et prévoit des mesures pour assurer l’égalité entre candidats, ce contrôle ne semble pas effectif, ni même dissuasif”. Et d’ajouter : “C’est là une des raisons qui ont poussé une grande partie des partis politiques à se disputer les candidats riches. Cet état de fait pousse beaucoup de militants à penser que les élections sont surtout l’affaire des riches”.

Qu’en est-il alors du rôle de l’Etat ? Depuis 2002, un fait semblait acquis : l’administration est neutre et ne cherche plus à favoriser tel ou tel candidat. Ce que confirme le rapport du Collectif, tout en dénonçant l’absence de véritables sanctions (hormis quelques mutations) à l’encontre des fonctionnaires convaincus de corruption : “L’Etat a adopté en général une neutralité négative. Il en résulte une défaillance au niveau de l’application de la règle de droit et par conséquent l’impunité de la majorité des auteurs des délits électoraux”. Le Collectif salue toutefois la transparence qui a été de mise en septembre dernier. Les observateurs rappellent ainsi que, contrairement à 2002, le ministère de l’Intérieur a publié les chiffres détaillés de la consultation électorale et que les résultats partiels ont été annoncés au fur et à mesure de leur réception. Il reste que le système électoral semble bien verrouillé en amont, grâce à un découpage électoral qui favorise l’émiettement des partis.

Un rendez-vous manqué ?

Le rapport du Collectif associatif ne se contente pas de pointer du doigt une administration qui a toujours bon dos. Il va parfois (un peu) plus loin, notamment lorsqu’il aborde l’intrusion de Fouad Ali El Himma dans le champ électoral. “L’annonce de la démission de Fouad Ali El Himma, ministre délégué à l’Intérieur, pour briguer un siège lors des législatives 2007, a ébranlé les milieux politiques. (…) La sortie choc d’El Himma a relancé le rôle des SAP (sans appartenance politique)”. En filigrane, les auteurs du rapport se penchent sur le rapport conflictuel d’un Makhzen fan de technocratie, avec des partis politiques en voie de déliquescence. Car en fin de compte, “la population est consciente que la marge d’action du Parlement et du gouvernement reste très limitée. Les vraies décisions en termes d’orientations politiques sont prises par le roi, auquel la Constitution marocaine confère de vastes prérogatives”. D’où la proposition (qui sonne maintenant comme une rengaine) d’une mise à niveau constitutionnelle.

L’objectif premier du Collectif restait d’évaluer la crédibilité du dernier rendez-vous électoral. De nombreux écueils ont été mis en exergue et, au final, le diagnostic du Collectif présidé par Kamal Lahbib est plutôt mitigé : “Il ne s’agit nullement de dire que les consultations législatives marocaines pouvaient modifier le système et le pouvoir politique, qui restent le monopole de la monarchie, mais elles auraient pu permettre au moins de sortir de l’apathie par le renouvellement partiel de la classe politique et contribuer de la sorte à dynamiser le processus politique, tout en donnant une image un tant soit peu fidèle de la carte politique”.

Des chiffres et des votes

Les chiffres produits par le Collectif associatif pour l’observation des élections reposent sur des questionnaires distribués aux électeurs ainsi que sur les conclusions des observateurs déployés sur le terrain. Certes, avec seulement 9% des bureaux de vote couverts par les observateurs, la portée de ces chiffres est à relativiser. Toujours est-il qu’ils révèlent quelques tendances qui en disent long sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées les élections du 7 septembre 2007.

• 4,2% des bureaux de vote étaient dépourvus… d’urnes.
• 5,4% des bureaux de vote ne disposaient même pas de listes d’électeurs.
• 9,6% des bureaux de vote n’affichaient pas la liste des candidats.
• 1,5% des électeurs ont voté sans avoir à justifier de leur identité.
• Dans 5,2% des cas, le vote s’est fait sans carte d’électeur.
• Dans 13% des cas, les observateurs ont noté une négligence dans le contrôle d’identité.
• Dans 5% des cas, le vote ne s’est pas fait dans l’isoloir.
• Les observateurs ont dénombré 3% de cas d’usurpation d’identité.
• Près de 4% des électeurs ont quitté les bureaux de vote sans voter à cause de l’attente.

Source : TelQuel - Souleïman Bencheikh

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