La scène est quelque peu surréaliste, mais elle a bien eu lieu, jeudi 21 octobre à Rabat, filmée de surcroît par les télévisions nationales. Une première au Maroc et dans le monde arabe : une ONG active dans les droits de l’Homme présente son rapport, il s’agit de Human Rights Watch (HWR).
La symbolique est certes très forte, mais elle ne doit pas occulter pour autant que le rapport de l’ONG basée à New York, même s’il fait état de nombreuses avancées, accable les autorités marocaines. Rejoignant en cela les conclusions du rapport d’Amnesty International publié en juin dernier.
L’enquête effectuée en janvier et février 2004 par les responsables de HRW fait état d’une recrudescence des répressions en matière des droits de l’Homme. “La lutte contre l’islamisme radical a sérieusement entravé les progrès accomplis par le Maroc dans le domaine des droits de l’Homme”, estime Eric Goldstein un responsable de HRW. La nouvelle loi antiterroriste, adoptée en urgence après l’événement, a "sérieusement érodé la protection des droits de l’Homme" au Maroc, ajoute le rapport de cette ONG indépendante. "Les droits des Marocains se trouveront en péril si les autorités ne combattent pas le terrorisme d’une manière qui soit compatible avec leurs engagements vis-à-vis de ces droits", souligne l’organisation qui publie de multiples témoignages de tortures et d’irrégularités judiciaires. "C’est tout le système judiciaire marocain qui pose problème", a souligné Goldstein. Selon lui la justice n’a pas suivi les progrès enregistrés par le Maroc sur le terrain des droits de l’Homme.
Dans son rapport, l’ONG publie nombre de témoignages d’avocats et de proches des personnes condamnées qui font état de nombreux cas de torture (technique de la bouteille), physique et morale, perpétrées lors des interrogatoires pour arracher des aveux. Les détenus, dans certains cas, n’ont même pas le droit à un avocat et la police n’a pas révélé à leurs proches l’endroit de leur détention. “Plusieurs suspects ont été reconnus coupables et condamnés avant le 1er octobre 2003, date de l’entrée en vigueur d’un amendement au code de procédure pénale octroyant aux défenseurs le droit de faire appel de leur condamnation pour les faits reprochés”, expliquent les responsables de HRW.
L’organisme indique notamment que la nouvelle législation antiterroriste, en référence à laquelle quelque 2.000 personnes ont été arrêtées et jugées, a porté à 12 jours la période de garde-à-vue des suspects et à 10 jours le délai légal avant qu’ils puissent exiger la présence d’un avocat.
"Les juges montrent peu d’intérêt pour savoir dans quelles conditions la police a obtenu les aveux", souligne le rapport selon lequel "les tribunaux marocains ont largement échappé aux avancées des droits humains". L’ONG rappelle que la définition légale des actes relevant du terrorisme a été "considérablement élargie" dans cette législation, tandis que les peines prévues ont été aggravées, avec la multiplication des cas pouvant justifier la peine de mort. Le rapport n’est pas totalement négatif considérant que la création de l’Instance Equité et réconciliation (IER) représente une évolution de taille dans le domaine des droits de l’Homme. “Chargée de régler les dossiers des graves abus commis pendant la période des "années de plomb", cette commission n’a pas son égal dans le monde arabe”, soulignent les responsables de HRW.
L’économiste