La chanteuse marocaine Samira Saïd, dans une récente déclaration, a fait des confidences sur sa vie privée et professionnelle, révélant ne pas avoir peur de vieillir et avoir pensé à prendre sa retraite.
Chaque année, au Maroc, des enfants sont vendus ou loués à des fins de mendicité, de prostitution, d’esclavage, ou encore de transport de stupéfiants. Plongée dans l’univers glauque du trafic d’enfants.
Pour 250 dirhams par mois, Khadija, 8 ans, a quitté son douar natal aux environs de Khmiss Zmamra pour travailler comme petite bonne chez une riche famille d’El Jadida. Son petit frère Ali, 6 ans, envoyé chez une cousine éloignée à Fès, travaille dans un atelier de menuiserie pour 10 dirhams par jour. A Casablanca, Asmae et Hasnae, deux sœurs jumelles, 5 ans, elles, sont louées quotidiennement par leur mère à une mendiante, à raison de 70 dirhams la semaine. A Tétouan, Zakaria, 14 ans, livre quotidiennement les clients d’un petit caïd de la ville en stupéfiants, moyennant une petite commission d’une dizaine de dirhams.
Brahim, 12 ans, chapeauté par un proxénète, passe ses soirées aux abords des sites touristiques de Marrakech dans l’espoir de racoler un généreux pédophile étranger, à raison de 200 dirhams la prestation. A 15 ans, Loubna vend ses charmes juvéniles auprès de touristes moyen-orientaux à Agadir, pour 500 dirhams la passe… Khadija, Brahim, Asmae, Hasnae, Zakaria et Loubna, comme des milliers d’autres enfants au Maroc, ignorent ce que les mots enfance, scolarité et liberté veulent dire.
Leur existence ne ressemble pas à un conte de fées. Loin de là. Car même dans les légendes médiévales les plus effroyables, la vie des enfants maltraités connaît un dénouement heureux. Or ces enfants, enrôlés malgré eux dans la spirale infernale du crime organisé, de l’argent dit « facile », finiront majoritairement, une fois adultes, à la rue. Prostitués, mendiants, vagabonds, mères célibataires démunies, petits délinquants ou criminels notoires à leur tour. Ou, au meilleur des cas, misérables et illettrés, besogneux marqués à vie par les pires séquelles physiques et psychologiques d’un destin peu enviable.
Le trafic d’enfants, sans pour autant revêtir l’ampleur qu’il peut avoir dans d’autres régions du monde, existe bel et bien au Maroc et engendre des profits considérables. Logique. Contrairement aux « marchandises » classiques, un être humain peut être commercialisé à plusieurs reprises et constituer ainsi une source de revenu permanente.
Encore plus les enfants, corvéables à merci, dociles, agiles, habiles et en bonne santé. On peut même parler sans hésiter d’une véritable mafia organisée du trafic d’enfants. Pourtant, peu de chiffres filtrent sur le sujet et un étrange mutisme entoure cette activité criminelle.
Si ce n’est les faits divers relatés par la presse locale et étrangère, la montée au créneau ponctuelle de militants de la société civile et les campagnes de sensibilisation sporadiques des ministères concernés.
Désinvolture, laxisme, banalisation d’une inhumanité touchant essentiellement les enfants des classes défavorisées, « fardeaux sociaux » plutôt qu’enfants-rois ? A ce jour en tout cas, aucun scandale de traite « de gosses de riches » n’est venu perturber la vie tranquille de la bourgeoisie dorée marocaine. Et pour cause. Le trafic d’enfants au Maroc l’est essentiellement pour des raisons socio-économiques. Acculées par l’indigence et l’ignorance, de nombreuses familles vendent ou louent leurs enfants, quand ces derniers ne se monnayent pas d’eux-mêmes, espérant tirer quelque bénéfice de ces activités illégales. Ceci dit, les enfants, victimes et premiers concernés par cette traite ignoble, ne reçoivent qu’une ridicule part du gâteau. La majeure partie des recettes de ce trafic occulte très lucratif revient aux « parrains » et aux intermédiaires. Les visages de la traite d’enfants au Maroc sont multiples et les profits énormes.
Si l’on prend le cas de la mendicité, la dernière enquête menée en 2005 par la Ligue de la Protection de l’Enfance en collaboration avec l’Entraide nationale, révèle que le Maroc compte près de 500.000 mendiants professionnels permanents ou occasionnels. Parmi eux, un nombre non négligeable d’enfants (généralement âgés de moins de 7 ans), déscolarisés, utilisés par leurs mères ou loués à un tiers, dans le but d’apitoyer davantage les passants et leur soutirer un plus grand pécule (50 à 100 dirhams par jour en moyenne). 75% de ces enfants mendiants « pratiquent le métier » tout au long de l’année et seuls 3% d’entre eux sont allés à l’école jusqu’au secondaire. Nombre de ces petits mendiants sont exploités par des réseaux mafieux aux ramifications étonnantes.
De jour comme de nuit, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il fasse un froid de canard ou un soleil de plomb, des bébés, couchés sur des matelas en carton, assommés parfois à coups de sirop bon marché et des jeunes enfants, debout à longueur de journée, mendient ainsi aux feux rouges, dans les souks, aux abords des mosquées et sur les artères des grandes villes. Leur santé en prend évidemment un coup. Plus du tiers de ces enfants sont sujets à des maladies sérieuses et chroniques.
L’autre aspect majeur de la traite d’enfants dans notre pays a trait à l’exploitation sexuelle. La pauvreté et l’éclatement de la cellule familiale (divorce, alcoolisme, maltraitance, etc) sont les principales raisons qui font entrer les mineurs dans l’engrenage du marché de la chair.
Difficile en revanche d’obtenir des statistiques fiables et exhaustives sur ce phénomène tant il est vrai que la prostitution, de surcroît infantile, demeure fortement taboue dans notre société. Les seules données disponibles émanent des organisations non gouvernementales, qui affirment recevoir et suivre en moyenne une centaine de cas d’abus sexuels et de prostitution de mineurs par an et par grande ville. Le corps d’un enfant se vend de 5 à 2.000 dirhams, mais le prix de la prestation varie généralement entre 70 et 300 dirhams. Tout dépend de l’âge de l’enfant, de son ancienneté dans la profession et de la générosité du client. Plus l’enfant est grand et « futé », plus il se montre âpre négociateur, plus le prix de la passe augmente.
Ces mineurs, filles ou garçons, pour la plupart en rupture scolaire, travaillent seuls ou sous la « protection » d’un maquereau (et de ses rabatteurs), qui s’accapare le plus fort pourcentage de la recette quotidienne. A Marrakech et Agadir, cités touristiques par excellence, les clients pédophiles ou amateurs de chair fraîche sont essentiellement des étrangers occidentaux d’un âge avancé. Autre exploitation sexuelle, quoiqu’encore embryonnaire, l’emploi de mineurs marocains par l’industrie pornographique homo ou hétérosexuelle, filmés dans le secret des riads et des appartements des grandes villes.
Le Maroc n’est pas la Thaïlande, tempéreront certains. Mais qui nous garantit qu’il ne le deviendra pas, quand on sait que les touristes sexuels, même surpris en flagrant délit avec des mineurs, écopent de peines de prison et d’amendes très légères malgré la gravité de leur délit.
Dernier scandale en date, celui d’un Allemand, surpris par la brigade touristique d’Agadir en pleine action en compagnie d’un mineur fin 2006, récidiviste (il avait été arrêté en 2004 et libéré contre 5.000 dirhams d’amende), vient d’être condamné en appel à un an et demi de prison à peine.
En attendant une levée de boucliers stricte et générale contre le tourisme sexuel, la pédophilie et la prostitution des mineurs en général, des centaines voire des milliers d’enfants continueront à mettre leur vie et leur santé en sursis au nom d’une immunité qui ne dit pas son nom.
Une enquête réalisée en 2004 par l’Association marocaine pour le développement communautaire sur la seule ville de Marrakech révèle ainsi que plus de 50% des enfants prostitués n’exigent pas le port de préservatif, bien que 70% au moins connaissent les risques de contamination par les infections sexuellement transmissibles, dont le sida. Et, parmi ceux qui se protègent, près de 25% se disent prêts à oublier la protection si le client l’exige.
L’exploitation domestique, autre type de traite d’enfants, touche essentiellement les filles. D’après les statistiques de l’organisation Human Rights Watch, entre 66.000 et 88.000 fillettes travaillent comme petites bonnes dans les foyers marocains, de 14 à 18 heures par jour, moyennant 200 à 300 dirhams par mois. Surexploitation physique, maltraitance, sanctions extrêmes, mépris, discrimination, harcèlement moral ou sexuel sont souvent le lot quotidien de ces petites esclaves des temps modernes. Mis à part les rares cas de kidnapping, la plupart de ces fillettes sont louées par leurs parents, des ruraux généralement, à des familles citadines via des samsara (intermédiaires) en échange d’une ridicule “rente” mensuelle. Les garçons, eux, sont employés dans les ateliers d’artisanat ou autres activités manuelles clandestines pour des rémunérations tout aussi dérisoires. Plus au nord, ils sont utilisés par les contrebandiers et les trafiquants de drogue, généralement comme transporteurs. C’est d’ailleurs parmi les mineurs clandestins que la mafia recrute quelques-uns de ses exécutants au-delà des frontières. En 2005, ils étaient près de 5.000 mineurs marocains non accompagnés accueillis dans des centres d’accueil espagnols. Ceux qui ne sont pas expulsés, jetés dans la gueule du loup, ne connaîtront pour la plupart de l’Eldorado européen que sa sombre face, entre cannabis, drogue dure, prostitution et autres sources d’argent sale.
D’autres affaires de traite d’enfants, plus rares mais aussi moins médiatisées, concernent la vente d’enfants pour l’adoption illégale, plus rapide et moins contraignante. En février 2007, et pour ne citer que ce fait divers, la directrice de l’association gadirie d’enfants abandonnées Espace de la Femme et de l’Enfant, infirmière et assistante sociale de son état, a été appréhendée pour escroquerie et trafic d’enfants, suite à la plainte d’un couple maroco-belge à qui elle aurait faussement promis de donner à l’adoption deux jeunes enfants, un frère et sa sœur. En échange de quelques milliers de dirhams, la directrice de l’association en question a « livré » de nombreux couples en bébés et jeunes enfants abandonnés, sans que jamais personne ne prenne la peine de vérifier le registre d’entrée et de sortie de l’établissement d’accueil concerné. Il faut croire que la ségrégation sociale débute dès le berceau. Quoi qu’il en soit, et comme le prévoit le Code Pénal marocain, l’accusée risque de deux à 10 ans de prison et une amende de 5.000 à 2 millions de dirhams pour vente d’enfants de moins de 18 ans. Mais le trafic d’enfants au Maroc, l’une des formes les plus sévères de violation des droits de l’homme, et quoi qu’en disent les discours officiels, devient chaque jour plus inquiétant et, malheureusement, insuffisamment sanctionné.
D’autres enfants à travers le monde partagent le triste sort de leurs semblables marocains. En 2003, l’Organisation internationale du Travail évaluait à 1,2 million le nombre d’enfants victimes de trafic. Toujours d’après le même organisme, le trafic d’êtres humains, trafic dont fait partie la traite des enfants dans une proportion de 30%, toucherait 2 millions de personnes et génèrerait des profits annuels estimés entre 12 et 32 milliards de dollars américains. L’innocence sera-t-elle sauvée par un sursaut de conscience universel ?
Maroc Hebdo - Mouna Izddine
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