Nadia Fettah, ministre de l’Économie et des finances, salue la réforme en cours du régime de change marocain, affirmant qu’une étape importante est en train d’être franchie pour améliorer la flexibilité du dirham.
C’est un volumineux rapport de 416 pages, classé « très confidentiel », que la Banque mondiale (BM) vient de remettre à la nouvelle équipe gouvernementale. Intitulé « Des conditions propices à une croissance plus rapide et plus équitable », ce rapport comporte 18 notes de politique, dans lesquelles la Banque expose et analyse les défis que le Maroc doit relever dans les cinq prochaines années, et préconise des solutions qui sont autant de points d’appui pour le nouvel Exécutif. En même temps, ce travail est une façon pour la BM d’engager un dialogue avec le gouvernement dans le but d’ajuster sa stratégie et ses programmes, en fonction justement des observations que celui-ci apportera (ou non) sur ces notes.
Quatre grands thèmes classiques sont couverts par ce rapport : l’amélioration de la compétitivité internationale et du climat de l’investissement, le renforcement de l’efficience du système éducatif, l’amélioration quantitative et qualitative des services sociaux destinés aux pauvres et aux groupes marginalisés et l’augmentation de l’accès aux services d’eau et d’assainissement. Outre ces thèmes, récurrents dans les rapports de la BM, celle-ci en a introduit de nouveaux : l’agriculture, la formation technique et professionnelle, la protection sociale et les réformes du secteur de la santé.
Que dit donc ce rapport ? D’abord que les réformes structurelles menées au cours de cette dernière décennie ont permis une gestion macroéconomique saine du pays et des paramètres fondamentaux de l’économie solides. Mais ce n’est plus suffisant. Les bons indicateurs économiques cachent en fait des inégalités et une pauvreté persistantes. Le plus grave, selon la BM, est que si la croissance s’accélère - et il faut sans doute qu’elle s’accélère ! -, les inégalités pourraient se creuser encore et aggraver le risque de tensions sociales.
Le défi que la nouvelle équipe gouvernementale est appelée à relever est donc double : réaliser des taux de croissance élevés et combler le fossé qui sépare les classes les plus prospères des classes pauvres et défavorisées. Plus qu’une stratégie de croissance, il s’agit en somme de mettre en place et de réussir une stratégie de développement. Dire que c’est une entreprise difficile qui relève de la tautologie. Mais ce n’est pas irréalisable. Et ces notes de la BM disent justement qu’il est « possible de faire mieux sur les fronts à la fois économique et social ». D’où ces « trois messages stratégiques » que la BM entend faire passer.
Premier message, le Maroc peut atteindre et maintenir un taux de croissance plus élevé (plus de 6% par an) que la moyenne des six dernières années (5,3%), au cours de la prochaine décennie. Mais compte tenu de la part importante du secteur agricole dans l’économie (entre 15 et 20% du PIB et près de 50% de l’emploi), il suffit que la pluviométrie ne soit pas au rendez-vous pour que la morosité s’installe. C’est le cas de la mauvaise récolte de 2007 qui a ramené le taux de croissance à quelque 2%. C’est pourquoi la BM estime qu’il est « capital » de réformer le secteur agricole et de « diversifier » l’économie afin de réduire l’importance relative de l’agriculture.
Deuxième message : le Maroc, dit la BM, peut avoir une croissance « de meilleure qualité ». Mais pour cela, il doit combler le fossé qui sépare les « deux Maroc », c’est-à-dire les classes prospères et les pauvres. Bien plus que cela, une croissance de meilleure qualité, précise le rapport, n’implique pas seulement de réduire la pauvreté, « mais aussi d’accorder une place accrue à l’équité ». La question du comment se pose toutefois (c’est l’objet des notes de ce rapport).
Troisième message, enfin : le Maroc peut améliorer sa gouvernance. En fait, il doit l’améliorer s’il veut justement réaliser les objectifs contenus dans les deux premiers messages. La BM se dit d’ailleurs surprise que tous les indicateurs de gouvernance du Maroc se soient dégradés entre 1998 et 2005. En particulier, note le rapport, l’indicateur « être à l’écoute et rendre des comptes ». L’Open Budget Index de 2006, qui évalue le degré d’accès du public aux informations budgétaires, a également critiqué « le manque de transparence de la comptabilité publique ».
Comment accélérer la croissance et la rendre durable...
Le rapport de la Banque mondiale part du constat que la croissance tirée par la seule demande intérieure comporte des limites évidentes. Or, souligne le rapport, l’économie marocaine présente désormais les signes de ce que les experts appellent le « syndrome hollandais » ; c’est-à-dire une réorientation excessive de la production au profit des secteurs produisant pour la consommation domestique. C’est pourquoi il est recommandé de mettre en place une stratégie de croissance tirée par les exportations et non plus seulement par la demande intérieure. Pour cela, des réformes commerciales s’imposent afin de faire sauter les obstacles qui sont autant de freins pour les exportations et en même temps de protection du marché intérieur. Pourquoi ? Parce que le protectionnisme détourne les investissements vers des secteurs obsolètes, non concurrenciels, et donc peu créateurs d’emplois, tandis que les activités tournées vers l’exportation, pour se maintenir sur les marchés extérieurs, doivent être compétitives et donc créatrices de valeur.
Parmi les réformes commerciales préconisées, citons la simplification du régime douanier, la révision des mesures non tarifaires qui freinent les échanges, la réduction des coûts des services portuaires et des transports...
Outre les réformes commerciales, les rédacteurs du rapport estiment indispensable la poursuite de l’assainissement des finances publiques. En particulier, il faut ramener la masse salariale à 10% du PIB, et « stopper d’urgence l’hémorragie des ressources publiques » en réduisant les subventions à l’énergie (carburants notamment) et en remplaçant les subventions alimentaires par un soutien ciblé. Autre réforme clé, celle de l’agriculture. Il s’agit, selon le rapport, de réorienter la production vers des cultures à haute valeur ajoutée et, parallèlement, de développer, à l’aval du secteur, des activités économiques comme l’agroindustrie, le tourisme, les services. Cela est de nature, d’après le rapport, à accroître les emplois et les revenus dans les régions rurales.
Promouvoir une croissance équitable...
Le lien entre croissance rapide et équité n’est plus à démontrer. La Banque mondiale écrit, noir sur blanc, que « le passage [du Maroc, NDLR] à des politiques servant les intérêts des pauvres est (...) essentiel pour accélérer la croissance et bâtir une société plus équitable ». Parmi les points d’accès à ces politiques équitables, il y a d’abord l’éducation. Les analystes de Washington louent la « vision pertinente de la Charte nationale de l’éducation », mais regrettent qu’elle progresse « lentement » et qu’elle « laisse de côté » l’enseignement technique et professionnel. Aussi proposent-ils à la nouvelle équipe de prendre plusieurs mesures pour « recentrer » la réforme de l’éducation. Entre autres mesures, l’instauration d’un système d’évaluation périodique au regard des critères d’apprentissage, l’abaissement du taux de redoublement, l’accroissement de l’efficience des dépenses à travers une meilleure productivité des enseignants et une maîtrise du budget des salaires, la création d’un fonds compétitif pour la formation continue des enseignants...
L’autre point d’amélioration serait la réorganisation du système de protection sociale. Le système actuel est jugé « trop coûteux et inéquitable ». Le rapport indique que plus de la moitié du budget social est alloué à des « programmes régressifs » dont bénéficient les riches, ce qui limite les ressources disponibles pour ceux qui sont réellement dans le besoin. Parmi les mesures que la nouvelle administration pourrait prendre rapidement, le rapport mentionne la suppression progressive des subventions « les plus régressives » (sur les carburants notamment) et l’introduction graduelle de prestations monétaires conditionnelles liées à la scolarisation et à l’amélioration des soins (via le Ramed). L’avantage de ce système est qu’il fournit un revenu immédiat aux pauvres et, en même temps, permet des économies budgétaires.
D’autres points d’accès à une politique de croissance équitable sont également évoqués dans le rapport. On retiendra ici ceux qui concernent, d’une part, l’accès à l’eau courante et à l’assainissement, moyennant une « tarification plus efficiente », des subventions ciblées et une meilleure réglementation des prestataires de services. Et, d’autre part, l’approfondissement de la réforme du logement social, avec comme mesures, entre autres, la prise en charge par le Budget de l’Etat du financement des infrastructures hors site pour rendre les prix plus abordables pour les utilisateurs finaux, et la promotion d’une politique d’aménagement urbain (adoption d’un nouveau code de l’urbanisme, modernisation de la gestion communale, consolidation de la situation financière des villes, mise en place d’un système de gestion unifié pour les grandes villes...).
Et, enfin, améliorer la gouvernance
Le constat dressé par le rapport n’est guère réjouissant : comme indiqué plus haut, les indicateurs de gouvernance (écoute, reddition des comptes et accès à l’information financière et budgétaire de l’administration centrale) se sont tous dégradés ces dernières années. Ce n’est guère mieux en matière de corruption. Celle-ci est citée comme le troisième problème le plus important dans le secteur des affaires au Maroc, dans le rapport sur la compétitivité dans le monde arabe (Arab World Competitiveness Report) du Forum économique mondial de 2007.
Le Baromètre mondial de la corruption de 2006 place le Maroc en dessous de la performance moyenne des pays de la région MENA, et L’Indice de perception de la corruption de 2007 de Transparency international classe le Maroc au 72e rang (sur 163). Ces résultats, on s’en doute, impactent négativement les indicateurs de l’ouverture économique, comme le rappelle la Banque mondiale. Ainsi, selon l’indice de liberté économique estimé par l’Heritage Foundation, le Maroc obtient 57,4%, « ce qui dénote essentiellement les déficiences dans la lutte contre la corruption, l’absence d’un système judiciaire indépendant et la rigidité du marché du travail », commente la BM.
C’est pourquoi, celle-ci recommande, d’une part, de poursuivre et d’approfondir la modernisation de l’administration publique, par exemple par l’extension de l’administration en ligne dans l’ensemble du pays et l’amélioration de la transparence budgétaire, et, d’autre part, de réformer l’appareil judiciaire. Pour la Banque, l’existence d’un système judiciaire impartial contribuerait grandement à promouvoir la gouvernance et à améliorer le cadre de l’activité économique. Aux dernières nouvelles, il semble que des mesures seront bientôt annoncées pour engager justement... la réforme de la justice. Il était temps !
La vie éco - Salah Agueniou
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