Les émeutes dans les banlieues et l’incivisme souvent décriés peuvent s’expliquer, sans les justifier par la problématique des désavantages en terme de logement, de scolarité et d’emploi.
Cette approche est mise en avant par les anglo-saxons pour expliquer les émeutes raciales de l’undesclass en Grande Bretagne et aux Etats Unis.
Les stigmates de la différence :
Les primomigrants s’attelaient à l’adaptation par une inclusion dans la proximité sociale qui se limitait au milieu professionnel et atteignait son paroxysme dans l’adhésion à l’action syndicale.
Aujourd’hui les stigmates de la différence ont mené les jeunes à s’identifier en tant que groupe ayant ses propres spécificités les beurs ou “robeux” comme ils se plaisent à se dénommer.
Cette image reflétée est le résultat des mutations de la communauté immigrée qui sort de sa principale fonction d’utilité économique pour revendiquer un droit de cité qui concurrence l’autochtone dans ses acquis et privilèges.
Nul besoin de revenir sur le passif historique : croisades, guerres coloniales et autre reconquête pour expliquer les discriminations vis-à-vis de ce groupe . Il est néanmoins nécessaire de souligner que les conflits majeurs du Moyen Orient, l’image rétrograde des systèmes politiques arabes, la violence en Algérie, le terrorisme, le 11 septembre engendrent un paradigme d’une perception du jeune d’origine arabe comme un facteur déstabilisateur de la société d’accueil.
La dérive disproportionnée entre la situation réelle de la communauté maghrébine et les débats imposés par les médias par certains intellectuels et par des responsables politiques tel le débat sur le voile islamique en France accentuent ce syndrome du risque déstabilisateur.
Identité, culte et culture :
L’image du jeune beur marocain est liée à l’Islam et à une arabité mal définie.
Nous ne disposons pas de jalons permettant d’estimer la pratique religieuse chez ces jeunes ; ils aspirent , néanmoins et dans leur grande majorité à s’inscrire dans une identité globale du pays d’accueil.
Il existe, certes, au sein de cette communauté des obédiences à différents courants politico-religieux : frère musulman, wahhabisme et autre. Il persiste aussi une allégeance aux Etats des pays d’origine ou ceux des sponsors en petro-dollars.
Ces liens perdent de plus en plus leurs amarres, la tendance globale est l’affirmation d’un Islam du pays d’accueil : un Islam de France et non pas un Islam en France par exemple.
Les gouvernements des pays d’accueil et les activistes associatifs œuvrent pour l’inscription de l’Islam dans les cadres des institutions de la nation au même titre que les autres religions.
Des courants laïcisant essaient de s’insérer dans le dispositif de représentativité pour ne pas laisser le monopole aux associations religieuses. Une forte majorité des pratiquants exercent les préceptes de leur foi de manière personnelle et peu ostentatoire.
La langue et la culture obéissent quant à elles, à plus de vicissitude chez les jeunes beurs. Le seul vecteur de leur transmission est le lien parental ou communautaire peu concurrentiel face aux médias, à l’école et à la culture ambiante.
Les jeunes de leur part ne peuvent garder partiellement une identité spécifique que s’ils assimilent la dimension laïque et multi confessionnelle de la société d’accueil qui doit permettre pour sa part une cœxistence des différentes cultures sans hiérarchisation ethnique ou religieuse.
Ce sont ces faits qui expliquent la controverse que suscite le discours du très médiatique Tarik Ramadan.
L’aspiration citoyenne :
Nous devons différencier en premier lieu la citoyenneté acquise par naturalisation et les revendications de droit à la cité des jeunes marocains qui demeurent étrangers dans le pays d’accueil.
Pour ce second groupe, la puissance politique des Etats de l’Union Européenne tend à consacrer le passage du traitement strictement économique et social de la situation de l’étranger vers une reconnaissance plus civique et plus citoyenne.
C’est dans ce sens que s’inscrit le droit de vote des immigrés au niveau local dans certains pas du Nord de l’Europe.
En France, le processus est plus ralenti car, malgré les promesses , ce droit de vote n’arrive pas à s’imposer, des efforts sont néanmoins produits par des maires pour intégrer les immigrés dans les conseils de quartier. Le droit d’association spécifique a été reconnu depuis 1981.
Concernant des naturalisés, nous avons souligné la tendance des jeunes marocains à acquérir la nationalité du pays d’accueil même si l’accès n’y est pas automatique lorsque les deux parents sont étrangers comme en France. En effet ce n’est qu’entre 13 et 17 ans qu’une demande peut-être introduite dans ce sens.
L’enfant dispose en attendant d’une carte républicaine.
Ce processus constitue un bon indicateur des stratégies identitaires poursuivies par les jeunes mais aussi par leurs parents.
Cette acquisition de la nationalité s’accompagne d’un engagement évident dans la vie politique du pays d’accueil.
Se pose aussi la question de quelle langue d’origine on parle ? l’arabe dialectal ou l’Amazigh, l’arabe moderne écrit est peu accessible, la langue maternelle ne permet donc qu’une communication limitée d’une utilité d’acquisition du savoir peu performante.
La chanson beur dans sa mixité et son indigence linguistique n’est sûrement pas une caricature de cet état de fait.
Lors de leurs séjours au Maroc, les beurs constatent que l’utilisation du français est un facteur valorisant dans leur propre pays d’origine, cela ne les incite nullement à l’apprentissage de la langue d’origine.
En France l’apprentissage de l’arabe moderne dans un cadre scolaire est théoriquement acquis dans les collèges et lycées ; en Espagne, il s’effectue dans le cadre de l’ELCO (programme d’enseignement de langue et de culture d’origine).
Ces cursus ne produisent pas les résultats escomptés, en plus ils ne sont pas toujours reçus, positivement par les jeunes car ils accentuent le sentiment d’isolation et de ségrégation.
Identité et intégration :
Les liens dialectiques entre l’identité et l’intégration constituent une ambiguïté dans le processus d’intégration.
L’affirmation culturelle , si elle ne s’intègre pas dans un souhait universaliste et de respect de certaines valeurs de tolérance, ne peut que favoriser la ghettoïsation et générer des lectures dérivées dans la société d’accueil, où l’Islam est souvent associé à l’intégrisme et à la violence.
En résumé :
• Malgré les restrictions imposées par les pays d’accueil, le flux migratoire demeure intense. Il obéira à moyen terme à la demande croissante que prévoient les politiques d’immigration de l’Union Européenne pour faire face à l’impact économique du déclin démographie et le vieillissement de la population en Europe.
• La communauté marocaine est la plus importante dans cinq pays européens : France, Belgique, Pays-Bas et Italie.
• La migration devient donc un sujet majeur si non la pierre angulaire des relations euro-marocaine.
La dominance des naturalisations comme stratégie d’intégration s’accentue. Elle s’accompagne d’un refus d’assimilation totale et l’espoir de garder une identité culturelle partielle engendre des déformations et des clivages importants dans les cosinus d’accueil.
Ces transformations et mutations s’accompagnent d’une revendication légitime de citoyenneté et une ascension soutenue de jeunes issus de la migration à des responsabilités politiques et économiques importantes.
Ces mutations ne s’effectuent pas sans de sérieux problèmes auxquels se heurtent les jeunes marocains et de clivages et conflits avec la société autochtone.
Le Maroc pôle d’attraction
Le Maroc restera-t-il un pôle d’attraction pour ses jeunes émigrés ?
La réponse à cette réflexion nécessite une analyse approfondie de la perception qu’ont ces jeunes de leur patrie d’origine en relation avec le processus d’intégration et même d’assimilation dans lequel ils sont engagés.
Nous avons mis en évidence leur aspiration à garder une parcelle d’identité néanmoins restera-t-elle liée au Maroc ?
• L’islam en tant que culte s’écarte de plus en plus de l’obédience vis-à-vis du pays d’origine.
• La langue arabe compte tenu de l’effort qu’elle nécessite, de son utilité pratique et du poids de la langue du pays d’accueil est amenée à une génération près à disparaître ;
• La culture d’origine communiquée au jeune est, comme nous l’avons constaté, dépourvue de toute son essence historique, littéraire et artistique ; elle ne peut résister aux assauts de la culture dominante ;
• L’intérêt matériel n’est nullement en jeu dans cette relation sauf motivations particulières.
Seuls subsistent donc les attraits sentimentaux et subjectifs :
La nécessité de garder ses racines et entretenir les liens avec les siens et le pays des parents.
Des faits constatés ces dernières années pendant les retours de vacances démontrent une attitude plus critique et une expression de besoins plus spécifique. Les jeunes ne rendent plus simplement visite à leurs parents, sont devenus des consommateurs conscients de leurs apports et des individus habitués à des rapports citoyens avec l’administration et l’autorité dans des états de droit.
Emigré et citoyenneté marocaine :
• L’aspiration citoyenne ne se manifeste pas chez les jeunes que simplement dans leurs pays de résidence. Au Maroc, ils ne peuvent et ne veulent pas se considérer étrangers, la revendication citoyenne est donc légitime.
Cette revendication est de plus en plus exprimée compte tenu de l’évolution politique du Maroc. Les acquis dans le domaine des droits de l’homme et l’engagement dans un processus démocratique suscitent un grand intérêt chez les jeunes marocains de l’étranger.
Il est vrai que pendant une longue période, l’immixtion dans l’espace politique était considérés comme un acte risqué et surtout peu productif.
Cette aversion ne s’est pas totalement dissipée compte tenu des vicissitudes du processus démocratique et surtout de l’illisibilité pour eux de l’action politique et de l’opacité du paysage politique au Maroc.
Quel mode revêtirait l’engagement des jeunes beurs dans le champs politique marocain ?
• Des voix se sont élevées pour une participation des marocains établis à l’étranger dans les élections pour la Chambre des députés.
• D’autres privilégient l’accès à la deuxième Chambre à l’instar de ce qui existe en France ;
• Une autre tendance se contenterait d’une participation plus timorée dans un éventuel Conseil économique et social.
Ceci ne peut masquer un handicap majeur sur l’expression politique de la communauté marocaine dû à un manque d’institutions représentatives et aussi de forces associatives disposant d’une légitimité de représentation.
B. Ouchelh est militant associatif engagé dans des question concernant notamment l’immigration
B. Ouchelh - Le Matin