Le porte-parole du gouvernement marocain, Mustapha Baïtas, a voulu rassurer les Marocains résidant à l’étranger (MRE) au sujet de l’échange automatique d’informations financières et fiscales, signé par le royaume avec l’OCDE à Paris le 25 juin 2019.
L’émigration vers le Canada connaît actuellement une vigueur sans précédent. De plus en plus de Marocains, issus notamment de la classe moyenne, s’installent dans ce pays de l’Amérique du nord. Le Maroc, semble-t-il, ne suffit plus à leurs ambitions légitimes.
Vivre à l’étranger fait rêver. Fantasmer. Partir pour les Marocains est devenu un leitmotiv, un mot d’ordre, une sorte d’espoir collectif. Partir, c’est la nouvelle clé de la réussite, une forme de réalisation de soi. Pour réussir sa vie professionnelle et donner la pleine mesure de ses compétences. Jusqu’ici, les candidats au départ se recrutaient parmi les laissés pour compte, cette jeunesse désespérée, sans emploi, sans avenir. “Il n y a rien à faire au Maroc", entend-on dire partout. Un désespoir qui a atteint sa charge dramatique avec les boat people qui, pour gagner l’Espagne clandestinement et trouver un moyen de subsistance, traversent le Détroit au péril de leur vie. Rien à perdre, passer ou crever. Mais la donne a changé.
Il n’y a pas que les émigrés clandestins qui veulent plier bagage. L’envie de s’expatrier empoigne également ceux qui ont une situation professionnelle au pays, des cadres qui gagnent bien leur vie. Cette catégorie sociale veut à son tour s’installer sous d’autres cieux. Le rythme s’accélère. À croire que tout le monde veut émigrer, quitter le navire. Cela renseigne sur le malaise profond qui ronge le pays. Les conversations dans les salons privés glissent souvent sur cette nouvelle forme d’émigration, la fuite des cerveaux et de l’élite. Des noms d’amis sont cités qui ont pris volontairement le chemin de l’exil. Le manque de confiance et l’absence de perspectives d’avenir sont avancés pour justifier cette hémorragie.
Fascination
L’émigration au Canada a pris, au fil des ans, des proportions importantes. C’est la ruée ou presque. Plus qu’un effet de mode, c’est une lame de fond qui traverse la société marocaine. La fascination pour l’Europe n’étant plus ce qu’elle était, les candidats au départ ont changé de direction et regardent désormais de l’autre côté de l’Atlantique.
État fédéral de l’Amérique du Nord, limité au sud par les Etats-Unis, à l’ouest par l’océan pacifique, au nord-ouest par l’Alaska, au nord par l’océan arctique et à l’est par l’océan atlantique, le Canada est un pays très vaste. Un territoire de 9.976139 Km2 où vit une population de 30 millions d’habitants à peine. Malgré la rudesse de son climat, ce pays a toujours attiré des flux migratoires depuis plus de quatre siècles. Cependant, la communauté marocaine est concentrée, francophonie oblige, dans la région du Québec, située au nord-est du continent américain.
Les filières d’émigration au Canada sont multiples. Certains recourent aux cabinets d’avocats moyennant des honoraires se montant à 30.000 Dh environ. Des annonces dans les journaux et sur Internet font florès. Mais ce moyen a des inconvénients. D’abord, le candidat risque d’attendre longtemps avant d’obtenir une réponse qui peut être soit positive, soit négative. Et puis, comme il est juteux, ce créneau a été investi par des escrocs, qui exploitent la détresse des immigrants potentiels. Mais le moyen le plus sûr reste la voie officielle. Déposer un dossier auprès du gouvernement du Québec via l’ambassade du Canada à Rabat. Il ne suffit pas de déposer sa candidature pour qu’elle soit acceptée. Les critères de sélection des candidats sont rigoureux.
Chantier
Le choix se fait en fonction des besoins du pays d’accueil en matière de compétences. Les profils demandés sont des universitaires ou des lauréats des écoles techniques ayant un minimum d’un an d’expérience. Les secteurs privilégiés : les technologies de l’information, l’ingénierie, la finance, les techniques d’entretien... Les compétences dont le Maroc a justement besoin pour se construire et décoller. Jusqu’à quand le Maroc va rester figé à l’état de projet, de grand chantier ?
Hassan est auditeur. Naïma informaticienne. Ce couple est en train de plier bagage. Destination : le Canada. Hassan et Naïma ont d’abord inscrit leurs enfants, un garçon et une fille, dans les universités canadiennes. C’est maintenant à leur tour de les rejoindre. Ils se sentent de moins en moins à l’aise chez eux. Et puis, ils pensent qu’ils ont la possibilité de mieux gagner leur vie là-bas.
Des couples comme Naïma et Hassan, il y en a des centaines. Ils ne demandent qu’à partir. Le service de l’immigration croule chaque jour sous une avalanche de demandes d’émigration. En l’an 2000, l’ambassade du Canada à Rabat a émis 2800 visas permanents avec un taux de refus de 12%. La communauté marocaine vivant au Canada est estimée à près de 60 000 personnes. Ce chiffre est appelé à augmenter pendant les années à venir.
Alors pourquoi, ces catégories professionnelles, issues essentiellement de la classe moyenne, prennent-elles le chemin de l’exil ? Lors de l’entretien avec les postulants, on évoque la qualité de l’environnement du travail au Canada et de meilleures chances d’épanouissement que le cadre marocain n’offre pas. En fait, il y a autre chose. Ceux qui veulent s’installer définitivement au Canada ne cherchent pas a priori à faire fortune. Une catégorie de gens convoitent seulement la nationalité canadienne qu’on obtient au bout de 3 ou 4 ans. Pour cela, ils se présentent comme des investisseurs désireux de monter un projet au Canada. Seule condition : déposer l’équivalent de 3 millions de Dh dans une banque canadienne.
Fortune
Cette démarche se fait généralement à Paris. Une fois au Canada, l’investisseur potentiel se voit délivrer des papiers de résident et peut faire des allers-retours entre le pays d’accueil et le pays d’origine en attendant de devenir canadien. Pendant ce temps, si l’argent n’est pas utilisé par son dépositaire pour mettre effectivement sur place son projet, il est fructifié par les autres, injecté dans le circuit économique local. En fait, les autorités canadiennes profitent de cette course vers la nationalité pour obtenir de l’argent frais. Nombre de Marocains, hommes d’affaires fortunés, voire des personnalités politiques, ont recouru à ce procédé qui s’accompagne souvent d’une fuite de capitaux. Prendre une nationalité étrangère rassure et protège à la fois. Un pied ici et un pied là-bas. Un jour... On ne sait jamais... Une espèce de soupape de sécurité. Une espèce d’ombrelle extraterritoriale par rapport à un Maroc habitué jusqu’ici à vivre sous les parapluies. Ces derniers, refermés, ne protègent plus. Les privilégiés d’hier, qui ont tiré profit du système, sont les premiers à le critiquer, à vouloir le fuir. Le Maroc commence à changer. Les privilèges se réduisent, l’impunité est de moins en moins garantie. Forcément, on est inquiet à l’idée d’être un jour inquiété. Quand le pays a besoin d’eux après leur avoir permis de s’enrichir, ils quittent le navire comme des rats. C’est ainsi. L’ingratitude.
Chacun assume son intérêt pour le Canada. Chacun est libre de ses mouvements. Libre d’aller s’installer là où il veut. Ce qui en premier lieu attire la majorité des candidats au départ, ce sont cependant les avantages offerts par ce pays. Des avantages que même les Etats-Unis et certains pays européens n’offrent pas. Il s’agit notamment du confort de vie, de la couverture médicale et du système éducatif en termes de qualité de l’enseignement.
L’enseignement. C’est ce dernier point qui pousse la plupart des couples à choisir le Canada. Se sacrifier pour leurs enfants quitte à supporter les rigueurs du froid et la nostalgie du pays pour qu’ils reçoivent une formation qui leur permette de s’insérer facilement dans la vie active. Des filières aussi pointues que l’agroalimentaire, la pharmaceutique, l’aérospatiale et les technologies de l’information sont disponibles. En somme un circuit universitaire pragmatique et efficace dont les diplômés trouvent facilement de l’embauche. Chose que le système scolaire marocain, ayant du mal à sortir de la crise qui le mine, n’est pas en mesure d’offrir. L’avenir au Maroc fait peur. L’incertitude totale. “À moins d’avoir des moyens pour garantir à sa progéniture des études à l’étranger, on n’est pas rassuré pour le devenir de ses enfants”, explique un candidat au départ. Certes, il fait bon vivre au Canada, on ne s’y ennuie pas. Les loisirs ne manquent pas. Tout est réglé comme du papier à musique. Chacun connaît ses droits et ses obligations. Pas de privilèges. Ni favoritisme, ni népotisme.
Mais le Canada n’est pas un Eldorado où l’argent coule à flots. Le salaire minimum est de 6,90 dollars de l’heure. Mais cela dépend du profil, de l’expérience et du secteur d’activité du candidat. Une chose est sûre : il faut travailler dur pour gagner sa vie. En outre, trouver un emploi n’est pas chose aisée. Les nouveaux arrivants, à moins de débarquer avec un boulot en poche, ce qui n’est pas le cas de tout le monde, doivent se démener pour dénicher une situation convenable. Il faut surtout connaître les bons tuyaux. Et puis, le chômage n’est pas inexistant. Au Québec, le taux de chômage en 1999 était de 9,1%, alors que dans l’ensemble du Canada il est de 7,2%.
Brassage
Ce ne sont pas ces chiffres qui vont dissuader les candidats au départ. Rien n’arrêtera ceux qui veulent partir. Le Maroc n’a pas su retenir ses enfants. Que faire ? À moins de renverser la vapeur et restaurer la confiance, rien du tout. Certains peuvent toujours arguer que les déplacements des populations sont un phénomène normal, qui a toujours existé et qui existera toujours. D’autres peuvent même renchérir que les flux migratoires, de par le brassage des populations qu’ils entraînent, représentent une certaine richesse culturelle. On se console toujours comme on peut.
Abdellah Chankou - Maroc Hebdo
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