Je suis rentré(e)au “bled”

13 mars 2007 - 00h05 - Maroc - Ecrit par : L.A

Poser définitivement ses valises en France ou retourner vivre au pays ? Une question lancinante qui obsède de nombreux migrants, même après cinq, dix ans, parfois toute une vie passée dans l’Hexagone. Les sociologues appellent ce phénomène « le mythe du retour ». Pour certains, c’est une réalité qu’ils ont tentée, qu’ils ont vécue, voire de laquelle ils sont revenus. Ils racontent.

Naïma, 32 ans, Tarbes “Quand je vois tous ces Français qui s’installent au Maroc, je me dis : Pourquoi pas moi ?”

« Si on m’avait dit il y a quelques années que je chercherais un jour à m’installer au Maroc, je n’y aurai jamais cru ! Je suis 100 % bigourdaine, j’ai grandi dans le Sud-Ouest de la France, mais mes parents sont originaires du Grand Sud marocain. Je travaille dans la fonction publique et cela faisait un petit moment que je cherchais à changer de poste en France. Et puis j’ai commencé à m’intéresser au Maroc, à l’économie et surtout au marché de l’emploi. J’ai remarqué que mon profil était assez demandé. Ce qui m’a encouragée, c’est d’abord cette ferveur actuelle qu’il y a autour du Maroc qu’on dit en pleine expansion économique et en pleine révolution sociétale. Et puis aussi, je l’avoue, le fait de voir autant de Français tenter l’aventure et en revenir comblés. Je me dis que si, eux, y trouvent leur place, je n’aurai aucun mal à en faire autant. C’est un peu ce qui m’a motivée et poussée à entamer une recherche active dès novembre 2006. Par contre, je ne me fais aucune illusion : je sais très bien qu’il y a un fossé entre les mentalités marocaine et française. C’est pourquoi je recherche avant tout un poste dans une multinationale, de préférence dans une grande ville comme Casablanca ou Marrakech, histoire d’amortir le choc. D’ailleurs, il ne s’agit pas pour moi de quelque chose de définitif : ce que je veux, c’est vivre une expérience au Maroc. Il n’est pas dit que je ne décide pas de m’y installer, mais ce n’est pas pour cela que je pars. »

Lilya, 36 ans, Rabat “Je suis rentrée au Maroc… deux fois !”

« J’ai vécu au Maroc jusqu’à l’âge de 18 ans. Je me voyais bien y rester toute ma vie, mais mes parents m’ont m’encouragée à poursuivre mes études à l’étranger. C’est comme ça qu’en 1989, je me suis retrouvée à Grenoble. Après une première année très difficile à cause du dépaysement et de la solitude, je me suis acclimatée à cette nouvelle vie. Je profitais de ma liberté, de l’ambiance fac, des sorties, des voyages… J’ai eu la chance d’aller en échange Erasmus en Angleterre et en Espagne… La belle vie quoi ! Mais ça n’a duré que cinq ans. J’étais en DESS Affaires internationales à Aix-en-Provence quand, en milieu d’année, on m’a fait une proposition d’embauche au Maroc que je pouvais difficilement refuser. En tout cas, c’est ce que je me suis dit à l’époque. En réalité, je n’avais plus de bourse. C’était donc une décision raisonnée que j’ai prise un peu à contre-coeur. En 1995, j’ai donc quitté Aix pour Ifrane, une toute petite ville près de Fès. Ça a été un véritable choc culturel. Je n’avais plus d’anonymat, plus d’intimité, plus de vie privée ni d’activités culturelles… J’ai très vite étouffé. J’ai tenu trois ans et demi avant de rentrer à Rabat en catastrophe. J’étais plus à l’aise qu’à Ifrane, mais j’avais un poste beaucoup moins intéressant. Et puis, en 2000, j’ai eu une sorte de déclic au cours d’une conversation avec une cousine qui, elle, avait choisi de s’installer en France. Je me suis rendu compte qu’une bonne partie de mon malaise était due à une frustration liée à l’interruption de mon DESS, et avec elle de ma vie estudiantine. J’ai donc pris mon courage à deux mains, et je me suis décidée à revenir en France en septembre 2000. J’ai décroché mon DESS, puis je suis montée à Paris où on me proposait un poste dans une petite société de e-learning. La boîte avait des difficultés financières et elle a fini par mettre la clé sous la porte en 2003. Je me suis donc retrouvée sans emploi, à envoyer des tonnes de candidatures. Sans résultat. La conjoncture de l’époque était mauvaise, mais je pense ce n’était pas la seule raison… Je n’aime pas trop dire ça mais, en France, un nom arabe sur un CV, ce n’est pas anodin. Et puis c’était le début de la guerre du Golfe, il y avait eu le 11 septembre… Moi qui ai connu la France des années 1990, dix ans plus tard, j’ai noté une nette différence dans le comportement des gens… Du coup, quand on m’a contactée pour un poste à Rabat, je l’ai accepté sans aucun remord. Quatre ans après, je ne regrette pas ce “deuxième retour”. »

Souad, 27 ans, Casablanca “En vivant au Maroc, j’ai découvert mon côté français !”

« Je suis née et ai grandi en France, sans avoir jamais eu de problèmes quant à mon identité française ou marocaine. Je me sentais moimême, tout simplement. Et j’avais un job intéressant dans une boîte de communication parisienne. Pourquoi j’ai tout lâché ? Je ne saurais pas trop l’expliquer. Disons que je ne connaissais que le Maroc des vacances et que je me demandais comment ça serait d’y vivre au quotidien. Et puis je voyais bien que, côté professionnel, il y avait beaucoup plus d’opportunités d’évolution. Du coup, ma décision prise, tout est allé très vite. En trois mois, j’ai trouvé un emploi dans une agence de communication marocaine. Je suis donc rentrée en décembre 2005. Les premières semaines, c’était le rêve. Je voyageais, je découvrais le pays. Mais passé l’effet de surprise, j’ai un peu déchanté. J’ai même frisé la dépression nerveuse. On me renvoyait constamment mon identité à la figure. Et le plus dur, c’était au travail. Mes collègues ne m’acceptaient pas. Ils se moquaient de mon accent en arabe. Mais il y avait une cause à ce malaise : j’étais rémunérée 12 000 dirhams (1 200 euros) alors que, à responsabilité égale, mes collègues marocains ne touchaient que 7 500 dirhams (750 euros) ! J’en ai même parlé à la directrice qui, pour seule solution, a proposé… de me rémunérer une partie ‘au noir’, histoire de ne pas faire de jaloux. J’ai quitté cette boîte pour une autre où c’était à peine mieux. Puis j’ai fini par trouver une solution : je me suis mise à mon compte, et tout se passe beaucoup mieux. Certes, j’ai failli faire mes valises plus d’une fois, mais je me suis à chaque fois raisonnée en me disant que le jeu en valait vraiment la chandelle car cela reste pour moi une formidable expérience. Je pense que ce n’est qu’une question de temps pour que je trouve mon équilibre ici. »

Anis, 32 ans, Rabat “La question du retour me stressait.”

« Après avoir obtenu mon bac à Rabat, je suis allé en France faire une école de commerce, d’abord à Lille, puis à Paris. C’est d’ailleurs là que j’ai eu ma première expérience professionnelle. J’avais tellement bataillé et j’étais tellement content d’avoir décroché un super job dans un grand cabinet d’audit que la question du retour n’était pas du tout d’actualité… même si elle était dans l’air. Disons qu’elle revenait très souvent dans les discussions entre Marocains. Je peux même dire qu’elle me stressait un peu : à la fois effrayante et inévitable. Il faut dire que j’ai vécu en France de 19 à 30 ans. C’est une décennie décisive dans la vie d’un homme, celle durant laquelle se forge sa personnalité, ce qui n’est pas sans conséquence. Je me souviens d’ailleurs que, lorsque je rentrais au Maroc pour les vacances, je me sentais un peu déphasé, j’avais du mal à trouver mes marques. J’étais mal à l’aise parce que je me voyais devenir un étranger dans mon propre pays. Et puis, en 2004-2005, il y a eu comme un mouvement de foule autour de moi. De plus en plus de gens de ma promotion parlaient de retour au pays. Au début, je n’y croyais pas trop. Puis les premiers départs ont commencé. Suivis des premiers échos, plutôt positifs. Et des remarques du genre : “Et toi, quand est-ce que tu vas te décider à rentrer ?” Jusqu’au jour où je me suis surpris à faire les salons professionnels d’entreprises marocaines. A l’époque, je ne peux pas dire que j’étais vraiment prêt, disons que je me préparais. D’ailleurs, quand les recruteurs demandaient mes disponibilités, je ne savais pas quoi répondre. Et c’est finalement une crise dans ma boîte, courant 2005, qui m’a mis, un peu malgré moi, face à un choix. J’ai donc négocié mon départ, assez bien je dois dire. Et là, tout s’est très vite enchaîné. Des amis ont fait circuler mon CV au Maroc, et j’ai rapidement été contacté. Aujourd’hui, cela va faire deux ans que je suis rentré. J’ai perdu en salaire, mais ça s’équilibre avec le niveau de vie d’ici. Par contre, contrairement à ce que j’imaginais, je travaille autant qu’à Paris, sinon plus. Mais je suis près de ma famille et je profite d’une qualité de vie appréciable. Je garde un très bon souvenir de la France, j’y ai des amis et j’y retourne toujours avec plaisir, mais en simple touriste. »

Le courrier de l’Atlas

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