Maroc : Attention, maître dangereux

18 mai 2007 - 01h51 - Maroc - Ecrit par : L.A

C’est la dernière mode dans les quartiers populaires de Casablanca : se balader avec un gros pitbull au bout du bras. Souvent dressés pour le combat et sélectionnés pour leur agressivité, ces molosses inquiètent de plus en plus les autorités. Jusqu’à les interdire ? Casquette sur la tête, pantalon baggy et voix cassée par trop d’excès, Amine a le regard fier.

Au bout de son bras, Graf, un pitbull blanc à la musculature massive et à la mâchoire impressionnante jette des regards mauvais à qui s’approche un peu trop de son maître. Quelques petits coups vifs dans les côtes, deux sifflements et l’animal se jette comme une furie sur un adolescent qui attend avec son chien à quelques mètres. « C’est pour ça que j’aime mon chien. Il est gros, agressif, méchant si je lui demande. Les gens me respectent avec lui », sourit-il en s’agrippant des deux mains à Graf pour éviter qu’il dévore le staff américain face à lui.

Dans cette rue du quartier Polo à Casablanca, les passants n’ont pas l’air d’apprécier autant le molosse que son propriétaire et changent tous de trottoir à l’approche de l’imposant cerbère. Pas de quoi inquiéter Amine : « Tant qu’on ne me cherche pas de problème, mon chien est sous contrôle, il n’y a pas de danger », tente-t-il de convaincre.

Accessoire de mode

Ce Casablancais de 20 ans se séparerait d’autant moins de Graf et de ses quatre autres pitbulls qu’ils lui assurent une certaine image de marque quand il se balade dans son quartier. En quelques années, le pitbull est en effet devenu l’accessoire à la mode de la jeunesse désœuvrée des quartiers populaires. « C’est la même chose qu’avoir un tee-shirt de marque. Acheter un pitbull est un vrai phénomène de mode chez les jeunes qui représentent la grande majorité des propriétaires. En deux ou trois ans, on a vu les ventes de ce type d’animal complètement exploser », explique Imad Chihi, éleveur et dresseur canin qui ne compte plus les demandes de pitbulls reçues sur son site Internet. Résultat, ces chiens issus du croisement entre les terriers (chiens anglais agressifs et résistant à la douleur) et les molosses (chiens puissants, de grande taille) pullulent dans les quartiers périphériques de Casablanca et, dans une moindre mesure, dans les autres villes du royaume.

Derrière ce succès impressionnant se cache bien sûr un phénomène de mode, mais pas seulement. La raison de la popularité du pit est aussi économique. D’abord parce que, succès oblige, le prix de ce molosse a drastiquement chuté pour en faire un des chiens les moins chers du marché. « Il y a tout juste 4 ou 5 ans, les pitbulls pouvaient se vendre de 5000 à 8000 DH. Aujourd’hui vous pouvez en trouver de 200 à 500 DH sur certains marchés aux chiens comme celui de Derb Qrea », expliquent les jumeaux Lahcen et Houcine Fikli, éleveurs canins et piliers de l’Association marocaine de protection des animaux et de l’environnement. Et puis, parce que posséder un de ces monstres de musculature peut permettre de se faire de juteux profits grâce aux combats de pits organisés le week-end en toute clandestinité. Ces affrontements canins ultra violents, où les stars du coup de croc s’appellent Tyson, Brad ou Veto, génèrent des paris qui peuvent atteindre plusieurs milliers de dirhams pour les plus grosses têtes d’affiche. Ils permettent aussi de faire monter la côte de ces gladiateurs sur quatre pattes. « À chaque combat gagné, mes chiens prennent de la valeur. Leurs victoires me rendent bien sûr fier, mais permettent surtout de faire monter leurs prix pour féconder des femelles », se félicite Karim, 27 ans, qui court les combats avec les deux pitbulls qu’il s’est offerts il y a un peu plus d’un an.

Combats sanglants

Longtemps organisés dans les quartiers populaires de Casablanca, particulièrement à l’Hermitage, à Polo ou près de la gare de Casa port, ces affrontements, parfois à mort, de plus en plus populaires s’exilent aujourd’hui à la frontière de la capitale économique, du côté des plages de Dar Bouazza ou Bouskoura. Les pitbulls en général, et ces combats sanglants en particulier, sont de plus en plus en ligne de mire des autorités et les contrôles policiers sont de plus en plus nombreux. « On assiste à une multiplication du nombre de chiens susceptibles de présenter un danger pour les personnes du fait de leurs caractéristiques propres, mais surtout des conditions dans lesquelles ils sont dressés.

Ces animaux sont précisément recherchés parce qu’ils sont dangereux », justifie-t-on au ministère de l’Intérieur. Il faut dire que les cas d’agression et d’utilisation de ces chiens comme armes pour des vols se multiplient. Et que pour les transformer en pointure des combats de ring ou en Médor surexcités pour frimer dans la rue, une grande partie de leurs propriétaires les dresse pour attaquer. Au risque de les voir se retourner contre leurs maîtres. « C’est très dangereux car ces chiens deviennent imprévisibles. Et même si le pitbull n’est pas forcément un chien franchement plus agressif qu’un caniche à la base, il peut devenir une vraie machine à tuer du fait de son physique très particulier. Il a une musculature particulièrement développée et surtout une mâchoire ultra puissante qui déchiquète ce qu’elle mord et qu’il est difficile de faire lâcher », explique le docteur Assoual, directeur des Services vétérinaires de la région grand Casablanca.

Armes dangereuses

Depuis la création de l’Association marocaine de protection des animaux et de l’environnement, Lahcen et Houcine Fikli sillonnent les rues pour tenter de convaincre les jeunes propriétaires de ne pas dresser leurs chiens à être agressifs. « Il n’y a pas de mauvais chien, il n’y a que de mauvais maîtres. Et vu le nombre de mauvais maîtres qui dressent ces pitbulls pour qu’ils deviennent de véritables armes, il est temps de faire quelque chose », martèlent-ils. Comme de plus en plus de professionnels du secteur, les deux frères préconisent de limiter drastiquement, voire d’interdire la détention des pitbulls, comme c’est le cas en France depuis la loi du 6 janvier 1999 qui assimile ces molosses à des armes. « C’est la seule solution. Vu le prix de plus en plus bas des pits et leur popularité, on risque de se retrouver rapidement dans une solution ingérable où ces molosses deviendront dominants et impossibles à éradiquer », explique Lahcen Fikli. Autant dire que les annonces dans la presse, ces derniers jours, de l’émission d’une circulaire et d’un futur projet de loi interdisant la possession, l’achat et l’importation de cette race hybride de chiens n’est pas passée inaperçue. Du côté du ministère de l’Intérieur et de la wilaya de Casablanca, on dément pourtant l’existence de quelconques nouveaux textes sur le sujet. Mais certaines sources au sein de l’institution confirment que les pitbulls sont bel et bien en ligne de mire de la DGSN. Il vaudrait mieux. À moins de vouloir courir le risque de tomber sur un sacré os.

Amélie Amilhau

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