Financement électoral : Où est passé l’argent du contribuable ?

26 décembre 2007 - 15h43 - Maroc - Ecrit par : L.A

Deux mois après la fin du délai accordé aux candidats aux élections législatives du 7 septembre dernier, un grand nombre de candidats n’a pas déposé les pièces justificatives relatives à leurs dépenses. Tout le monde attend la réaction du président de la Cour des comptes qui est actuellement devant un examen décisif.

Cela fait deux mois que le délai fixé par le ministère de l’Intérieur aux partis politiques, qui avaient bénéficié de soutien financier, pour organiser leur campagne électorale pour le scrutin du 7 septembre dernier s’est terminé. Le ministre de l’Intérieur, Chakib Benmoussa, avait adressé quelques jours après l’annonce des résultats du scrutin, un courrier aux candidats aux législatives, les incitant à justifier leurs dépenses électorales auprès de la Cour des comptes à Rabat. Le dernier délai pour le dépôt des justificatifs était fixé au 9 novembre dernier.

D’après une source bien informée, près de 40% des candidats n’ont pas justifié jusqu’à présent leur dépense. Aucune réaction n’a été signalée jusqu’à présent de la part du président de la Cour des comptes, Ahmed Midaoui. Ce dernier avait brisé le silence de cette honorable institution le mois de mars dernier en adressant un courrier aux partis politiques, les invitant à justifier leurs comptes auprès de la Cour, comme le stipule la loi des partis politiques entrée en vigueur depuis janvier 2006. Parmi les irrégularités recensées par les différents organismes qui avaient participé à l’observation des élections législatives, l’usage de l’argent et l’achat des voix ont été constatés massivement. Le code électoral donne droit aux candidats de dépenser une somme d’argent ne dépassant pas les 250.000 DH.

Selon Me Mohamed Tarek Sbai, le président de l’Instance nationale de défense des biens publics au Maroc : « certains candidats ont dépensé plus d’1 milliard de centimes en campagne électorale ». La Cour des comptes est aujourd’hui appelée à jouer son rôle d’Institution constitutionnelle pour faire appliquer la loi en matière de transparence financière dans les élections.

Mais ce rôle demeure handicapé par la nature même de la Cour. Selon le politologue Benyounes Marzouki ? : « l’article 52 de la Cour des comptes stipule que les membres du gouvernement et les membres des deux chambres du Parlement, ne sont pas concernés par les sanctions de la Cour des comptes lorsqu’ils exercent leur fonction ».

L’enveloppe de 2007 accordée aux partis pour financer la campagne électorale du 7 septembre dernier, tourne en effet autour de 200 millions de DH. Chaque parti politique qui avait participé au scrutin avait bénéficié d’une avance forfaitaire de 500.000 dirhams, en plus d’un montant calculé sur la base du nombre de voix et de sièges remportés lors des élections législatives de 2002.

Il y a un mois, les partis politiques avaient bénéficié de la deuxième tranche de la subvention de l’Etat selon les voix récoltées. Ainsi, l’Istiqlal et l’USFP, ont reçu, à titre d’exemple, la bagatelle de 2 milliards de centimes. Par contre, le ministère de l’Intérieur a en même temps demandé aux partis politiques qui n’avaient pas eu le seuil d’éligibilité fixé à 6 % des voix, à rembourser l’avance de la subvention accordée avant la campagne électorale, ce qu’ils tardent toujours à faire.

En vertu de la loi des partis politiques, les partis sont désormais obligés de tenir une comptabilité transparente. Plus encore, ils doivent rendre leur bilan comptable le 30 mars de chaque année à la Cour des comptes.

Les articles 34 et 37 de la loi en vigueur régissant ces organisations sont clairs ? : chaque année, tous les partis doivent rendre compte de leur bilan à la Cour des comptes.

Au préalable, dans son article 33 (titre IV) relatif au financement des partis, la même loi rappelle aux partis qu’ils doivent tenir une comptabilité pour que les fonds dont ils disposent autant que leurs dépenses soient connus.

La manne de l’argent de l’Etat

Pour ce faire, chaque parti se doit d’établir un système comptable qui serait susceptible de dégager une image fidèle de son patrimoine, de sa situation financière et de son résultat enregistré à la clôture de chaque exercice comptable.

Pour ne laisser guère de place à l’erreur, avant que les comptes établis ne soient soumis à la Cour des comptes, il est prévu par la loi en vigueur qu’ils soient certifiés par un expert comptable inscrit à l’Ordre des experts comptables. De même, un second examen des comptes est prévu avant son dépôt final.

Les partis sont désormais assujettis au contrôle direct non seulement des autorités compétentes, mais aussi de tous les Marocains. La preuve : chaque citoyen a dorénavant la latitude de pouvoir se procurer, à ses frais, une copie du rapport financier de l’un ou l’autre parti auprès de la Cour des comptes. Ce qui lui permettra de connaître en profondeur ce qui relevait dans le passé des secrets de la vie partisane.

Si le bilan financier annuel n’est pas établi, des sanctions sont prévues. La première et non des moindres : le gel de la subvention. Même s’ils sont régis par la loi 36-04, les critères et les modalités du nouveau mode de gestion de l’argent des partis politiques ne sont pas encore étoffés. Il manque plusieurs textes d’application, dont le plan comptable des partis politiques. Ce texte vient d’être adopté au mois de mars dernier en assemblée plénière du Conseil national de la comptabilité. Il permettra aux formations politiques de disposer d’outils de gestion nécessaires à une bonne gouvernance.

Les pratiques du passé qui étaient marquées par l’hégémonie du « zaïm » sur le trésor de son organisation sont désormais révolues. La loi est intransigeante : le parti qui soumet une comptabilité ne répondant pas aux normes établies sera sanctionné.

En 2006, l’Etat a versé aux partis 50 millions de DH. De cette somme, 7,5 millions de DH ont été versés à l’USFP ; 6,8 au RNI et 4,8 au PJD. Les montants indiqués ont été répartis en fonction du nombre de sièges obtenus par chaque parti au Parlement et des voix obtenues aux élections législatives de 2002.

L’Etat verse aussi de l’argent aux partis au moment des campagnes électorales. À titre indicatif, une enveloppe avoisinant les 30 millions de dirhams leur a été allouée à l’occasion du renouvellement de la Chambre des conseillers. Désormais, selon la nouvelle loi, toute utilisation, en totalité ou en partie du soutien de l’Etat, à des fins autres que celles pour lesquelles il a été alloué, est considérée comme détournement de deniers publics, punissable à ce titre conformément à la loi. Un parti averti en vaut deux.

Avant, les partis politiques étaient assujettis au Dahir du 15 novembre1958. Ce dahir ne donnait pas la possibilité à ces organisations d’avoir des biens ou des comptes bancaires enregistrés en leur nom. Le patrimoine de chaque parti était le plus souvent enregistré au nom de son leader. C’est le cas, par exemple, de l’UNFP. L’argent de ce parti est toujours bloqué parce qu’inscrit au nom de feu Abdallah Ibrahim. Même les subventions de l’Etat, accordées notamment pour le financement des campagnes électorales, étaient versées directement par chèque au nom du chef du parti. Selon Mohamed El Aouni, membre du Bureau politique du Parti Socialiste Unifié (PSU), ce parti n’a pas attendu la sortie d’une loi pour emprunter la voie de la transparence. Il a été le premier à avoir publié sur son site la liste des biens de tous les membres de son Bureau politique. Selon le statut du parti, ses premiers responsables sont tenus de déclarer leurs biens au moment où ils prennent leur poste et au moment où ils le quittent. Un cas d’école qui mérite d’être généralisé à tous les partis.

Sur quel critère l’Etat finance-t-il les partis ?

Pour ce qui est du financement public des partis, il se base sur les chiffres totaux de la représentation au Parlement et sur le nombre total de votes reçus au niveau national. En vertu de la loi 36-04 relative aux partis politiques (Dahir n° 1-06-18 du 15 moharrem 1427-14 février 2006), pour fonctionner et remplir son rôle d’encadrement des citoyens, tout parti politique a besoin d’argent. La loi identifie 4 sources de financement : la cotisation des membres, les dons et legs plafonnés à la valeur de 100.000 DH par an et par donateur, les revenus liés à des activités sociales et culturelles, le soutien annuel de l’Etat. L’Etat accorde son soutien financier annuel aux partis politiques ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés lors des élections générales législatives. Bénéficient également de ce soutien, et dans les mêmes conditions, les Unions des partis politiques.

La répartition du montant de la participation de l’Etat est donc calculée sur la base : du nombre de sièges de chaque parti au Parlement, du nombre de voix obtenues par chaque parti aux élections générales législatives. Mais le parti politique qui ne réunit pas son congrès durant cinq années, perd son droit au soutien annuel de l’Etat.

Tout parti politique doit être constitué et fonctionner exclusivement avec des fonds d’origine nationale. Tout versement en numéraire supérieur à 5000 DH pour le compte d’un parti politique doit se faire par chèque. Les comptes des partis politiques doivent être certifiés par un expert comptable. La Cour des comptes est chargée du contrôle des dépenses des partis politiques qui bénéficient du soutien financier de l’Etat. Un parti peut être dissout s’il ne se conforme pas à ces dispositions.

Conseil national de la comptabilité
Le Conseil national de la comptabilité (CNC) est l’organe national de la normalisation comptable. Il comprend 54 membres appartenant aux administrations, au monde des affaires et au corps des experts comptables. Le Conseil est préalablement consulté sur toutes réglementations, instructions ou recommandations d’ordre comptable.

Les différentes instances du CNC ont pour mission la production d’une norme comptable de qualité pour la modernisation de l’arsenal normatif. La 11ème assemblée plénière du Conseil, qui s’est tenue le mois de mai 2007, a vu la présentation des projets de plans comptables de Bank Al-Maghrib, des mutualités, des Caisses de retraite et des sociétés de bourse. Le CNC pilote aussi le programme relatif au respect des Normes et Codes (projet ROSC) qui vise essentiellement l’amélioration de la qualité de l’information financière au Maroc. L’avant dernière session du CNC s’est tenue le 26 mai 2005. Elle a été marquée par l’adoption du plan d’action du Conseil pour la période 2007-2008. Ce plan comprend la tenue de la 11ème assemblée plénière du Conseil, la poursuite des travaux de préparation des projets de règles comptables applicables aux organismes de placement en capital risque (OPCR), l’élaboration des normes comptables applicables au fonds Hassan II pour le développement économique et social et au secteur hôtelier. Le Conseil projette également de préparer le plan comptable des collectivités locales et de poursuivre la mise en oeuvre du plan d’action relatif au projet ROSC. Le Conseil national de la comptabilité est présidé par le Premier ministre ou par l’autorité gouvernementale déléguée par lui à cet effet.

Gazette du Maroc - Mohamed El Hamraoui

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