Les mécanismes opaques de la grâce royale

15 mars 2007 - 00h00 - Maroc - Ecrit par : L.A

Abdelfettah Raydi, le kamikaze dont le corps a été déchiqueté par sa propre bombe dans « l’attentat » du 11 mars, n’était pas une nouvelle recrue des terroristes. Condamné à 5 ans de prison ferme en 2003 dans le cadre de la loi antiterroriste, il n’en a purgé que deux.

Il avait fini par bénéficier d’une grâce royale. A elle seule, cette situation résume les failles qui marquent une procédure dont le bien-fondé n’est pas discutable mais dont la pratique peut donner lieu à des libérations pas toujours justifiées et pouvant même mener au pire. Et le pire a failli se produire à Casablanca.

Au Maroc, la grâce fait partie des prérogatives du Souverain. Elle revêt deux formes principales. La première concerne les grâces ponctuelles, au nombre de sept. Celles-ci interviennent à l’occasion de trois fêtes religieuses (Aïd El Kébir, Aïd Al Fitr, Aïd Al Mouloud) et quatre nationales.

Il s’agit de l’anniversaire du manifeste de l’indépendance (11 janvier), de la fête du trône (30 juillet), de la commémoration de la révolution du Roi et du peuple (20 août) et de la fête de la jeunesse (le 21 août). La seconde formule revêt un caractère spécial. C’était notamment le cas à la naissance de la princesse Lalla Khadija (8.836 graciés) et lors de la célébration du cinquantième anniversaire de l’Indépendance (10.000 bénéficiaires). La grâce royale porte sur une remise de peine, une grâce totale ou une annulation de peine. Elle peut concerner les peines de prison ou les amendes, ou encore les deux à la fois. Elle est valable pour les mis en cause déjà emprisonnés ou ceux se trouvant en état de liberté provisoire. Les demandes de grâce sont formulées soit par les mis en cause eux-mêmes, soit par leurs avocats, familles ou des ONG.

Pour statuer sur les demandes, une commission spéciale a été créée. Il s’agit d’un organe permanent relevant de la direction des affaires pénales et des grâces (ministère de la Justice). Il est présidé par son directeur et est composé de représentants du cabinet royal, de la Cour Suprême, du Parquet Général à la Cour Suprême et de l’Administration pénitentiaire, avec la présence d’un magistrat de la défense. La commission des grâces se base dans son travail sur les dossiers élaborés par les assistants sociaux des divers centres pénitentiaires du pays.

Théoriquement, plusieurs critères sont pris en considération dans l’arbitrage. « Au comportement du détenu et la nature de son forfait, s’ajoutent son état de santé, sa situation familiale et sa disposition à réintégrer la société », explique Mohamed Abdennabaoui, le nouveau directeur des Affaires pénales et des grâces. Les demandes retenues par la commission sont par la suite transmises au Cabinet royal pour validation.

La machine est rôdée, mais les dérapages existent bel et bien et sont aujourd’hui dénoncés.

Pour Azzeddine Akesbi, secrétaire général de Transparency Maroc, le processus d’octroi des grâces est trop opaque pour ne pas donner lieux à des arbitrages discrétionnaires et prêter le flanc à des pratiques de corruption. « Les informations dont nous disposons, sans qu’elles soient confirmables, font état d’un grand recours à l’argent par un certain nombre de bénéficiaires », dit-il. La corruption intervient ainsi à toutes les échelles précédant la soumission du dossier à la commission. A commencer par celle des assistants sociaux. Chargés de rédiger les dossiers des prisonniers, ils sont à même d’augmenter les chances de certains parmi eux d’obtenir la grâce. Akesbi considère que tout le système judiciaire est à mettre à plat : « Le fonctionnement actuel de la justice fait que ce secteur est plus exposé à la corruption ».
Autre entrave, « aucun suivi des grâces et des personnes qui en bénéficient n’est effectué », déplore Youssef Madad, secrétaire général de Relais société et prison, ONG opérant dans le domaine des droits des prisonniers.

« Seconde chance pour les bénéficiaires et moyen de réduire le surpeuplement des prisons, les grâces royales ne sont pas prises dans une optique de motivation des détenus, encore moins intégrées dans une démarche de réinsertion », ajoute t-il.

L’Economiste - Tarik Qattab

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