Interpellé par un groupe parlementaire sur le droit des Marocains résidant à l’étranger (MRE) à participer aux élections au Maroc, Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur a répondu sans détour.
“Le PJD est monté au créneau car nous sommes leur antithèse. Nous leur faisons peur car nous constituons un danger pour leurs idées”, analyse Mohamed Merhari, alias Momo, l’une des têtes pensantes de L’Boulevard, en parcourant l’article incendiaire du quotidien Attajdid, publié le 4 juin dernier. Une pleine page de photos prises lors de la journée consacrée au metal : des jeunes tout de noir vêtus, croix chrétienne inversée au cou.
Un Mohamed Merhari stoïque, car nullement surpris par le discours de l’organe de presse officieux du PJD sur “le danger que constitue L’Boulevard pour l’identité marocaine”. Le jeune homme est effectivement familier des propos sur “la menace de l’Occident”, accusé de créer des mouvements culturels artificiels, juste à dessein de saper et salir nos valeurs traditionnelles (et que tout le monde, bien entendu, nous envie de par le monde). Un raisonnement biscornu qui en arrive, au nom d’un islam aussi hermétique qu’une vierge enfermée à double tour, à nier l’effervescence culturelle que connaît le Maroc depuis quelques années. Une dynamique portée par des Marocains pur jus, et dont l’Boulevard est devenu la tête de pont.
Fidèle à son credo anti-festivals, le parti de Saâdeddine El Othmani a une nouvelle fois cloué au pilori cette manifestation musicale, assimilée à une orgie où le stupre le disputerait aux rites sataniques. Best of du pire : “Les jeunes, venant des quatre coins du pays, ont été fidèles au rendez-vous avec l’alcool, la distribution de pilules hallucinogènes, la défécation en public, l’échange de baisers entre hommes et la promiscuité honteuse avec les femmes, dans un dandinement hystérique sous l’effet de la drogue et de la transe musicale… Des coiffures qui rappellent l’image des démons comme nous l’ont décrite les contes”. Des contes à dormir debout, sans aucun doute, qui, resservis sous forme de diatribes enflammées, feraient faire des cauchemars au plus doux des rêveurs.
En résumé, l’inventaire à la Prévert des sept péchés capitaux, dressé par Attajdid, accuse L’Boulevard d’être l’antre de la débauche, une réplique de Sodome et Gomorrhe et Babylone réunies, fréquenté uniquement par de jeunes fornicateurs. Une mappemonde géographique (aussi bien biblique que coranique) de la débauche que le PJD a réussi à caser, grâce à un prêt-à-penser figé aux alentours du 15ème jour de l’Hégire, dans l’espace confiné du COC où s’est tenu L’Boulevard. Un exploit en soi que n’auraient même pas réussi Ibn Batouta et Marco Polo réunis. Sauf que cette fois-ci, au-delà de ses indignations outrées, antiennes pavloviennes qui pointent le bout de leur nez chaque été, le PJD a enclenché le turbo pour la dernière édition de L’Boulevard… année électorale oblige.
La sale besogne a été confiée à l’exécuteur des hautes œuvres, la trompette du jugement dernier la plus criarde et la plus barbue du PJD : Abdelilah Benkirane, président du Conseil national du parti. Joignant le geste à la parole, Benkirane a voulu remettre à Chakib Benmoussa, ministre de l’Intérieur, des photos à charge contre L’Boulevard. Teneur des clichés : des looks non homologués ISO 9001, selon les critères de la mode BCBG du PJD. Hirsute, on peut l’être selon Attajdid, mais si on est mal rasé. Pas si on est mal coiffé. De la délation pure et simple des “impurs” avec des cheveux partout, même sur la langue.
Nayda or not Nayda
“Attajdid s’attache à l’aspect théâtral propre au metal, tentant ainsi de capitaliser sur l’affaire des quatorze musiciens accusés de satanisme en mai 2003”, analyse Hicham Abkari, chargé de l’animation culturelle à la Ville de Casablanca. Avant d’ajouter de manière lapidaire : “C’est le spectaculaire avant tout, conformément à leur discours religieux, basé sur la manifestation la plus visible possible de la religiosité”. Par contre, silence assourdissant des gardiens du temple sur le contenu musical de ces messes profanes que sont les festivals. En s’attachant purement à la forme, la tenue vestimentaire des jeunes de L’Boulevard, les critiques d’Attajdid en oublient le fond. Le public y est diversifié, pas autant qu’une enquête du Haut commissariat au plan sur les jeunes, mais presque : “J’ai vu des jeunes filles voilées danser au L’Boulevard. Je les ai filmées, mais je n’ai pas cherché à recueillir leurs témoignages. Je ne voulais pas les stigmatiser pour leur look détonnant dans cet espace”, confie la réalisatrice Farida Belyazid, qui tourne à l’heure actuelle un documentaire intitulé “Casa Nayda” et consacré à ce mouvement culturel en cours de constitution.
La pudeur et la classe de Farida Belyazid, nous aurions aimé les lire sous la plume de Rachid Nini. Au lieu de cela, l’éditorialiste d’Al Massae a défini le mouvement Nayda comme creux, monté de toutes pièces par les médias. Et pourtant, utilisant les techniques de marketing journalistique dont il accuse les autres, le quotidien arabophone a publié, dans son édition du 9 juin, un article sur L’Boulevard vendu de manière racoleuse. Ainsi, gros comme un éléphant dans un couloir, le titre d’Al Massae annonce : “Des rouleaux de haschich, des lesbiennes et des jeunes qui veulent devenir des ânes”. Anodin et aussi inoffensif qu’une fourmi, le reportage signale au passage deux filles qui s’embrassent dans un coin, s’enhardissant jusqu’à oser le baiser en public. Ce n’est sans doute pas du domaine du chien écrasé, le fait mérite donc d’être noté, mais l’occasion était trop belle pour ne pas faire son larron. “Aucun de ceux qui nous ont attaqués sur L’Boulevard n’a glissé un seul mot sur la musique, les ateliers de création vidéo et les résidences d’artistes que nous avons mis en place”, s’indigne Mohamed Merhari.
C’est ce déni total d’un travail de 9 ans, âge de L’Boulevard, qui a le plus choqué ce dernier. “On ne peut pas les accuser de détruire l’identité marocaine. J’ai filmé des Issaouas 1000 fois plus hard que les amateurs de metal”, signale Farida Belyazid. Mais les métalleux battent à plate couture les Issaouas sur l’échelle du shocking. Pour Mohamed Merhari, “le quotidien Al Massae a clairement joué avec le feu jetant ces jeunes en pâture à la vindicte populaire”, s’indigne-t-il.
Nayda à l’ombre des obscurantistes
La pluie d’anathèmes qui s’est abattue sur les jeunes métalleux obscurcit l’éclaircie culturelle que représente la multiplication des manifestations musicales qui donne corps (et esprit) au mouvement Nayda. “On nous accuse d’avoir inventé de toutes pièces cette effervescence artistique qui serait, selon certains, le fait unique de gosses de riches désoeuvrés. S’ils s’étaient donné la peine de venir voir les groupes sur scène et le public présent, ils auraient pu constater de visu qu’ils viennent de quartiers populaires casablancais comme Sbata ou El Bernoussi”, fait remarquer Momo. Désoeuvrés peut-être, mais pas riches. D’ailleurs, et juste pour l’anecdote, un seul groupe issu des “classes dominantes” de Lyautey s’est produit sur scène cette année. “Et alors ? Sous prétexte qu’ils sont aisés, ils n’ont pas le droit d’exister ? Tous les Maroc sont vrais, aussi bien le leur que celui des extrémistes”, s’emporte-t-il.
Qu’on aime ou qu’on déteste la musique de la nouvelle scène ou ce qu’elle représente, il serait de mauvaise foi de présenter ses fans et ses porte-voix comme des victimes du “casablanquisme”, comme on accuse certains artistes français de faire du parisianisme. Peut-on encore parler de mouvement sans fondement, autre que médiatique, quand les jeunes de Dakhla attendent de nuit l’arrivée de Darga ou H-Kayne à l’aéroport, lors du festival tenu dans la ville du sud au mois de mars dernier ? “Ces jeunes se sont trouvé des idoles purement marocaines, auxquelles ils s’identifient. Ils ne piochent plus sur MTV leurs modèles artistiques”, explique Mohamed Merhari. Et comble de l’ironie, et plus beau démenti sur ces artistes censés être exogènes à la culture marocaine, ce sont les groupes de la nouvelle scène qui ont été appelés à la rescousse pour sauver de la désaffection, en juillet prochain, le Festival de Marrakech… des Arts populaires. C’est encore eux qui ont décoincé, courant juin, cet antre de la culture officielle qu’est le Festival des musiques sacrées de Fès. Des musiques de celles qui vous ouvrent direct les portes des cieux. Mais pas celui du 7ème, à cause d’un horizon très bouché.
En effet, on se mettrait le doigt dans l’œil jusqu’au coude, en voyant dans cette jeunesse qui se lâche, un tsunami de liberté appelé à ensevelir le Maroc, de Tanger à Grigrate, sous une montagne de fleurs. “Nous savons que nous ne faisons que défricher de nouveaux territoires”, reconnaît un jeune musicien. Mais tous les jeunes ont-ils des vocations de défricheurs ? Il est permis d’en douter. Les animateurs des nouvelles tendances artistiques ressemblent davantage à ces fameuses minorités agissantes, censées entraîner dans leur sillage la grande masse. La parole à Najib Akesbi, économiste de son état, qui n’est pas du genre à verser dans le jeunisme : “La grande majorité des jeunes ne se projettent pas en avant, mais versent plutôt dans le mythe d’un âge d’or de l’islam auquel il faudrait revenir. C’est la négation de tout esprit de création. Pour eux, il y a un Dieu créateur, ce qu’il a bâti est forcément parfait, il n’y a donc rien à y rajouter ou y changer”. C’est dur à entendre, mais les faits sont têtus et ne font jamais dans la compassion.
Et pourtant, elle pousse…
Nayda est devenue, malgré ce terreau peu fertile, pratiquement mainstream, et tout sauf underground. C’est que les jeunes pousses de Nayda sont une jolie carte postale d’un “Maroc ouvert et tolérant”, que l’on vend à l’étranger comme des échantillons des changements en cours. Le mouvement a même droit aux honneurs des médias officiels. Ce n’est pas encore Ousboue Al Farass, mais la TVM et 2M n’hésitent plus à traîner leurs guêtres à L’Boulevard. Un amour officiel pour les djeun’s, OK. Mais pas au point de leur passer la bague au doigt : “Nous n’avons aucun patronage royal pour nous servir de parapluie, ni le soutien d’hommes forts pour nous protéger. Forcément, nous devenons une cible facile et fragile”, explique Mohamed Merhari. Sur ce point, Najib Akesbi, encore une fois, revêt sa robe d’avocat du diable : “Un soutien officiel, en cherchant à récupérer le mouvement, pourrait le discréditer. À force de vendre ces groupes comme exemples de la modernité du Maroc, ne risque-t-on pas de les piéger un jour ?”. Que les idéalistes réfractaires à la “récup’” se rassurent, nous n’en sommes pas encore là. Pour l’heure, la “carte postale” ne doit pas dégouliner du cadre.
Ainsi, cette année, les autorités ont demandé aux organisateurs de L’Boulevard de baisser le rideau à 23 heures. Et la Commune de Hay Hassani, où est sis le COC, ne veut plus entendre parler de cette “ambiance de chaos”. Résultat : L’Boulevard, plus grand festival de musiques actuelles d’Afrique, sans équivalent dans les pays arabes, se retrouve à la rue. “Nous avons l’impression de courir contre la montre avant que la massue ne s’abatte pour de bon”, s’inquiète Momo. Cependant, Kamal Mesbahi, économiste de son état, se veut rassurant : “l’Histoire ne bégaiera pas ! L’Etat ne commettra pas à nouveau son erreur des années 70, quand il a couvert d’une chape de plomb l’effervescence culturelle de l’époque. Tuer la culture des années 70 a fait le lit de l’islamisme dans les années 80. Aujourd’hui, l’Etat considère que ce mouvement en marche peut au contraire lui être utile.
L’Boulevard, à l’instar du Festival d’Essaouira, en charmant les jeunes, les éloigne des sirènes extrémistes. Ce sont autant de pare-feux contre la multiplication des fiancés de la mort (ndlr : les kamikazes)”, affirme-t-il. Mais, car il y a toujours un mais, Mesbahi apporte une nuance : “Il y a une ambiguïté dans cette effervescence culturelle. Les grands rassemblements autour de la musique ne doivent pas cacher le fait qu’il n’existe aucune structure de création. Les maisons de jeunes ne jouent plus leur rôle”. Et quand bien même voudraient-elles le faire, il n’est pas certain qu’elles soient d’un grand apport “créatif”. “Ce n’est pas le manque d’espaces culturels qui plombera le mouvement. Il y a autant de maisons de jeunes dans le Maroc d’aujourd’hui que dans celui des années 70, mais on n’y fait plus les mêmes choses. À l’époque, les associations qui investissaient ces lieux étaient progressistes. Elles avaient fait de l’art un outil de combat politique. Aujourd’hui, la grande majorité des associations qui animent ces espaces sont d’obédience islamiste. Un terrorisme diffus de la pensée unique y règne”, explique Najib Akesbi.
Nayda, plombée de l’intérieur
Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, certains groupes de la nouvelle scène sont les premiers à scier la frêle branche sur laquelle ils sont assis. “Ils n’ont pas conscience du danger islamiste, il est trop tôt pour leur demander un discours. On sort de quarante années de déstructuration de la pensée, ils découvrent la liberté. Ne leur en demandons pas trop”, oppose Mohamed Merhari. Certes, certes. Mais à écouter les paroles de certains d’entre eux, on est troublé par des propos qui ne dénoteraient pas dans la bouche de leurs ennemis. “J’ai une religion et j’ai un livre”, hurle Casa Crew, groupe de rap casablancais aussi bien à L’Boulevard que dans l’espace plus “laïc” de l’Institut français de Casablanca. Un virage pris, selon Hicham Abkari, après l’affaire des “quatorze musiciens satanistes”. “La presse a tenu un discours moralisateur sur le danger que représentaient les jeunes pour l’identité marocaine, analyse-t-il. En réaction, des groupes de rap, cherchant à prouver leur ’marocanité’ et leur ’islamité’, ont puisé dans ces articles leurs thèmes sur l’identité nationale, l’arabité et leur côté bons musulmans respectueux des traditions”. C’est ce qu’on appelle “l’effet Papagayo”, similaire au mal qui frappe un footballeur marocain reproduisant le discours d’Al Alam Arryadi, faute d’avoir des choses pertinentes à dire au micro des chroniqueurs sportifs. Un acte de réaction, plutôt que d’action, comme le confirme Mohamed Merhari : “Ils font du zèle et deviennent plus royalistes que le roi”.
Côté fusion, les paroles volent plus haut, mais ce n’est pas encore une pluie de fusées subversives crevant la stratosphère. “Ils sont dans le constat que tout va mal, mais ils n’ont aucun projet alternatif à proposer”, remarque Najib Akesbi. Peut-on même parler de contestation ? La jeunesse qui remettait en cause l’ordre établi dans les années 70 n’était pas issue des damnés de la terre, mais d’une certaine bourgeoisie, assurée, après ses études, de trouver une place au soleil sur le marché du travail. Elle portait un projet, s’investissait dans la politique car elle avait pour modèles des militants crédibles, prêts à aller en prison pour leurs idées. “Aujourd’hui, les jeunes sont confrontés au chômage. Cela les empêche d’aller de l’avant”, ajoute Najib Akesbi. Si bien que le discours, au lieu d’être constructif, tourne aux propos de café sur le thème “tous pourris”.
Il est vrai que la pomme Maroc a été attaquée par des asticots depuis les années 70, nommés années de plomb et accentuation des écarts sociaux. Mais la frontière entre la critique et le populisme est allègrement franchie par d’autres groupes de la nouvelle scène. “Il n’y a aucune différence à mon sens avec les discours du théâtre populaire dans les années 90. Des troupes comme Masrah El Hay ou Masrah Achaâb s’inscrivaient déjà dans cette tendance à critiquer l’administration et les parlementaires opportunistes”, pense Hicham Abkari. En résumé, Nayda va devoir détruire un certain nombre de barrages pour laver à grande eau les esprits, en son sein même, avant de pousser de manière saine et durable. Et peut-être, un jour, claironner “Goulou l’âam zine…”
Marock : La curée au nom de la marocanité
La scène s’est déroulée en 2005. Le lieu : Tanger, durant le Festival national du cinéma, un espace de création fréquenté par des réalisateurs censés être l’élite éclairée du Maroc. L’actrice principale du film : la cinéaste Leïla Marrakchi. Le scénario : un procès en bonne et due forme de cette dernière et de son film Marock. Dans le rôle des procureurs du peuple bien pensant… d’autres cinéastes. Des créateurs comme ils aiment à se définir, avec des grands trémolos dans la voix d’artistes torturés, lorsqu’ils doivent vendre leurs œuvres à la presse. Mais créateurs de quoi ? Ce jour-là, de rien du tout, si ce n’est d’un climat de terreur pesant. Très crédibles dans leurs rôles de thuriféraires d’idées sur l’identité nationale et le sionisme rampant, thèmes qu’on croyait, naïvement, réservés aux envolées lyriques d’un autre temps, ou bien aux plumes des nihilistes de l’islam. Sans vergogne, ces réalisateurs ont jeté l’anathème sur une femme apeurée par les réactions inattendues et exagérées de ses pairs. Des pairs qui ne l’ont jamais regardée dans les yeux durant cette fameuse conférence de presse ayant suivi la projection de Marock. Ils se sont levés à tour de rôle, lui tournant le dos pour mieux lui dénier le droit d’exister, bien droits dans leurs bottes de censeurs, avec l’assurance des gens qui ne doutent jamais de rien, haranguant la salle tels des tribuns de la plèbe.
Nature du crime de Leïla Marrakchi : raconter ses souvenirs d’adolescente de la jeunesse dorée. Et une scène en particulier : celle d’un juif s’apprêtant à dépuceler une vierge et pure musulmane. La salle a applaudi tous les arguments oiseux des juges. Personne n’a eu le courage de défendre en public Leïla Marrakchi, même ceux qui n’étaient pas d’accord avec cette lapidation verbale. Un grand moment de honte pour toute la caste du cinéma marocain. Mais qu’avait fait la réalisatrice de si grave ? “J’ai simplement filmé mon Maroc à moi. Celui que je connais”. Franchement, pas de quoi jeter le bébé avec l’eau du bain. “Ce qui m’a le plus choqué dans le cas de Marock, c’est que ce soit des artistes qui appellent à la censure d’une autre artiste”, confie après coup Farida Belyazid. C’est que l’habit ne fait pas toujours le moine…
Comparatif : Movida espagnole = Nayda marocaine ?
À la fin des années 70, au sortir de la dictature de Franco, décédé en 1975, Juan Carlos accède au pouvoir. Un roi jeune, habité par le désir (et la nécessité) de démocratiser l’un des derniers pays européens sans liberté individuelle, pour le mettre au niveau de ses voisins du Vieux continent. Profitant de cette bouffée d’air frais, des artistes transgresseurs de normes secouent, à partir de Madrid, le cocotier artistique, transformant l’Espagne de manière radicale, ayant trouvé un public réceptif auprès d’une jeunesse espagnole en quête de renouveau. Les noms des porte-voix de la Movida ? Le réalisateur Pedro Almodovar, l’actrice Victoria Abril, le groupe de musique Mecano, la photographe Ouka Leele, etc. “Le mouvement Nayda est né dans les mêmes conditions. Mohammed VI ressemble en ce sens à Juan Carlos”, affirme la réalisatrice Farida Belyazid.
Oui sans doute, comme le confirme Kamal Mesbahi : “La chape de plomb levée, la marmite a débordé. C’est parfaitement naturel”. À la nuance près que la Movida espagnole, malgré les réticences des conservateurs, a été favorisée politiquement et de manière officielle par le maire madrilène de l’époque, figure emblématique de la transition démocratique. Et au plus haut niveau de l’Etat, le mouvement a été soutenu par l’arrivée au pouvoir du gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez en 1982. La Movida était une fièvre contestataire qui bousculait toutes les normes sexuelles et les conventions sociales et religieuses. Son credo : les limites n’existent pas en art. Est-ce le cas de la Nayda ? Non, évidemment. Et on ne lui jettera pas la pierre pour autant. La Nayda n’a pas les mêmes droits que la Movida, transition démocratique marocaine ou pas. Eclose en “terre d’islam”, elle est plombée dans son élan par des interdits moraux beaucoup plus forts que ceux de l’Espagne post-franquiste.
Au Maroc, le terreau politique est également loin d’être aussi fertile. Il risque même d’être encore plus aride à l’avenir avec la montée en puissance du PJD, annoncé comme vainqueur par KO aux prochaines élections législatives. Qui plus est, la Nayda ne s’accompagne d’aucun développement économique à même de soutenir cette effervescence artistique, contrairement à l’Espagne, qui a fait un bond en avant spectaculaire grâce à son ouverture sur les autres pays européens. Le mot de la fin à Kamal Mesbahi : “La Nayda relève du développement social et de l’extension des libertés individuelles. Mais elle ne pourra pas compter sur l’essor économique pour grandir. Le PIB marocain progresse, mais les écarts sociaux s’accentuent”. C’est à vous filer le cafard, des nouvelles pareilles.
TelQuel - Hassan Hamdani
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