Toutefois, le ministre de la Justice marocain, Mohamed Bouzoubâa, a désigné, dans une déclaration à la BBC, la Jamaât Assirat el Moustaquim (le droit chemin) comme responsable des attentats. L’enquête s’oriente également vers le groupe El Hidjra oua Tekfir. La piste marocaine semble donc privilégiée.
Assirat el Moustaquim, fondée, dit-on, par d’anciens Afghans marocains - tout comme d’ailleurs la Salafia Djihadia - était jusque-là considérée comme un groupuscule sévissant dans certains quartiers populaires de Casablanca et d’autres villes marocaines. Pourtant, les autorités marocaines auraient dû être alertées et prendre la mesure du danger lorsque ce groupe radical, dirigé par Miloudi Zakaria, 35 ans, s’était illustré par une série d’agressions et de meurtres durant l’été 2002. La lapidation d’un jeune Marocain jusqu’à ce que mort s’ensuive sur ordre de Zakaria, le 23 février 2002, avait pourtant défrayé la chronique. C’est seulement à partir de cette date que l’existence de ce groupe a été rendue publique. Or, pour cette affaire, Zakaria Miloudi n’a été condamné qu’à un an de prison, avant d’être remis en liberté en avril dernier. Tandis que l’organisateur de la lapidation, Adil Bachar, avait écopé d’une peine de 20 ans de prison. L’affaire avait été traitée comme un fait divers. Les autorités marocaines ont surtout cherché à banaliser cette affaire, refusant d’y voir l’indice d’un début de terrorisme islamiste. Toutefois, Zakaria a été remis en prison pour appartenance à Salafia Djihadia.
Assirat el Moustaquim se revendique de la mouvance des salafistes combattants, les djihadistes. Pour l’heure, on sait peu de choses sur cette organisation et ses ramifications à l’échelle du Maroc. Tout comme on ne connaît pas si elle a des liens avec Salafia Djihadia qui d’après les services marocains, dispose d’un millier de membres, hormis que les deux organisations se revendiquent de la même idéologie radicale, édictant des fatwas à l’encontre des personnes qui ne se conforment pas à l’islam tel qu’elles le conçoivent. La plupart des cadavres retrouvés à Casablanca, dont celui d’une femme sans tête ni bras, seraient l’uvre de Assirat el Moustaquim, organisation qui a décidé sans attendre de passer à l’action. Les services marocains, cités par la presse, sont convaincus que Assirat el Moustaquim et Salafia Djihadia sont derrière les attentats kamikazes.
Les deux organisations qui militent pour le même objectif, avec les mêmes méthodes, ont sans doute regroupé leurs forces. En frappant des lieux touristiques mais fréquentés par une clientèle majoritairement marocaine, ils ont donc décidé de passer à une étape supérieure. Le but n’est pas seulement de punir les « mécréants » marocains mais de porter un coup à l’industrie touristique, deuxième source de devises de l’Etat marocain, et qui emploie 600 000 salariés. Ces attentats risquent de plus de remettre en cause de nombreux projets d’investissement touristique, comme le développement de cinq stations balnéaires dans le cadre d’un projet financé à hauteur de 4,2 milliards de dollars. Les conséquences sont connues : aggraver davantage la situation économique dans un Maroc en proie déjà à une paupérisation croissante, et ce, dans un contexte international exacerbé, provoqué par la guerre contre l’Irak et la situation en Palestine ; le but est de priver le pays d’importantes rentrées en devises, d’accroître, ce faisant, le mécontentement social en vue d’élargir la base sociale des islamistes radicaux. Assirat el Moustaquim et Salafia Djihadia ne tuent donc pas pour le simple plaisir de tuer, mais pour faire imploser la monarchie marocaine en vue de l’établissement d’un Etat islamiste. Dans leurs multiples entretiens - voir Le Matin des 14 décembre 2002 et 19 mai 2003 - ses têtes pensantes, comme Abou Hafs, n’ont caché ni leur but ni l’idéologie dont elles se revendiquent. Pour le Maroc, qui a longtemps pratiqué la politique de l’autruche à l’égard de ses islamistes, le plus dur commence. Benjamin Stora n’a pas tort quand il affirme que l’on « assiste à la fin d’un cycle historique ».
Hassan Zerrouky pour Le Matin