
Le Front Polisario a salué la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) annulant les accords de pêche entre l’UE et le Maroc, la considérant comme un « triomphe de la résistance ».
Le 2 mars, je reçois un mail d’Hafida Ameddah, une étudiante en licence de sociologie à Lille, rencontrée il y a trois ans lors d’un débat dans son lycée, près de Lens. Elle me joint la transcription d’un entretien sociologique effectué en arabe avec un mineur marocain, aujourd’hui retraité et gravement malade.
Celui-ci veut témoigner face à elle, étudiante et fille de mineur marocain, de sa vie de travail et, plus largement, de sa vie d’immigré. Entretien à la tonalité très sombre dont le coeur est constitué par la question de la reconnaissance et dont voici un extrait, très significatif : « Moi, je ne peux pas me sentir français dans un pays qui ne veut pas de moi... Même si, moi, je me dis français, la France me rejette quand même... Je ne suis et ne resterai qu’un étranger à ses yeux ! Déjà pour mes enfants qui sont nés ici, la France ne les considère pas comme étant français... La France rejette mes enfants tout comme elle nous a rejetés, nous ! On a travaillé dur... J’ai travaillé comme un fou et aujourd’hui je continue à être rejeté !... Quand je vais à la mairie ou ailleurs, pour des papiers administratifs, ils ne nous disent même pas bonjour !... Plusieurs fois ça m’est arrivé, ça ! La France s’intéresse aux Marocains seulement quand elle a besoin de nous ! Pour nous faire travailler comme des esclaves, elle est contente de nous avoir ici... Mais après, elle ne veut plus de nous... Elle s’est bien servie de nous... Maintenant que je suis malade, je ne sers plus à rien... »
Ce sombre constat rejoint celui que l’on peut dresser à la suite de la lecture récente de quatre-vingts entretiens, réalisés par mes étudiants de Nantes, sur « la mobilité sociale dans les familles immigrées » : ces parents immigrés (surtout turcs et maghrébins) parlent de « grande déception », d’ « espoir brisé », reprochant à « la France » de s’être aujourd’hui fermée sur elle-même et de les avoir ignorés.
Quelques jours plus tard, jeudi 8 mars, Nicolas Sarkozy, sur France 2, dans l’émission A vous de juger, évoque à nouveau le thème de l’immigration et promet la création, une fois Président, d’un « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ». Cette déclaration a fait grand bruit, permettant au candidat de reprendre la main dans la campagne. Il ne s’agit pas ici de faire jouer la vérité du « terrain » contre la parole d’un homme politique. Il s’agit plutôt de montrer l’apport des sciences sociales sur le thème, saturé idéologiquement, de l’immigration, par un simple rappel des faits. Les immigrés ont été recrutés en masse entre 1950 et 1974, ils ont contribué à la reconstruction de la France, la reconnaissance du travail des pères immigrés n’est jamais vraiment venue (un timide espoir naît avec l’ouverture prochaine de la Cité nationale de l’immigration). Les enfants de ces immigrés, qui ont grandi dans la crise, ont vu l’affaiblissement, social et symbolique, de leurs pères. On leur demande aujourd’hui, de manière euphémisée, d’ « aimer la France ou [de] la quitter ». Il y a là comme une imposture.
Libération.fr - Stéphane Beaud
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