Siham a 24 ans et une licence en économie. Elle termine une formation de six mois à « la comptabilité française » dans le nouveau complexe consacré aux « métiers de l’offshoring ». Ce centre public de formation, qui collabore avec le Conservatoire national des arts et métiers à Paris, est situé juste en contrebas de Casanearshore.
Ce futur parc d’activités doit accueillir à la fin de l’année les premières entreprises étrangères délocalisant à Casablanca leurs services administratifs. Dès qu’elle maîtrisera les nouvelles normes comptables IAS et IFRS, Siham espère bien y travailler.
Sur le chantier, on peut déjà imaginer les 8.000 m² prévus pour BNP Paribas. Les ouvriers sont en train de couler la dalle du premier étage. Bull, CapGemini, Atos Origin, entre autres, ont aussi réservé leur espace. « J’ai 90 % de la première tranche déjà remplis », se félicite le directeur général de Casanear shore, Naim Temsamani, espérant qu’Axa finira aussi par venir. L’assureur français a un projet de 1.500 emplois au Maroc.
250.000 m² de bureaux neufs
La place ne manque pas dans ce parc boisé au sud-ouest de Casablanca. Multipliant les road-shows (tournées promotionnelles) en Europe, Naim Temsamani a 250.000 m² de bureaux neufs câblés, climatisés et sécurisés à offrir d’ici à trois ans. Le jeune ambassadeur du roi du Maroc en France, Fathallah Sijilmassi, l’appuie en sillonnant l’Hexagone et en organisant plusieurs rendez-vous sur l’offshoring à Paris.
À Casablanca se tient cette semaine le premier salon du BPO, le business process outsourcing. Autrement dit, « l’externalisation partielle ou complète de processus financiers », comme le définit le consultant Nicolas Berbineau dans le quotidien marocain L’Économiste.
À 8 € le mètre carré (contre par exemple 130 € à Cergy-Pontoise, en France), le loyer de lancement est un attrait spécifique de Casanearshore. Mais pas le majeur. Outre l’absence d’imposition sur leurs bénéfices pendant les cinq premiers exercices, les entreprises étrangères sont surtout intéressées par la faiblesse des charges qui pèseront sur leur masse salariale.
Un facteur décisif, puisque les activités tertiaires qui seront redéployées ici, comme la saisie comptable ou la maintenance de systèmes d’information, exigent avant tout de substantiels effectifs qualifiés.
Ceux-là mêmes que le pays est en train de former, comme à travers l’objectif « 10 000 ingénieurs » pour 2013, contre 2 700 formés par an actuellement. De quoi alimenter, après l’expérience pilote de Casanearshore, d’autres zones comparables à l’étude ou encore dans les cartons : Rabatshore, Tangershore et Marrakechshore.
Francophonie et compétitivité des salaires
Par ce package agressif, le gouvernement marocain entend rivaliser avec la Roumanie ou la Pologne, où par exemple Bull a déjà délocalisé un premier centre de services. Comme l’a bien compris Naim Temsamani, « ce n’est pas leur cœur de métier que les sociétés viennent établir ici », conscient qu’à la différence d’un investissement lourd dans une usine, ces activités de back-office (administration, comptabilité, informatique, assistance téléphonique aux clients) peuvent être déplacées plus vite encore vers d’autres rives.
Le royaume chérifien parie toutefois sur une décentralisation tertiaire, qui ne va que s’accroître. Et qu’au regard de leurs concurrentes anglo-saxonnes, les entreprises françaises n’en sont qu’à leurs débuts dans ce domaine. Le Maroc se présente à elles comme une petite Inde. En beaucoup plus proche, et parlant français ! Des atouts dont ont tiré profit en premier les centres d’appels, en plein essor.
« On trouve ici la francophonie, la compétitivité des salaires et du réseau téléphonique nécessaire », énumère Frédéric Jousset, PDG de Webhelp, qui a ouvert en 2002 son premier centre à Rabat. « Dès qu’une externalisation est réussie en France, la question de la transférer ici désormais se pose », observe le directeur général et cofondateur d’Outsourcia, Youssef Chraibi.
Outre des centres d’appels, cette jeune société de Casablanca développe une prestation de services d’offshoring administratif (BPO) et informatique pour les entreprises qui, en plus de délocaliser ces activités au Maroc, les externalisent à un prestataire.
Le Maroc jette ainsi les fondations pour assurer le back-office des entreprises européennes, et singulièrement françaises. Cette ambition centrale du « plan Émergence » du gouvernement sert de réponse au chômage massif de la jeunesse marocaine. À lui seul, Casanearshore promet de procurer 30 000 emplois en « rythme de croisière ».
Logan « made in Marocco »
L’offshoring draine aussi un nouveau type d’investissements directs étrangers pour compenser les propres délocalisations que le pays subit au profit de l’Asie. Le Maroc a vu récemment lui échapper les savons Palmolive, des produits Nivea ou encore la margarine Unilever.
Pour autant, le Maroc ne renonce pas à toute ambition industrielle. Juste à côté de Casanearshore, une filiale du groupe Safran, Teuchos, construit un prochain bureau de recherche-développement pour la fin de l’année. L’américain Minco doit commencer ce mois-ci les travaux de sa nouvelle usine : la sous-traitance aéronautique a été retenue par le plan Émergence comme un secteur où le Maroc détient un avantage comparatif à valoriser.
Dans la sous-traitance automobile aussi. « Nous devons élargir la gamme des équipementiers, former davantage d’ingénieurs et disposer d’une meilleure logistique pour exporter des produits finis », détaille à La Croix le PDG de la Société marocaine de constructions automobiles (Somaca, en majorité détenue par Renault), Larbi Belarbi, qui fédère aussi le secteur.
« Cette mise à niveau est le corollaire de l’ouverture économique du pays, qui a signé plusieurs accords de libre-échange », analyse un diplomate européen en poste à Rabat.
Mais pour Larbi Belarbi, l’Europe aussi va en tirer profit : « C’est du gagnant-gagnant : le Maroc, tout en se développant, va aider les entreprises européennes à être plus compétitives dans la mondialisation. »
Début juin, son usine d’assemblage de Casablanca doit exporter les premières Logan de Renault vers la France et l’Espagne pour commencer. Une première pour le pays jusqu’alors habitué, à l’inverse, à importer des voitures d’occasion. Et où la Logan « made in Marocco » commence à séduire une classe moyenne, elle aussi en pleine « émergence ».
Sébastien Maillard - La Croix