Une cinquantaine d’individus ont été arrêtés mercredi au Maroc lors d’une importante opération visant des membres présumés de groupes djihadistes.
C’est dans un immeuble colonial de la kasbah (ville fortifiée) de Tanger, rue Ben Aliyem ("le petit savant"), qu’est né Jamal Zougam le 5 octobre 1973. Devant la façade décrépie de l’appartement, des enfants jouent à la balle dans ce quartier populaire, perché sur les hauteurs de la ville à quelques centaines de mètres de la Légation américaine, une des plus anciennes antennes diplomatiques des Etats-Unis ouverte en 1822.
"C’est ici qu’habitaient les Zougam, mais ils sont partis depuis longtemps, en Espagne ou en France", explique Yazid, un commerçant du quartier qui ignore que ce ressortissant marocain est l’un des principaux suspects des attentats de Madrid. Les autres voisins se refusent à tout commentaire sur cet immeuble où commençaient à converger lundi les journalistes.
Autrefois ville internationale alors que le nord du Maroc était sous tutelle espagnole et le centre sous protectorat français, Tanger reste tournée vers la Méditerranée. Du boulevard Pasteur, au centre-ville, plusieurs dizaines de jeunes gens désoeuvrées observent les côtes espagnoles, distantes de seulement 15 kilomètres et qui, par beau temps, paraissent presque accessibles à la nage.
Chaque année, plus d’une centaine de jeunes Marocains désespérés par le chômage et la pauvreté absolue qui frappe encore plus de 20% de la population du royaume se noient dans les eaux du détroit de Gibraltar en tentant de rallier "l’eldorado" espagnol sur des "pateras" (embarcations de fortune). D’autres tentent leur chance en passant par les enclaves territoriales de Sebta et Melilla.
Les natifs de la région de Tanger ou Tetouan qui veulent ignorer les perspectives de chômage, de contrebande ou de trafic de cannabis qui gangrènent l’économie locale sont les plus favorisés par cette filière. En application d’un accord conclu à l’indépendance du royaume en 1956, ils sont en effet dispensés de visas pour entrer à Sebta et Melilla, deux villes franches de droits de douane et dont Rabat réclame la restitution par l’Espagne.
Jamel Zougam a, comme 400.000 autres Marocains installés en Espagne, lui aussi franchi la Méditerranée dès 1983. Agé de 10 ans, il s’est installé à Madrid en compagnie de sa mère et de son demi-frère aîné, Mohamed Chaoui, né en 1969 et également interpellé dans l’enquête sur les attentats de Madrid.
Au début des années 2000, les deux hommes ont ouvert une boutique de réparation de téléphones portables dans la capitale espagnole.
Ils seront rejoints en mars 2002 par Mohammed Bekkali, également natif de Tanger et licencié en sciences physiques de l’université de Tétouan.
Selon les services de police marocains, Zougam aurait commencé à fréquenter la mouvance islamiste à partir de 1993 avant d’être recruté en 1997 par l’antenne espagnole d’un réseau clandestin qui allait être connu dans le monde entier sous le nom d’Al Qaïda. Selon Rabat, c’est Abdelaziz Benyaïch, lui-même arrêté en Espagne en juin 2003 pour son implication dans les attentats islamistes de Casablanca (45 morts, dont quatre espagnols, le 16 mai 2003) qui aurait été l’architecte de ce recrutement.
Considéré comme "un cadre important" d’Al Qaïda en Espagne et "chaînon" entre les attentats de Casablanca et de Madrid, Benyaïch aurait, pour l’instant, échappé à l’extradition demandée par le Maroc en raison de sa double nationalité française. Fiché dans au moins trois pays (Espagne, Maroc, France), Abdelaziz Benyaïch est le frère de Salaheddine, arrêté et condamné pour sa participation aux attentats de Casablanca, et d’Abadlallah, tué en novembre 2001 dans les bombardements américains de Tora-Bora (Afghanistan).
Toujours selon l’analyse des enquêteurs marocains, c’est également à Tanger que Zougam, hébergé par la famille Benyaïch, aurait croisé Pierre Robert, le seul ressortissant étranger condamné dans l’enquête sur les attentats de Casablanca.
Toujours de sources marocaines, Zougam aurait alors multiplié les allers-retours entre Madrid et Tanger pour se livrer à un trafic de téléphones portables tout en fréquentant assidûment les groupes salafistes locaux, dont certains projetaient la création de "maquis islamistes" dans les montagne du Rif.
Son dernier séjour connu à Tanger remonte au 20 avril 2003. Trois semaines seulement avant les attentats de Casablanca. AP
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