Le roi Mohammed VI a adressé mardi 26 septembre une Lettre royale au Chef du gouvernement, annonçant une révision approfondie du Code de la famille (Moudawana), près de 20 ans après celle opérée en 2004.
On assiste, ces derniers jours, à des professions de foi de la part des islamistes du PJD, mais surtout des dirigeants de al içlah wa at-tawhid, voulant accréditer l’idée qu’ils sont des démocrates.
Or la pratique, qui vaut toujours plus que le simple discours, prouve exactement le contraire.
En effet, sur de nombreux problèmes de société, l’expérience politique de ces dernières années a montré que ces « islamistes » ont eu des comportements exactement contraires à l’effort entrepris pour consolider les institutions démocratiques dans le pays.
Démarcations et clivages essentiels sur les ressources du droit au Maroc : Feu S.M. Hassan II a constitutionnalisé le Sunnisme
Le premier grand problème a été le plan d’intégration de la femme dans le développement.
A ce sujet, et là ce n’est qu’un rappel, des démarcations essentielles ont été observées au sein de la classe politique marocaine.
Ces démarcations constituent, à n’en point douter, des clivages profonds concernant l’adhésion ou non à la démocratie en tant que système de gouvernance que la constitution marocaine a entériné en l’adaptant à l’identité nationale fondée sur les trois constantes que sont l’Islam sunnite et malékite, la monarchie qui exerce la fonction de Imarate Al Mouminine et enfin l’intégrité territoriale du pays.
Or, les « islamistes » ont eu vis-à-vis de ce choix fondamental, entériné par référendum, des attitudes de destruction systématique.
Au niveau de la méthodologie législative, d’abord.
Rappelons que pour feu S.M. le Roi Hassan II, initiateur des différentes constitutions du Royaume, la procédure législative inscrite dans la constitution est une traduction formalisée de ce qui constitue les fondements mêmes du sunnisme qui se caractérise par la recherche des consensus les plus forts et les plus positifs dans la détermination de la règle de droit (at-tachriâa âbra ijmaâ al oumma).
Les « ressources » du droit, disait-il dans une allocution fort remarquable au sein de l’Assemblée nationale française, revient aux représentants de la nation que sont les parlementaires, et à défaut de consensus suffisant, à l’ensemble de la oumma par voie de référendum.
Le sunnisme-malékisme et le droit constitutionnel au Maroc
En présentant cela, il exprimait en fait la traduction du sunnisme dans ce qui le fonde réellement depuis 12 siècles.
Le fait que les représentants du peuple assument une part essentielle dans la décision législative aux côtés de Amire Al Mouminine et du gouvernement, a une signification précise pour les Marocains, à savoir, c’est le malékisme qui est ainsi inscrit comme ressource essentielle pour la détermination de la règle de droit.
En effet, ce qui caractérise le malékisme par rapport aux autres écoles sunnites que sont le hanafisme, le chaféisme et le hanbalisme c’est justement les « al maçalih al moursala » et « ma jara bihi al âmal ».
Explicitons.
« Al maçalih al moursala » : légiférer dans l’intérêt général et durable
La recherche de la « maçlaha » est une optimisation entre ce qui est Bien et ce qui est Mal.
Exemple. Lorsque Omar Ibn Al Khattab, deuxième khalife, décida de ne pas couper la main à un voleur, et en opposition évidente avec un verset coranique, il l’a fait en optimisant entre deux maux dans l’objectif de choisir le « moindre mal » pour la société.
D’un côté, ne pas couper la main au voleur est considéré comme un mal absolu puisque le Bien est dans l’application du Texte coranique.
De l’autre côté, couper les mains au voleur impose à Beit Al Mal de subvenir aux besoins du voleur à qui on coupe les mains et aux besoins de ses ayant droits. Les dépenses permanentes qu’une application littérale du Texte impose à la collectivité est un mal absolu.
Donc, entre les deux maux, Omar Ibn Al Khattab a choisi un moindre mal relatif à la rééducation par flagellation.
Entre deux maux, choisir un moindre mal pour la collectivité est exactement ce que les malékites entendent par « Al maçalih al moursala », c’est à dire entre deux intérêts absolus, choisir l’intérêt le plus durable même s’il est relatif.
C’est une démarche rationnelle et surtout c’est la base culturelle de ce que l’on appelle communément l’Islam tolérant.
En Arabie Saoudite, c’est l’arrivée du wahhabisme qui est une version extrême du hanbalisme, qui a d’abord éliminé le malékisme de sa Cité d’origine qui est Médine et qui a réintroduit l’ablation des mains des voleurs rompant brutalement avec la jurisprudence laissée par Omar Al Khattab.
« ma jara bihi al âmal » : légiférer en fonction de la volonté de la communauté
En ce qui concerne « ma jara bihi al âmal » c’est en fait l’analogie de ce que l’Imam Malik appelait « âmal ahl al Madina ». C’est à dire les comportements naïfs ou plus élaborés des individus au sein de la communauté génèrant à la longue des habitudes et des « ôurfs » qui, globalement et parce qu’ils traduisent une rationalité collective à travers ces comportements, souvent nouveaux au sein de la société, s’intègrent naturellement dans le droit musulman.
Un exemple : prêts sur hypothèque.
Au milieu du 17ème siècle, les fouqahas marocains ont eu à se prononcer sur le prêt sur hypothèque. Cela concerne un individu ayant une maison ou un bien immeuble qui contracte un empreint auprès d’un autre individu et en contrepartie il cède l’usufruit de son bien immobilier au prêteur. C’était d’un usage généralisé dans les villes marocaines. Certains y ont vu un contrat usurier (ar-riba). Les malékites, dans leur grande majorité, ont estimé que c’est là un arrangement licite puisque la communauté y a vu un intérêt et la garantie des droits des deux parties contractantes.
Lorsque l’on écoute nos « islamistes » dire que les intérêts bancaires sont « haram », il est clair qu’ils sont sous l’influence nette du « pétro-wahhabisme » et qu’il tournent le dos au malékisme, et surtout, ils tournent le dos au bon sens commun. Ce qui est amusant c’est que ce sont des « Islamistes » fonctionnaires qui exigent leur droit à la retraite qui, comme chacun le sait, est calculé et revalorisé par les intérêts, et qui donnent cette fetwa qui rend les intérêts bancaires illicites.
Les « Islamistes » sont les porteurs du vrai projet de séparation de l’Etat et de la Religion
Et pour revenir à la question de la démocratie, disons que les « Islamistes« montrent une indigence essentielle en matière de sciences religieuses et en matière de sciences rationnelles.
Car, lorsqu’on les entend stigmatiser ceux qui, à l’extrême gauche, demandent la séparation de l’Etat et de la Religion, l’on est en droit de se demander s’ils sont conscients du fait que cette séparation de l’Etat et de la Religion est leur propre revendication.
Explicitons.
Lorsqu’ils disent que la Moudaouana étant l’essentiel dans l’Islam, les pouvoirs publics n’ont pas compétence de la réformer et que c’est là un domaine réservé au Faqih, sont-ils conscients que plus que cela comme séparation entre l’Etat et la Religion, il n’y en a pas.
Sont-ils conscient que leur modèle qu’est le système politique saoudien traditionnel est justement un modèle de séparation de la Religion et de l’Etat ?
En effet, le système politique traditionnel en Arabie Saoudite est un système dual où la Religion est du domaine du Faqih-Mufti et l’exécutif est du domaine de l’Etat.
Sont-ils conscients qu’au Maroc, l’institution de imarate al mouminine a été justement le rempart, depuis les Almohades mais surtout depuis les chorfas Saadiens et Alaouites, contre la dualité du système politique et surtout contre l’instauration d’une « Eglise » déguisée sous forme d’institution de la Fetwa, ce qui aurait été, pour le sunnisme-malékisme, une « israélisation » de la conception de l’Islam.
Lorsqu’ils réservent le problème de la femme au Faqih et laissent la législation sur les oiseaux migrateurs et le poisson industriel au parlement, savent-ils qu’à travers cela, ils considèrent que Dieu ne s’intéresse qu’à la femme et pas aux oiseaux ?
N’est-ce pas là une confirmation de leur part qu’ils veulent une séparation entre les règles de droit et la Religion ?
Il est illusoire de vouloir gommer une accumulation historique simplement en énonçant des fetwas
Il est temps qu’ils admettent qu’au Maroc, nous n’accepterons jamais une dualité de notre système politique comme c’est le cas en Iran ou en Arabie Saoudite. Pour une simple raison c’est qu’il est en contradiction profonde avec l’Islam tel que le Maroc l’a connu et pratiqué depuis 12 siècles.
L’Islam de Al Qardaoui ou d’autres oulémas saoudiens ne pourra nous satisfaire parce qu’il est tout sauf l’Islam qui a séduit l’occident musulman fort de son pluralisme culturel et ouvert sur l’Afrique, sur l’Orient et sur l’Occident.
C’est une identité suffisamment forte pour nous prémunir des déviations que les « islamistes » véhiculent à la demande de leurs maîtres à penser wahhabites. Même les Saoudiens n’en veulent plus maintenant et bravent le terrorisme intellectuel et physique de l’organisation qui usurpe « Al amr bil-maârouf wa an-nahy ân al mounkar ».
Finalement, il est illusoire pour les Islamistes du PJD et de Al Içlah wa at-tawhid de vouloir gommer toute une accumulation historique, culturelle, religieuse et politique uniquement en ânonnant les fetwas d’un Qardaoui ou d’un autre en croyant, ainsi, rendre service de l’Islam.
Ils devraient ne jamais oublier qu’à force de vouloir « simplifier » l’Islam à un bêtisier fait de haines et de jugements déconnectés de leur réalité, ils introduisent d’abord une fitna culturelle qui peut dégénérer en fitna sanglante. Les derniers attentats terroristes de Casablanca montrent que les excès de at-tajdid et du PJD font courir de grands risques aux musulmans de ce pays. Et si ces « islamistes » étaient de vrais croyants, on aurait lu au moins une autocritique d’un ou de deux parmi leurs dirigeants.
Pour le moment, il est connu que pour la religion musulmane, il y a une sacrée différence entre ceux qui se disent musulmans et ceux qui sont des croyants ?
AlBayane.
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