Les émeutes raciales et xénophobes d’El Ejido, 4 ans plus tard

5 février 2004 - 18h48 - Espagne - Ecrit par :

El Ejido est cette ville espagnole de la Costa del Sol tristement célèbre pour avoir été la scène d’émeutes raciales et xénophobes il y a 4 ans. Du 5 au 7 février 2000, cette petite ville agricole de 60.000 habitants était devenue le centre d’attention de toute l’Espagne. Une véritable chasse aux immigrants avait été ouverte.

Par leur ampleur, les événements qui s’y déroulaient ne pouvaient, cette fois-ci, passer inaperçus. Des cas semblables avaient déjà eu lieu ailleurs en Espagne, mais les médias ne s’y étaient que très peu intéressés. Les émeutes qui venaient d’éclater dans cette petite ville de banlieue avaient atteint un paroxysme jusque-là inégalé.
Catalyseur de tous les maux, les meurtres de trois Espagnols commis en l’espace de deux semaines par des Marocains allaient servir de justificatif moral, de prétexte pour donner l’assaut aux “Moros”. D’abord il y a eu les meurtres de deux agriculteurs espagnols le 22 janvier, puis, dans la matinée du 5 février, celui d’une jeune femme. Quelques heures plus tard, l’accumulation de haine et de violence envers l’Autre allait enfin pouvoir s’exprimer.
Armés de couteaux, de roches, de bâtons de bois, de tuyaux de fer et de bidons d’essence, la population autochtone d’El Ejido venait d’entamer une émeute qui allait durer plus de 72 heures, et ce, sous le regard attentif des forces
de l’ordre. Les commerces des immigrants ont été détruits. Les locaux des associations d’aide et de défense aux immigrants saccagés. Les immigrants étaient traînés en dehors de leur voiture, avant que l’on y mette le feu, tout comme les maisons et les cortijos -souvent d’anciens entrepôts de pesticides et d’herbicides situés à côté des serres- convertis en habitation par les travailleurs agricoles. Symbole religieux de la communauté musulmane, la mosquée aussi été mise à feu. Certains cas d’agressions de journalistes ont aussi été rapportés. En plus de la destruction des biens matériels, 81 cas de blessures ont été rapportées, soit 33 Marocains, 2 Maliens, un Sénégalais, un Russe, 19 policiers locaux, 7 Gardes Civils et 18 Espagnols.
Responsable du département de coopération internationale et
de médiation interculturelle à l’association de défense et d’aide aux immigrants Sevilla Acoge, Omar El Hartiti, Marocain d’origine qui vit en Espagne depuis 15 ans, se souvient de cette journée qui l’a marqué à vie. Se trouvant dans un café avec des amis, Omar soupçonnait que “quelque chose de grand allait se produire. Ça se sentait. Mes amis m’ont dit non, il n’y aura rien. J’ai insisté pour que nous restions vigilants. Vers 19h30, les attaques ont commencé au supermarché Copo, un endroit connu pour être populaire des Marocains. Un ami m’a appelé à mes cours de médiation interculturelle pour me dire que les attaques avaient commencé et que la situation était très grave. Ils avaient bloqué les rues. Ils étaient préparés”, assure Omar. Arrivé chez lui sain et sauf, après quelques détours obligés afin d’éviter les émeutiers, l’homme se souvient que sa famille n’a pu fermer l’œil de la nuit. “Ils pouvaient entrer chez nous à n’importe quel moment”, se souvient Omar. Comme plusieurs autres familles d’immigrants, ils ont finalement décidé de quitter la ville aux lendemains du pogrom. En compagnie de sa femme et de son fils, ils trouvèrent refuge à Séville, là où ils habitaient depuis plus de 3 ans.
Mustapha, ancien policier marocain de la région de Béni Mellal arrivé en Espagne par patera il y a 6 ans, aujourd’hui maçon à El Ejido, se rappelle qu’“une semaine avant les événements plusieurs patrons ont décidé qu’ils n’embaucheraient plus de Marocains. Ils les ont remplacés par des Roumains et des Sud-Américains”. L’homme d’une trentaine d’années, qui partage une maison avec six autres Marocains dans le quartier immigrant d’El Ejido, La Loma de la Mezquita, se souvient que son patron venait lui apporter de la nourriture chaque jour car il ne pouvait pas sortir de chez lui. “Quand les événements ont éclaté, je me trouvais au local de l’association Almeria Acoge pour apprendre l’espagnol. La police est venue nous voir pour nous dire de partir car des Espagnols allaient venir nous punir. Ils nous ont dit de retourner à nos maisons”. Lieu de refuge en temps normal, les maisons des immigrants allaient toutefois devenir l’une des cibles privilégiées des émeutiers.

Les autorités publiques pointées du doigt

Le rôle de la police lors des émeutes a été vivement critiqué par plusieurs associations. Amnisty international, dans son rapport de septembre 2001, rapporte plusieurs cas d’irrégularités quant à l’inaction des forces policières. La conduite des policiers “était telle qu’elle a en effet pu aider à perpétrer les crimes raciaux contre les immigrants étrangers et, au moins, n’a rien fait pour les empêcher”, notent les auteurs du rapport. “Amnisty international est aussi inquiète qu’aucune enquête n’a été menée afin d’élucider la conduite des agents de renforcement de la loi lors des émeutes d’ElEjido, en dépit de plusieurs constats de passivité policière, et que les autorités gouvernementales ne se sont pas attaquées aux causes sous-jacentes de la tension raciale dans la région ”.
Au cours d’une entrevue réalisée par le journal El Pais le 13 février 2000, le président de la Junta d’Andalucia, Manuel Chaves du Parti populaire (PP), avait reconnu que la police avait fait preuve d’ “inhibition et passivité” tout en attribuant ce comportement aux ordres qu’avait donnés le maire d’El Ejido, Juan Enciso (PP). Ce dernier, en poste depuis 1992, avait plutôt attribué la faute
à l’attitude provocatrice des associations de défense des immigrants. Il est aussi à noter que le maire de droite, dont la famille est l’un des plus importants propriétaires terriens de la région avec plus de 12.000 hectares était allé jusqu’à refuser à la Croix rouge d’installer des campements temporaires afin de répondre aux besoins d’habitation des immigrants suite au saccage causé par les émeutiers. Le secrétaire-général du syndicat des policiers (SUP), Francisco Javier Santaella, avait affirmé quant à lui que la police avait reçu l’ordre formel de ne pas intervenir, déclaration qu’avait par la suite catégoriquement rejetée le gouvernement espagnol.
Pour Omar, la responsabilité, voire la complicité des forces policières et des autorités publiques ne fait aucun doute. “Il y avait un policier à El Ejido qui avait été envoyé par les autorités de Madrid. J’avais de bonnes relations avec lui. Il était un spécialiste de la question d’immigration. Il avait une autre mentalité car il connaissait le dossier et travaillait beaucoup avec les associations de défense des immigrants”. Mais quelques jours avant les événements tragiques, à la lumière du comportement qu’il avait constaté chez ses collègues des forces de l’ordre d’El Ejido, le policier décida d’abandonner sa mission. “Il m’a dit par la suite qu’il était triste, non seulement par ce qui s’était produit mais parce qu’il avait constaté que la police était complice”.
Devant les pressions exercées par l’Organisation des Nations unies, les instances européennes et les Organisations espagnoles et internationales, le gouvernement de José Maria Aznar a pris des mesures pour reloger les immigrants, les a indemnisés et a engagé un processus de régularisation suite à la perte ou à la destruction de leurs papiers d’identité. Le gouvernement avait aussi “fait part de son intention de mettre sur pied un programme de logements et a mentionné les programmes interculturels et d’intégration sociale mis en place à Almeria. Quant à l’enquête sur les événements, le gouvernement a déclaré avoir porté les faits à la connaissance de l’autorité judiciaire”, stipule le Rapport présenté le 15 février 2002 par la rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des migrants, Gabriela Rodriguez Pizarro.
Quatre ans après les événements, il semblerait, d’après certains intervenants proches du dossier, que l’enquête judiciaire concernant le rôle de la police n’a toujours pas vu le jour. Quant aux 693 plaintes d’immigrants recueillies par les avocats de différentes associations non gouvernementales à la suite des émeutes, soit entre le 9 février et le 12 mars 2001, seulement 2 ont été jugées recevables.

La Gazette du Maroc

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