Filles-mères : une injustice sociale

14 juin 2002 - 19h25 - Maroc - Ecrit par :

20 ans et déjà marquée par les affres de la vie. Ne faisant confiance ni à son entourage ni aux autres, Nora s’est renfermée sur elle-même préférant couper le contact avec tous. Le teint terne et le regard vide, cette jeune fille a fortement été déçue par celui qui lui a promis, en échange de ses faveurs et de son amour, un foyer ainsi qu’une stabilité.

Issue elle même d’une relation illégale, contrainte toute petite à travailler dans les maisons, violée à l’âge de 12 ans, Nora cherche à éviter à son fils, de deux ans, de subir les mêmes souffrances.
Mais, ne pouvant plus subvenir à ses besoins quotidiens, Nora a eu recours à l’association "Solidarité Féminine" pour l’aider à intégrer son enfant dans l’une des maisons de bienfaisance de Casablanca, pour lui offrir un avenir meilleur.

Elles sont des centaines à vivre cette situation. Une situation qu’elles n’ont pas voulue, mais dans laquelle elles demeurent "l’objet" principal parce que c’est sur leur existence, sur leur condition juridique et sur leur avenir que vont peser les conséquences d’une maternité en dehors des liens du mariage.

Démunies, méprisées et rejetées par l’ensemble de la société, les mères célibataires souffrent également d’une situation juridique précaire où elles ont un statut de "prostituées" du moment qu’elles se sont livrées à des relations sexuelles « illégales » dans une société où ce crime est passible d’un mois à deux ans de prison.

D’un autre côté, le droit marocain ne reconnaît et ne protège que la filiation légitime. La Moudawana (code du statut personnel) énonce expressément à l’article 38. al.2 que la filiation non légitime ne crée aucun lien de parenté vis-à-vis du père et ne produit, d’une façon générale, aucun des effets de la filiation.

Aussi, l’absence de reconnaissance influera sur le statut de l’enfant naturel et marquera à jamais son statut social. Ce stigmate de la honte, qu’il n’a ni choisi ni voulu, ne le quittera plus dans une société où l’attachement aux conceptions traditionnelles de la famille sont fortement marquées par la plus grande déconsidération à l’égard de l’enfant conçu en dehors des liens du mariage.

Cette stigmatisation se concrétise par la mention « père inconnu » sur l’état civil de l’enfant naturel dans la mesure où la fille mère, en vertu de la circulaire du ministère de l’intérieur (1983), ne peut donner son nom de famille à l’enfant naturel dont elle est mère qu’avec l’accord de son père ou de ses frères.

Interrogée à ce propos, Mme Aïcha Ech-Chenna, présidente de l’association "solidarité féminine" répond "indignée" de voir le législateur indifférent face à une situation aussi dramatique pour l’enfant que pour la mère, se demandant par ailleurs de quel droit on se permet d’écarter et de condamner un enfant pour la simple raison qu’il est né d’une relation illégale.

Et d’ ajouter que les filles mères, aux prises avec la morale sociale, voient leur désarroi s’aggraver pendant le parcours administratif qui les conduit devant des institutions publiques avec lesquelles elles ne sont pas familières.

De ce fait, affronter une administration publique est une épreuve pour ces filles seules et fragilisées. Elles s’y soumettent avec résignation et sans exigence aucune. Mme Aicha-Chenna explique, à ce titre, qu’à l’inverse des filles mères, les femmes mariées sont mieux traitées dans le milieu hospitalier, vu le caractère légal de leur situation.

En vue de venir en aide à ces mères en difficulté, un groupe de sept femmes militantes dans le domaine des droits de la femme, a créé, en 1985, l’association "solidarité féminine", dans l’objectif principal de participer à la sensibilisation de la société à la problématique de la mère célibataire et à la prévention contre l’abandon d’enfants.

Partant de l’idée que la plupart de ces femmes se retrouvent dans la rue sans ressources, sans aucune aide de la part de leur famille ou du père de l’enfant, "solidarité féminine" a pensé à un projet qui leur permettra de gagner leur vie.

Les filles mères, disposant d’une formation en cuisine, intègrent l’un des deux centres de restauration de l’association ou se joignent comme vendeuses à l’un des quatre kiosques de vente de produits alimentaires ou des pâtisseries tenus par l’association alors que leurs enfants sont placés à la garderie de l’association.

Dans la même intention de prévenir l’infanticide et de favoriser la réinsertion familiale, une nouvelle association, reprenant les activités de "terre des hommes", a vu le jour en 1999. INSAF est dotée d’une structure d’accueil pour ces mères : un lieu d’hébergement durant le dernier mois de grossesse et le premier mois après l’accouchement.

Le personnel (assistante sociale, aide soignante, psychologue) aide les mères célibataires à obtenir leur carte nationale, à déclarer l’enfant à l’état civil, à trouver du travail ou à renouer avec leur famille en cas de rupture. L’enfant jusqu’à l’âge de 4 ans est pris en charge à la garderie où il est nourri, soigné et habillé, en échange d’une participation matérielle symbolique de la mère. Cette dernière, en plus de toute l’aide dont elle bénéficie, découvre qu’elle n’est pas seule dans son malheur.

Hanane Beraï pour menara.ma

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Famille - Femme marocaine - Enfant

Ces articles devraient vous intéresser :

Love is Blind, Habibi : un candidat irakien insulte les Marocaines

L’émission de téléréalité « Love is Blind, Habibi », sur Netflix, fait face à une vague de critiques suite aux propos tenus par un candidat irakien, Khatab, à l’encontre des Marocaines. Lors d’une interview radio, celui-ci a tenu des propos moqueurs...

Samira Saïd : la retraite ?

La chanteuse marocaine Samira Saïd, dans une récente déclaration, a fait des confidences sur sa vie privée et professionnelle, révélant ne pas avoir peur de vieillir et avoir pensé à prendre sa retraite.

Manal Benchlikha est enceinte

La chanteuse marocaine, Manal Benchlikha, a enfin confirmé les rumeurs qui circulait depuis plusieurs semaines : elle est enceinte !

Maroc : des centres pour former les futurs mariés

Aawatif Hayar, la ministre de la Solidarité, de l’intégration sociale et de la famille, a annoncé vendredi le lancement, sur l’ensemble du territoire du royaume, de 120 centres « Jisr » dédiés à la formation des futurs mariés sur la gestion de la...

Une Marocaine meurt après avoir pris des pilules achetées sur Instagram

Une Marocaine de 28 ans est décédée après avoir pris des pilules amincissantes achetées auprès d’une inconnue qui faisait la promotion de ces produits sur Instagram.

Cosmétiques contrefaits : une bombe à retardement pour les Marocaines

Nadia Radouane, spécialiste en dermatologie et esthétique, alerte les Marocaines sur les risques liés à l’utilisation des produits cosmétiques contrefaits.

Le mariage des mineures au Maroc : une exception devenue la règle

Depuis des années, le taux de prévalence des mariages des mineurs évolue en dents de scie au Maroc. En cause, l’article 20 du Code de la famille qui donne plein pouvoir au juge d’autoriser ce type de mariage « par décision motivée précisant l’intérêt...

Le Maroc adopte les livrets de famille électroniques

Face à la pénurie des livrets de famille dans certains services d’état civil, le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit a annoncé l’adoption progressive des livrets de famille électroniques.

Maroc : une sortie en voiture vire au drame

Une sortie en famille qui finit en tragédie. Deux sœurs de 19 et 10 ans sont mortes noyées samedi dans le barrage de Smir près de la ville de M’diq, après que l’aînée, qui venait d’avoir son permis de conduire, a demandé à ses parents à faire un tour...

MRE : des milliards envoyés au Maroc !

Les transferts d’argent effectués par les Marocains résidant à l’étranger (MRE) contribuent non seulement de façon significative au PIB du Maroc, mais elles représentent aussi une véritable soupape de sécurité pour les familles.