Ce qu’a annoncé en substance Robert Gates devant de hauts responsables du Pentagone vient confirmer le déploiement de soldats américains dans la région du Sahel et du Maghreb depuis l’annonce par Al Qaïda d’un nouveau front pris en charge par l’ancien GSPC algérien dont les rangs ont été alimentés par d’autres factions libyennes et marocaines.
« Le président George W.Bush a décidé de créer un nouveau commandement unifié pour l’Afrique », c’était le message délivré par Robert Gates lors d’une audition devant une commission du Sénat qui devait étudier les modalités de cette nouvelle initiative créée pour renforcer le PSI (Pan Sahel Initiative). Il faut ici préciser que le programme remonte à l’année 2003.
En effet, dès le mois de janvier 2004, des moyens considérables ont été déployés par l’armée américaine pour soutenir la lutte des troupes locales contre le GSPC. L’aide a été organisée dans le cadre du programme d’assistance militaire Initiative pan-Sahel (PSI), opérationnel depuis novembre 2003 et doté pour 2004 de 6,5 millions de dollars. Ce programme vise à aider le Mali, le Tchad, le Niger et la Mauritanie à combattre « la contrebande, les criminels internationaux et les mouvements terroristes ». D’autres projets ont suivi en 2005 et 2006 avec des manœuvres conjointes allant du Maroc au Tchad en passant par la Mauritanie, le Sénégal, le Niger, le Mali, jusqu’aux portes du Soudan.
Un document Top Secret
À la lecture de ce document présenté devant les chefs des états-majors le 6 février 2007, on peut se rendre compte que Robert Gates n’a pas précisé où sera basé le siège de ce nouveau commandement qui s’ajoutera à trois autres commandements régionaux, qui sont déjà en place depuis 2004. La responsabilité de l’Afrique au Pentagone était jusqu’à présent répartie entre trois commandements régionaux. Le commandement central (Centcom), qui supervise le Proche-Orient, a la responsabilité de la Corne de l’Afrique. Le commandement pour le Pacifique se charge de Madagascar tandis que celui pour l’Europe s’occupe du reste, c’est-à-dire de la plus grande partie de l’Afrique.
Washington considère comme « essentielles au succès de cette initiative, les contributions de pays africains » en vue de faire échec aux terroristes dans le Sahel et assurer la sécurité de l’Afrique de l’Ouest « parce qu’aucune initiative individuelle ne pourrait prospérer ».
Les Etats-Unis avaient, en fait, commencé à s’intéresser à cette région au lendemain de la « guerre totale » qu’ils avaient engagée et la dispersion des cadres d’Al Qaïda et de ses sympathisants, un peu partout dans le monde.
Une grande logistique de guerre
Depuis 2003, le Sahel a connu des turbulences graves : putsch militaire en Mauritanie, séditions au Mali et au Niger, le GSPC dans le Sahel, soulèvements au Soudan et au Tchad, et enfin, le retour au cycle sans fin de la tourmente somalienne, avec cette fois-ci, une intervention militaire de l’Ethiopie, encouragée par les Etats-Unis. Après avoir investi la vaste bande du Sahel et qui va pratiquement de la Mauritanie au Tchad et à l’Ethiopie en passant par le Mali et le Niger, les Etats-Unis élargissent leur champ d’action, passant de ce fait, du plan Pan Sahel à l’Initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme, le TSCTI, puis au contrôle pur et simple du Sahel par les armées locales interposées. Washington avait choisi, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans l’Afrique subsaharienne, neuf États africains, qui sont la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, le Sénégal, le Nigeria, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie et proposait de faire de l’Initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme un instrument majeur de sécurité dans la région. Ce sont quelque 250 tonnes de matériels divers et 350 soldats ont été acheminés dans la région par un pont aérien de deux semaines, à partir de la base aérienne de Rota, en Espagne. Une fois les troupes et le matériel acheminés, des moyens aériens de protection ont été mis à disposition à partir des bases de la Royal Air Force à Mildenhall et Lakenheath, en Grande-Bretagne. La protection de l’opération a également mobilisé des éléments du 32ème groupe des opérations spéciales, une unité liée à la CIA.
Dans les semaines qui ont précédé l’opération, des éléments du 10e groupe des forces spéciales, basé à Stuttgart, avaient été envoyés pour superviser l’entraînement des troupes africaines. « PSI est un outil important de la guerre contre le terrorisme et a beaucoup fait pour renforcer les liens dans une région que nous avions largement ignorée par le passé, et notamment entre l’Algérie et le Mali, le Niger et le Tchad, précise le colonel Victor Nelson, responsable de ce programme pour le bureau du secrétariat d’Etat à la défense chargé des questions liées à la sécurité internationale. « Nous disons depuis longtemps que, si la pression devient trop dure pour les terroristes en Afghanistan, au Pakistan, en Irak et ailleurs, ils trouveront de nouveaux endroits où travailler, et les régions du Sahel et du Maghreb font partie de ces endroits ».
La réunion de Stuttgart
L’ancienne « Pan Sahel Initiative » lancée en 2002, reconduite en 2004 et 2006 a été rebaptisée « Trans-Sahara Counter Terrorism Initiative ».
La genèse de ce programme remonte aux 23 et 24 mars 2004, quand les chefs d’état-major de huit pays (Tchad, Mali, Mauritanie, Maroc, Niger, Sénégal, Algérie, Tunisie) ont, pour la première fois, participé à une discrète réunion au siège du commandement européen de l’armée américaine (US-Eucom), à Stuttgart. Présentée comme « sans précédent », la rencontre, dont les travaux sont restés secrets, concernait la « coopération militaire dans la lutte globale contre le terrorisme » ; elle traitait du Sahel, zone tampon entre le Maghreb et l’Afrique noire, entre les zones pétrolières du Nord et celles du golfe de Guinée. L’enjeu n’était pas seulement de contrer l’enracinement des troupes affiliées à Al Qaïda dans le Sahel, mais surtout contrôler le pétrole africain.
La réunion qui avait regroupé récemment à Stuttgart, les plus hauts responsables militaires maghrébins et Sahéliens et leurs homologues américains du commandement européen des forces armées américaines (Uscom), a mis l’accent sur le fait que cette région est devenue « un nouvel Afghanistan, où des groupes armées islamistes bien financés recrutent, s’entraînent et s’arment ».
Gazette du Maroc - Abdelhak Najib