Les transferts d’argent effectués par les Marocains résidant à l’étranger (MRE) contribuent non seulement de façon significative au PIB du Maroc, mais elles représentent aussi une véritable soupape de sécurité pour les familles.
Il est 14h. La salle d’attente est archi comble. Les couloirs connaissent aussi des mouvements. Un agent interpelle sévèrement ceux qui, las d’attendre dans des salles, sont sortis se dégourdir les jambes. Il les somme de regagner les salles et d’attendre patiemment leur tour. « Nous sommes ici depuis trois bonnes heures. Je n’ai même pas pu déjeuner », fait remarquer un futur ex-mari. Nous sommes au tribunal à Casablanca. Pour instruire ces affaires de famille, les juges reçoivent à tour de rôle les concernés.
Depuis, l’amendement du nouveau Code de la famille, beaucoup de choses ont changé. La répudiation est bannie. Aujourd’hui, on parle du divorce et même de divorce à l’amiable. « Quand on voit arriver un couple souriant, on a du mal à prendre au sérieux leur requête. Nous sommes tellement habitués à des divorces difficiles que personnellement je ne comprends pas comment un couple peut arriver à se mettre d’accord pour se séparer amicalement », avoue un magistrat qui donne un autre rendez-vous à un jeune couple qui veut mettre fin à sa vie conjugale.
Les deux ont vécu trois années maritales au bout desquelles ils se sont aperçus que la vie conjugale est une vraie contrainte à laquelle ils ne peuvent plus faire face. L’un et l’autre sont carriéristes et aucun ne semble vouloir concéder. A cela s’ajoute le désir de concevoir un enfant qui n’ait formulé que par une seule partie : la femme préfère rester un peu plus libre « le temps d’avoir un poste plus important », dit-elle mais si le mari est d’accord, sa famille le harcelle et le presse de leur donner un héritier. D’où les crises, les silences et puis les malentendus. « C’est devenu insupportable ! nous sommes devenus des étrangers l’un pour l’autre. Chacun navigue dans sa propre sphère », argumente le mari. Le juge, non convaincu, leur rappelle que le divorce est la pire des fins et qu’il faut se donner du temps pour réfléchir. Au concret, « rendez-vous dans trois mois et revenez avec deux intermédiaires de votre famille ou de vos amis », conclut-il avant d’appeler les autres plaignants.
Cette fois-ci, le juge semble plus à l’aise. Le couple qu’il reçoit vit une vraie discorde. Elle veut divorcer, lui ne veut pas à moins qu’elle ne lui cède tous ses droits y compris le droit de garde des enfants. Elle crie au chantage « il est incapable d’assumer leur responsabilité. Il veut juste faire pression sur moi pour que je ne réclame pas mes droits à la pension alimentaire », crie-t-elle avant d’être rappelée à l’ordre par le magistrat. « Vous n’avez pas d’avocat », constate-t-il « non, monsieur le juge, je ne peux pas payer les frais de l’avocat », répond le mari. Le juge feuillette le dossier et les regarde « vous êtes à votre troisième divorce ! », s’exclame-t-il « vous ne pensez donc jamais à vos enfants que vous concevez entre deux séparations », grogne-t-il avant de se lancer dans un long serment rappelant au couple leur devoir en tant que parents et tous les sacrifices qu’ils doivent faire pour leur progéniture y compris leur mésentente conjugale.
Cette fois-ci, il est plus ferme et rejette la demande du divorce « c’est vrai madame que vous avez le droit, selon la nouvelle loi, de demander le divorce. Mais je ne peux l’accorder aussi facilement. Vous avez des enfants à nourrir et vous ne travaillez pas. Votre mari est votre seule ressource. Si vous divorcez pour la troisième fois, vous ne pouvez plus redevenir son épouse qu’après une autre alliance, ce qui me semble difficile vu votre âge, votre situation et le nombre de vos enfants qui sont en bas âge. D’autant plus que vous n’avez aucune preuve que votre époux vous maltraite, qu’il est malade ou souffre d’un handicap », poursuit-il avant d’appeler le troisième couple qui entre avec deux autres personnes.
Ce sont les intermédiaires. En effet, pour divorcer, il faut se plier à de nombreux règlements. La demande du divorce est formulée, puis le couple est reçu au minimum cinq fois avant d’entendre la décision du juge. Parmi ces étapes, le coupledoit être accompagné, lors d’une séance, par des intermédiaires qui font partie de la famille ou de l’entourage du couple.
Une sorte de jury qui supportera la responsabilité de dire ou non si le couple doit se séparer. Une lourde charge qui est l’aboutissement à des tentatives de réconciliation qu’il doit mener en dehors du tribunal. Le juge les reçoit dans un premier temps, leur demande de s’identifier, prend leur immatriculation et leur présente le dossier. Par la suite, il leur demande s’ils ont essayé de trouver des solutions pour que le couple soit toujours uni et les charge donc de cette mission avant de leur donner un autre rendez-vous pour se prononcer. C’est ainsi que pour la deuxième reprise, les amis du couple sont venus apporter leur soutien.
Ils ont passé des jours à se préparer à répondre à l’ultime question qui décidera de l’avenir de l’union de leurs amis. « Avez-vous trouvé une issue ? » interroge-t-il avant de savoir s’il y a eu une tentative de réconciliation et pourquoi elle n’a pas abouti. C’est ainsi que les intermédiaires se retrouvent-ils face à leur responsabilité et surtout face à leur échec. Ils n’ont pas pu réussir cette noble mission et doivent avouer au juge que ça n’a pas abouti. Pire, ils doivent entendre la sentence du divorce et vivre en direct la rupture définitive du couple.
Libération - Nadia Ziane
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