Voile : Sois belle, mais pas trop

8 décembre 2007 - 01h12 - Maroc - Ecrit par : L.A

Vêtue d’un ensemble léopard (tunique et voile), une jeune femme avance fièrement sur les trottoirs du Boulevard Mohammed V, à Casablanca. Sur son passage, quelques regards masculins s’attardent un instant, sans qu’elle n’y prête attention. “Il y a quelques années, l’imprimé léopard était très mal vu, une femme ‘bien’ ne pouvait pas en porter”, assure Ilham Benzakour, journaliste du magazine féminin
Citadine.

Signe d’une certaine évolution des moeurs, le léopard a perdu toute valeur de provocation. Même Khadija, une quarantenaire mère de famille, arbore un foulard décoré du même motif. “J’achète mes foulards chez Chanel, Yves Saint-Laurent ou Dior. À près de 1200 euros pièce, ça finit par revenir cher !”, sourit-elle, en fouillant dans son sac. Un Louis Vuitton bien sûr.

Les paradoxes n’embarrassent pas Khadija. “Je porte le voile depuis quelques années. Et je me sens mieux aujourd’hui que quand je portais des minijupes à 20 ans”, raconte-t-elle, assurant “qu’une femme doit se faire belle, d’abord pour elle-même et ensuite pour son mari”. Comme Khadija, de nombreuses Marocaines affichent volontiers leur retour à un certain conservatisme, sans pour autant abandonner une coquetterie toute féminine.

“La civilisation actuelle est celle de l’apparence. On doit montrer qu’on est élégante, qu’on porte des vêtements de marque. Et les filles voilées participent aussi à cette tendance”, explique Assia Akesbi, psychologue. Les marques à tout prix, voici donc le credo de la Marocaine “fashion”, voilée ou pas. Surtout que depuis quelques années, l’engouement pour les griffes s’est (relativement) démocratisé. “Même une femme de ménage va mettre de l’argent de côté pour s’offrir les chaussures ou la robe dont elle rêve, quitte à les payer en cinq fois”, assure Ilham Benzakour. Ou à s’en acheter une contrefaçon.

La mode, une question politique

Pour la journaliste de mode, cette coquetterie est moins légère qu’elle en a l’air. “C’est parce qu’aujourd’hui les femmes travaillent qu’elles peuvent s’offrir ces vêtements. Cette question est en fait très politique”, souligne-t-elle, estimant que l’engagement royal pour l’émancipation des femmes a joué un rôle moteur dans cette évolution. Mais c’est aussi le développement de la presse féminine qui a “fait l’éducation” des femmes en matière de mode. Les franchises bon marché ont aussi permis aux Marocaines de rester “in” sans se ruiner.

“J’achète presque tout chez Zara, Promod et Stradivarius”, confirme Hind, 24 ans, commerciale dans une entreprise de matériel informatique. Entre le coiffeur, l’épilation, le maquillage et la garde-robe, elle débourse un minimum de 1000 dirhams par mois pour se faire belle. Quant aux remarques des hommes sur son passage, elle les trouve souvent agaçantes, plus rarement flatteuses. La rue reste un terrain miné : “Je m’habille très librement parce que je me déplace en voiture”, avoue-t-elle. Sa sœur Fatima-Zohra, 18 ans, est étudiante en droit. Grande fan des jeans “slim”, elle enfile toujours une veste un tantinet trop longue, pour aller à pied à l’université, histoire de ne pas se faire “embêter” tous les cinquante mètres. Et il ne s’agit pas toujours de drague. “Il y a quelques années, on pouvait encore porter un débardeur dans la rue sans aucun problème”, raconte Sanaa, commerciale dans une agence de communication. Mais depuis qu’un homme lui a reproché, en pleine rue, d’avoir les bras découverts, elle a appris à les cacher sous une veste… alors que dans les années 70, sa mère portait des minijupes sans que cela n’émeuve personne.

Aujourd’hui, c’est la nudité (toute relative) qui dérange : le jean moulant est l’uniforme de la Marocaine, rares sont les robes courtes dans les rues de Casablanca et Rabat. L’islamo-conservatisme est passé par là. “Le réinvestissement des valeurs conservatrices est plus identitaire que religieux, nuance cependant Myriam Cheikh, anthropologue. C’est une façade, un réajustement du discours plus que des pratiques”. Car la généralisation de la mixité reste l’évolution de fond : hommes et femmes se côtoient de plus en plus, au travail comme dans la rue. Les hommes commencent à s’habituer à la présence féminine dans l’espace public, même s’ils continuent à l’ausculter du regard ou à réprimander verbalement les demoiselles trop dénudées. Rien d’autre que le symptôme d’un mâle déboussolé par l’indépendance croissante, et irréversible, du sexe dit faible.

TelQuel - Nina Hubinet

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Religion - Liberté d’expression - Mode - Femme marocaine

Ces articles devraient vous intéresser :

Vers une révolution des droits des femmes au Maroc ?

Le gouvernement marocain s’apprête à modifier le Code de la famille ou Moudawana pour promouvoir une égalité entre l’homme et la femme et davantage garantir les droits des femmes et des enfants.

Maroc : Les femmes toujours "piégées" malgré des avancées

Le Maroc fait partie des pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord qui travaillent à mettre fin aux restrictions à la mobilité des femmes, mais certaines pratiques discriminatoires à l’égard des femmes ont encore la peau dure. C’est ce...

Aïd al-Adha : ruée de Marocains vers l’Espagne

Alors que de nombreux Marocains résidant à l’étranger (MRE) rentrent au Maroc pour y passer les congés de l’Aïd al-Adha, certaines familles marocaines font le chemin inverse.

Hajj : une clause "anti-protestation" fait polémique au Maroc

L’introduction par le ministère des Habous et des Affaires islamiques dirigé par Ahmed Taoufiq d’une clause qui oblige le pèlerin marocain pour le hajj 2024, un des cinq piliers de l’islam, « à ne pas protester même en cas de retard de l’avion », fait...

Maroc : « Marée » de déchets après les iftars sur les plages

Les associations de défense de l’environnement dénoncent le non-respect des règles environnementales par certaines familles qui laissent d’importantes quantités de déchets sur les plages après y avoir rompu le jeûne pendant le mois de Ramadan.

Ramadan : Un mois de spiritualité… et de bagarres ?

Le Ramadan, mois sacré pour les musulmans, est synonyme de spiritualité et de partage. Mais au Maroc, il prend également une tournure plus sombre avec l’apparition d’un phénomène bien connu : la “Tramdena”. Ce terme désigne l’irritabilité et...

Maroc : la date de l’Aïd al-Adha 2024 connue

L’Aïd El Adha 2024 est l’une des célébrations les plus importantes pour les musulmans. Quand aura-t-il lieu au Maroc ?

Aïd al Adha au Maroc : l’appel à l’annulation monte sur les réseaux sociaux

Alors que certains Marocains appellent à l’annulation de la célébration de l’Aïd al-Adha sur les réseaux sociaux, d’autres tiennent au respect de cette tradition religieuse.

Jeux olympiques Paris 2024 : la controverse transgenre chez les chrétiens marocains

Les chrétiens marocains sont divisés au sujet de l’apparition de personnes transgenres simulant la Cène à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris vendredi. Alors que l’Union des chrétiens marocains soutient « fortement » cette initiative,...

Ramadan et menstrues : le tabou du jeûne brisé

Chaque Ramadan, la question du jeûne pendant les menstrues revient hanter les femmes musulmanes. La réponse n’est jamais claire, noyée dans un tabou tenace.