Les précipitations très faibles (inférieures à 150 mm) et surtout très irrégulières, l’ensoleillement supérieur à 3200 heures par an et l’évaporation donnent un bilan hydrique déficitaire.
A 1300 mètres d’altitude, sa situation au pied du versant méridional du Haut Atlas dont les sommets proches culminent à plus de 2500 mètres lui permet de bénéficier des eaux de la fusion de la neige ou des pluies drainées par les vallées qui convergent vers l’oued Todgha. L’oued Todgha rejoint enfin l’Oued Rhéris dont les eaux sont captées, par des aménagement récents, pour abonder dans l’Oued Ziz et redonner vie à la palmeraie d’Erfoud ou se perdre dans les étendues sahariennes en cas d’excès.
La vallée du Todgha, longue d’une trentaine de kilomètres, s’ouvre avec une orientation sud-est sur la dépression qui sépare le Haut Atlas et l’extrémité orientale de l’Anti Atlas et de sa dernière montagne, le Djebel Sarhro. L’encaissement de la vallée du Todgha limite l’action desséchante des vents dominants : le Chergui (vent du N-E) et le Sahéli (vent du S-O). A la limite du roc et des alluvions de la plaine naissent quelques sources pérennes et saines.
Mise en place du paysage : histoire et nécessités des aménagements
La région, située sur un axe de communication trans-saharien, a connu un développement intégré aux échanges. Entre le 8e siècle et le 16e siècle, Tineghir se situe sur les axes caravaniers qui relient Tombouctou à Marrakech et Fès. Sijilmassa dans le Tafilalet, à 160 kilomètres de là, était le grand port du désert, la tête de pont du trafic caravanier et c’est aussi la région d’origine des Alaouites qui dominent le Maroc depuis le 17e siècle.
L’eau sourd des gorges du Todgha mais la naissance de ce paysage ne peut s’expliquer que par des travaux importants (terrassement, construction de puits, de galeries, de canaux, etc) poursuivis de générations en générations. Cette construction a nécessité de lourds investissements en hommes, en techniques et en capitaux qui ne peuvent se concevoir que dans le cadre d’une économie prospère et de structures étatiques stables.
Les bénéfices retirés du commerce de l’or permettent de faire venir et de renouveler la main-d’œuvre d’esclaves amenée de la région des savanes pour creuser les puits et les galeries, travailler à l’entretien des canalisations. A l’agriculture qui assure la subsistance des travailleurs s’ajoutent souvent des productions de haute valeur faciles à transporter : Dattes, plantes médicinales dont la vente permet de couvrir les frais qu’entraîne l’extraction de l’eau. Le déclin du trafic des routes de l’or au 16e siècle entraîne une lente mutation de cet espace que l’intégration du Maroc à l’économie mondiale vient accélérer.
Des espaces écologiques compartimentés
Violent est le contraste qu’offre la palmeraie, son eau et sa végétation abondantes, avec les étendues semi-arides qui l’environnent. Mais si tout au long de la vallée qui s’élargit la palmeraie ressemble à un ruban vert, l’analyse minutieuse des réalités écologiques et sociales fait apparaître des diversités que l’on peut regrouper en trois ensembles distincts. La montagne et les gorges, la palmeraie et la plaine sèche. La montagne au nord des gorges est le domaine de la tribu des Aït Haddidou qui nomadisent encore dans les hautes vallées et qui parfois se sont sédentarisés dans des hameaux. A Tamtattoucht on rencontre une maigre activité agricole et pastorale et une petite carrière de dalles de schiste pour un usage local. Auprès des pistes des tentes abritent les familles de bergers qui pratiquent une économie de troc avec les gens de la palmeraie.
Dans les gorges où l’eau sourd en surface, s’est développée une activité touristique (hôtels restaurants, petits vendeurs.)
Brutalement, dès que la vallée s’élargit, commence la palmeraie. Cette partie vive de l’oued Todgha se divise en deux espaces qui se différencient tant par les pratiques agraires que par la coutume. Enfin, quand l’encaissement s’atténue et que l’eau devient rare, une grande tribu pratique une céréaliculture sèche. C’est bien sûr le cours moyen du Todgha et la palmeraie qui retiennent toute notre attention pour une analyse de la maîtrise des données physiques dans un optimum de productivité en constante évolution.
La maîtrise de l’eau : traditions et mutations
Au sortir des gorges, au nord de la source qui abonde dans le bassin aux " poisson sacrés ", l’usage de l’eau est libre. Cet espace se définit dans le droit coutumier comme étant " hors la loi ", c’est-à-dire en dehors de toute règle de répartition de l’eau ou de limite de son usage. La vallée est étroite et l’eau abondante. Les alluvions grossières et le cours anarchique de l’eau ne permettent pas la constitution d’un sol favorable aux productions agricoles.
En aval de la source et du bassin des " poissons sacrés " commence le domaine où la loi organise l’usage de l’eau. Chaque tribu vit en symbiose avec la terre arable dans le cadre d’une économie complexe qui repose sur un système de répartition de l’eau de surface. Des canalisations conduisent par gravité l’eau collective aux parcelles en proportion de leur taille : ce sont les séguias. Chaque tribu dispose de trois jours durant lesquels elle irrigue les parcelles qui appartiennent à ses membres. Ainsi, à tour de rôle l’eau vient humidifier la terre féconde de chaque tribu alors que l’excédent est laissé au cours d’eau pour un usage en aval.
Au plus bas du cours, les versants de la vallée se fondent dans l’espace de la dépression qui sépare les deux Atlas. L’eau devient rare, le vent et le soleil rendent improbables le jardinage et l’arboriculture : c’est le domaine de l’importante tribu de plusieurs milliers d’âme des Harra Mourabitun. Cette tribu descend probablement d’esclaves noirs importés pour la mise en place du paysage. Le travail de capture de l’eau lorsqu’elle disparaît de la surface consiste cette fois à creuser des grands systèmes de drainage souterrains destinés à capter l’eau infiltrée dans les piémonts alluviaux et à la concentrer sur les oasis ; les Khettaras ou foggaras. Il s’agit de ce qu’on appelle kharez et qanat en Iran et que les Saadiens, venus d’Arabie ont dû apporter au Maghreb au 14e siècle.
La tribu dispose deux fois par an de l’usage de l’eau : durant trois jours après l’Aïd-el-kébir et un mois après les semailles d’octobre pendant le moussem de leur marabout protecteur.
Mais la palmeraie ne constitue plus de nos jours la source unique de la richesse. Les séguias et les foggaras sont moins bien entretenues, la coutume n’est plus aussi rigoureusement respectée. Le système ancien avait aussi pour but de réguler le cours du bouillant cours d’eau. Il résulte de ce désordre une salinisation liée à la dégradation chimique des sols.
L’évolution individualiste des modes de vie se manifeste par la multiplication des motopompes installées par de petits entrepreneurs qui vendent sinon l’eau du moins les frais qu’occasionnent de telles installations.
Une végétation étagée : jardinage et arboriculture
La palmeraie qui semble de haut un espace dense, s’éclaircit à mesure qu’on la pénètre. Le palmier-dattier (phoenix dactylifera) est le symbole de l’occupation humaine et de la maîtrise de l’espace et fut longtemps la source principale de revenu. Le faîtage de ce végétal arborescent protège de l’ardeur du soleil et de la dessiccation les sols destinés aux cultures. Le palmier produit des fruits recherchés et son xyle donne un bois de médiocre qualité toutefois. Lisons Al- Hasan Ibn Muhammad Al-Fa’si (1483-1555) autrement dit Léon L’Africain : " Les femelles font des fruits, les mâles ne produisent rien d’autre que des grappes de fleurs. Il faut avant l’éclosion des fleurs femelles, prendre un petit rameau de fleurs mâles et le fixer sur les fleurs femelles, autrement l’arbre ne produit que des vilaines dattes avec un très gros noyau. "
Planter un rejet dans une fosse profonde, l’orienter face au soleil levant, lui assurer des centaines de litres d’eau par jour, attendre des années l’âge de la fécondité des femelles, bénéficier des températures nécessaires à la bonne maturation des dattes (supérieures à 7° en janvier et à 18° en juillet), tailler et récolter les fruits, protéger la plante contre les parasites ; tout cela demande un travail continu.
Un deuxième niveau de la palmeraie est favorable aux arbres fruitiers. Sous les palmiers, des grenadiers, des abricotiers, des figuiers et des vignes s’épanouissent. Mais, de plus en plus, l’olivier supplante les autres arbres car il offre une production plus rentable. Or, l’olivier exclut le palmier. En effet en présence des oliviers, les palmiers dépérissent.
Le sol est occupé par les champs de céréales (blé, orge, maïs, etc), de légumes (tomates, carottes…) et surtout de luzerne pour les animaux qui restent enfermés dans les cours des casbahs.
Les productions actuelles se sont adaptées aux besoins nouveaux. La viande entre davantage que par le passé dans la composition du tajine du midi ou du couscous du soir ; les céréales ou la farine arrivent par la route ; la production de dattes est concurrencée par les importations algériennes.
Les gens de la rivière : pratiques agraires et pratiques sociales
Les tribus tournées vers l’eau s’appellent " les gens de la rivière " par opposition aux nomades. Une quarantaine de tribus se dénomment du nom d’un ancêtre précédé généralement du mot Aït (fils de…) : Les Aït… Aritane, Snane, Ijou, Oujana, Bouajane, Tikoutar, Asfalou, Tiadrine, Taourirte, Aritane, Ichmariroe, Ourjdal, Ihajamne etc…
Chaque tribu a son Ksar de terre compactée construit au dessus du lit supérieur de l’oued en évitant d’utiliser la terre arable. Chaque Ksar possède son four, son bain, sa salle de prière et le marabout de l’ancêtre éponyme. Les règles de vie sociale et d’usage de la terre et de l’eau sont codifiées par la coutume. Ces lois coutumières, orales à l’origine, sont inscrites sur planchettes. Les questions relatives à ces lois (création, sanction, évolution) sont discutées en assemblée.
Longtemps un conseil des tribus tentait de concilier les intérêts des groupes tribaux. En cas de conflits extrêmes, la guerre pouvait représenter une solution. Les tribus concernées qui souvent se faisaient face dans la vallée s’alliaient aux hommes des montagnes plus belliqueux. Les Aït Haddidou des montagnes en amont de l’oued et les Aït Atta du Djebel Sarhro entraient alors dans le jeu. Chacune des deux puissantes tribus nomades tirait de cet appui des revenus et tissait des liens avec les gens de la rivière. Par ailleurs, pour éviter les trahisons, des interdits matrimoniaux existaient entre certaines tribus de la rivière. Les nomades, qui ont résisté jusque dans les années trente à la pénétration militaire française (bataille du Bou Gafer en 1933), ont perdu de leur superbe ; ils se sont sédentarisés et paupérisés. Aujourd’hui, ces relations conflictuelles se règlent par le biais des institutions municipales et étatiques sises à Tineghir mais qui continuent, à côté du droit moderne, à se référer aux lois coutumières. Longtemps partie intégrante des tribus de la vallée, les juifs berbérophones ont quitté le Maroc à partir des années cinquante. La langue, les fêtes, les pèlerinages, la vie commune ont rapproché les rituels religieux et la vie quotidienne des communautés juives et musulmanes.
Les légendes en font des exilés depuis Nabuchodonosor. Un manuscrit du Dades du 12e siècle (la vallée à cinquante kilomètres à l’ouest de Tineghir) semble accréditer la thèse d’une installation antique. Le travail des métaux et l’orfèvrerie leur étaient réservés. ( Dans les kars de cette province, il existe des artisans et aussi des orfèvres juifs sur la route de Fès à Tombutto ") signale Léon L’Africain. Ils transformaient la poudre d’or venue du Ghana en bijoux, fils ou lingots. On leur prêtait de ce fait des pouvoirs magiques importants et c’est dans le Mellah (le quartier juif des villes marocaine) qu’ont lieu des pratiques religieuses hétérodoxes que les autorités tentent encore aujourd’hui d’empêcher (transe, feu sacré, … ).
Le Mellah est occupé aujourd’hui par les Aït El Haj-Ali, une tribu récemment constituée autour du marabout de son fondateur.
Habitats, communications et migrations
De part et d’autre de la vallée, d’importants ksours regroupent les différentes tribus. Un Ksar est un village de terre en général qui regroupe les maisons des différentes familles d’une tribu. Une plus grosse maison disposant d’un grenier fortifié prend le nom de casbah.
L’accroissement démographique a été absorbé par l’exode rural qui s’oriente vers Marrakech et le littoral atlantique (Agadir et Casablanca surtout). Enfin de nombreux habitants sont partis pour l’étranger (la France surtout) d’où ils reviennent pour construire une grosse maison le long des route nouvelles et continuent d’entretenir la famille restée au pays et de tisser des liens matrimoniaux.
Cette mobilité entraîne dans l’habitat des mutations perceptibles. Les vieilles casbahs de terres sont abandonnées au profit de nouvelles constructions de ciment (harmonieusement peintes) le long de la route goudronnée par où arrivent les moyens de communication ( bus, taxis) et les produits de consommation modernes.
Avec l’exploitation des richesses du Maroc à l’époque du protectorat, des mines de fer ont été ouvertes dans le Bou Gafer et elles continuent aujourd’hui à employer une partie de la population excédentaire dégagée par la chute de la mortalité dans la seconde moitié du 20e siècle.
Une activité touristique se développe autour des gorges et de la ville de Tineghir qui constitue une étape des circuits marocains (hôtels, bazars etc. ..) .Des activités tertiaires classiques des bourgs de régions agricoles existent et l’emploi public offre quelques débouchés. Mais la vie est rude : Il reste pour beaucoup de jeunes sous employés le rêve de plus en plus inaccessible d’un contrat en Europe.
Bulletin de Liaison des Professeurs d’Histoire-Géographie de l’Académie de Reims. N°25, 2001.