Le Maroc sous haute surveillance : Voyages dans le “maquis” des sécuritaires

30 juin 2003 - 12h00 - Maroc - Ecrit par :

Tout ce que le pays compte comme instances spécialisées dans le renseignement et la parade à la subversion interne et externe, est en alerte permanente. Le Maroc n’est pas pour autant sous le coup d’un état de siège non-déclaré.

Depuis un mois, le Maroc vit au rythme de la traque des individus piqués d’intégrisme, soupçonnés d’intentions réelles de commettre des actes terroristes. Deux actions combinées et parallèles sont menées ; l’une invisible, souterraine et quasi-confidentielle ; l’autre apparente, pas forcément spectaculaire, mais intentionnellement ostentatoire. La première n’est connue du public qu’à la publication de ses résultats. C’est la cueillette, régulièrement annoncée par le juge Belghiti, d’énergumènes dangereusement illuminés. La deuxième est une démonstration de force dont l’objectif est de donner à la population un sentiment de sécurité.
Mardi 17 juin 2003, le ministre de l’Intérieur, Mustapha Sahel, tenait une réunion à caractère exceptionnel, avec les walis, gouverneurs et services de sécurité concernés.

Immunisation

À la tribune, de chaque côté du ministre, Fouad Ali Himma, secrétaire d’État du même département et le général Hmidou Laânigri, patron de la DST. À l’ordre du jour, la chasse aux terroristes, la neutralisation des intégristes et l’immunisation du pays, autant que possible, contre toute forme de violence criminelle et déstabilisatrice.

L’heure est grave et le moment crucial ; quant à l’ambiance, sans être vraiment lourde, elle n’est pas à la détente. Évaluation de la situation et consignes pour les semaines à venir. L’angle d’approche, on le devine, il tient en une date et un lieu : le 16 mai, Casablanca. Un mois après, la date de référence n’a pas changé, mais le “lieu”, c’est devenu tout le pays. Investigations à l’appui. C’est qu’il s’est avéré que la pieuvre avait des ramifications qui vont de Tanger à Agadir et de Marrakech à Fès.
Autres lieux, autres réunions dans tous les sièges, et tous les niveaux de tous les services de sécurité.
Tout ce que le pays compte comme instances spécialisées dans le renseignement et la parade à la subversion interne et externe, est en alerte permanente.
La liste est longue, mais pour ne citer que les plus directement concernés, la DST dirigée par le général Hmidou Laânigri, la DGED par le général Ahmed Harchi et la gendarmerie par Housni Benslimane ; viennent s’adjoindre deux grandes directions sécuritaires, la DGSN et la DAI administrées par Abdelhafid Benhachem et Yassine Mansouri. Le tout étant supervisé par Mustapha Sahel et Fouad Ali Himma, du ministère de l’Intérieur.

C’est aux postes frontières, maritimes, terrestres et aéroportuaires, que l’on mesure plus particulièrement l’importance et la densité du dispositif de sécurité. Un seul mot d’ordre : Vigilance. À l’aéroport Mohammed V de Casablanca, l’accès n’est permis qu’aux voyageurs munis d’un billet d’avion.
Les accompagnateurs sont maintenus à l’extérieur. À l’intérieur de l’enceinte de l’aéroport, la fouille est systématique, quelle que soit la personne et le rang dont elle peut se prévaloir. Tous les services de sécurité y sont représentés, ceux que l’on voit, comme ceux que l’on ne voit pas. Avec une priorité pour la gendarmerie que l’on retrouve partout et en première ligne.
Les listes des passagers sont passées au peigne fin, confrontées à tous les fichiers. N’entre dans la zone voyageurs et n’embarque que celui qui présente patte blanche. Le pari consiste à ce que cette sécurité renforcée ne gêne pas la fluidité du trafic et qu’elle n’inspire pas une quelconque crainte chez les usagers en général et les visiteurs étrangers en particulier.
Le pari est quasiment réussi, avec tous les pondérables relatifs au contexte de l’après-16 mai.
La circulation routière n’échappe pas, non plus, à cette même vigilance. Les barrages filtrants sont nombreux, essentiellement à l’entrée des villes ; et les motards de la gendarmerie plus fréquents que d’habitude sur les routes et les autoroutes ; même les voies secondaires y passent. Dans les villes, le déploiement policier est encore plus imposant, sur les grandes artères, comme dans les rues adjacentes et les ruelles. Aucune agglomération n’est épargnée, Tanger, Fès, Tétouan, Agadir, Marrakech, Essaouira... Même les villages les plus reculés sont sujets à enquête.
C’est l’éradication long cours, longue durée, longue haleine. À la marocaine. L’exception marocaine continue de jouer même quand elle semble devenir caduque et qu’elle fait un voyage au bout du terrorisme pour prendre le mal à la racine. Les rondes de police sont incessantes, de jour comme de nuit. À partir de deux, on devient nombreux, presque un attroupement.
Les vérifications d’identité sont monnaie courante. Les gens ne s’en offusquent pas. Mieux, ils comprennent qu’après le 16 mai, un tour de vis sécuritaire était plus que nécessaire, salutaire. Ce qui est réconfortant et quelque peu étonnant -il faut le dire- c’est que tout se passe dans une ambiance plutôt bon enfant, totalement soft. Il n’y a ni peur ni heurts. Ni sinistrose, ni psychose.

Disaprités

On découvre que l’on n’est pas à Santiago du Chili sous Pinochet, mais dans un pays qui tient à préserver les attributs de la démocratie et la prééminence du droit. Bien qu’il ait été touché dans ses fondamentaux identitaires : la tolérance sociale, la cohabitation culturelle et la coexistence religieuse. On est aussi dans un pays où la population sait faire face au pire et dans le calme, bien que le traumatisme soit réel, le mal profond et que l’une des sources du mal soit dans les graves disparités sociales, ce que l’on appelle communément le terreau de l’islamisme.
Ceci dit, si la sécurité, même de très grande proximité, ne pose plus problème pour la population, elle est, plus que jamais, un problème pour le pays. Depuis le 16 mai, le Maroc est devenu le point de chute des experts en sécurité d’Europe et d’Amérique. Le patron du FBI, Robert Muller, ainsi que les plus hauts responsables de la DST et de la DGSE françaises, pour ne citer que ceux-là, ont fait le déplacement.
Les offres de coopération affluent de partout, par solidarité, mais aussi par intérêt stratégique et économique bien compris. Les rencontres discrètement tenues en conclave se succèdent, soit dans des salles spécialement aménagées de quelque grand hôtel, soit dans les bureaux insonorisés des services spécialisés. Au-delà de la douzaine de kamikazes et de leurs cinq forfaits à Casablanca, c’est toute la nébuleuse intégriste qui est décortiquée dans son espace de vie, son milieu d’extraction, ses filières de recrutement et ses techniques de conditionnement.
Les précédents dans des pays proches ou lointains, telles que la tragédie algérienne ou la “reislamisation” iranienne, sont méthodiquement étudiés. On sent qu’il y a un réel souci d’éviter ce type de dérive aux portes de l’Europe, avec toutes les conséquences d’une telle éventualité pour l’autre rive de la Méditerranée et pour la géo-stratégie américaine.

Filières

Parmi ces experts de la sécurité, il n’y a pas que des officiels ; il y a aussi des privés qui viennent vendre leur savoir-faire à des chefs d’entreprises. Depuis le 16 mai, la sécurité est devenue un marché qui s’annonce florissant. Des sociétés se créent et des vocations sont suscitées autour de ce créneau porteur, du moins dans l’immédiat.
Les grands hôtels, les grandes surfaces commerciales, les banques, les restaurants huppés, les stations balnéaires de luxe et les clubs de vacances de la jet-set, sont preneurs, soit pour se doter d’un système de protection pour la première fois, soit pour renforcer l’existant. Une nouvelle opportunité d’investissement et d’emploi. À quelque chose malheur est bon. La boucle est bouclée. Et la vie continue.

Article paru dans le Journal Maroc Hebdo daté du 27 Juin

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