Au Maroc, plusieurs députés et élus locaux sont poursuivis devant la justice pour les infractions présumées de corruption et d’abus de pouvoir.
Il avait interrompu sa vie d’ouvrier en bâtiment pour une « visite de famille » en Afghanistan qui devait finalement le conduire au centre de détention américain de Guantanamo, à Cuba. De retour dans son pays, le Marocain Mohammed ben Moujane ne pense plus qu’à une chose : poursuivre le Pentagone, qui, dit-il, lui a volé sa vie.
« Mon cerveau est détruit », déclare aujourd’hui l’ancien détenu, qui a accordé la semaine dernière un entretien à l’Associated Press. Prisonnier des Américains pendant presque cinq ans, Mohammed ben Moujane accuse ses geôliers de l’avoir drogué régulièrement, obligé à manger du porc et tabassé « comme un sac de patates ».
Le témoignage de ce Marocain de 27 ans fait écho aux accusations des avocats de détenus et d’organisation de défense des droits de l’Homme sur la situation à Guantanamo.
Mohammed ben Moujane, qui se présente comme musulman modéré, assure ne pas nourrir de haine à l’égard des Américains. Il n’en veut qu’à ceux qui l’ont retenu captif toutes ces années.
« Ils m’ont volé ma vie (...) je suis sonné, je suis comme un squelette qui peut encore se lever », explique dans un mélange d’arabe, de français et de mauvais anglais cet homme brisé, interviewé dans sa ville de Casablanca.
Capturé par l’armée américaine alors qu’il tentait de quitter clandestinement l’Afghanistan à l’automne 2001, Ben Moujane a rapidement été transféré au camp de Guantanamo, où il a été détenu jusqu’en octobre 2006.
Il a alors été renvoyé au Maroc, où il a été condamné à dix ans de réclusion en novembre 2006 pour activités terroristes, avant d’être acquitté en appel en mai 2007. Le ministère public a déposé un recours devant la Cour suprême et l’affaire doit être jugée en octobre.
La transcription des auditions de Guantanamo fait apparaître que les autorités militaires américaines considéraient Ben Moujane comme un combattant ennemi et l’accusaient d’être un djihadiste passé par un camp d’entraînement en Afghanistan avant de rejoindre le secteur montagneux de Tora Bora, où se cacherait Oussama ben Laden. Des allégations catégoriquement rejetées par l’ex-détenu marocain.
L’armée américaine n’a pas justifié sa décision de le libérer, mais son élargissement semblait signifier qu’il ne représentait pas une réelle menace. La cour d’appel marocaine n’a pas non plus explicité son jugement, indiquant implicitement que les charges retenues contre lui manquaient de substance.
Pour sa défense, Ben Moujane assure ne s’être jamais rendu en Afghanistan. Il ajoute qu’il a pris pour la première fois l’avion en juin 2001 pour rendre visite à sa soeur qui avait épousé un Saoudien en Syrie. Or, une fois à Damas, il aurait appris que sa soeur était partie vivre en Afghanistan.
Trois semaines après son arrivée à Kandahar, les attentats du 11-Septembre avaient lieu et bientôt les Etats-Unis intervenaient militairement contre le régime taliban.
Ben Moujane explique que lui et ses proches ont tenté d’obtenir des visas pour gagner le Pakistan voisin, « mais toutes les ambassades étaient déjà fermées ». La famille auraient alors décidé de fuir à bord d’autocars en partance pour la frontière : « je suis monté dans l’un d’eux, ils ont embarqué dans d’autres. Je ne les ai jamais revus ».
D’après lui, sa soeur Raja a péri dans un bombardement américain. Le beau-frère avec lequel il avait fait le voyage du Maroc, Saïd Boujaadia, a été capturé à la frontière pakistanaise et détenu à Guantanamo jusqu’en avril dernier. Malade, il croupit actuellement dans une prison marocaine dans l’attente de son procès.
Le beau-frère saoudien de Ben Moujane, Zuhair Tabiti, avait réussi à fuir l’Afghanistan. Il a été arrêté en 2003 au Maroc, où la justice l’a condamné à dix ans de prison pour participation à la « cellule Zodiac » qui prévoyait apparemment des attentats contre des navires américains et britanniques dans le détroit de Gibraltar. Il purge sa peine en Arabie saoudite.
Ben Moujane avait quant à lui rejoint le Pakistan, où il avait été appréhendé par la police. « Tout individu arabe y était arrêté », se souvient-il. « Ils se faisaient beaucoup d’argent en vendant des soi-disant terroristes, et les Américains gobaient tout. »
Remis à l’armée américaine, celle-ci l’a immédiatement transféré à la base de Kandahar. « Là, j’ai cessé d’être humain. Je suis devenu le numéro 149 », raconte-t-il, faisant état d’interrogatoires brutaux et de violences répétées.
Un jour, il est totalement dénudé et photographié avec d’autres détenus. On leur donne une combinaison orange, ce qui le soulage presque. « J’avais vu beaucoup de films d’Hollywood, alors j’ai reconnu cette tenue et j’ai cru que j’irais en Amérique... »
En fait, c’est à Guantanamo, base navale américaine en territoire cubain, qu’il est envoyé, baillonné, pieds et poings entravés, les yeux bandés et les oreilles bouchées. S’il ignore la date de son arrivée, il se dit certain d’y avoir été détenu au moins depuis le 11 janvier 2002, ce qui fait de lui l’un des premiers détenus de cette prison militaire.
Il avait alors 20 ans. Interrogé plusieurs fois par semaine, il était toujours à Guantanamo cinq ans plus tard, sans avoir vu ni avocat ni représentant de son ambassade.
Victime de vexations liées à sa religion, il a observé de nombreuses grèves de la faim, comme les autres détenus. Mais il a été nourri de force par intraveineuse, tandis que ceux qui résistaient se voyaient imposer un tuyau dans le nez.
Ces graves accusations ressemblent à celles déjà exprimées par des défenseurs d’ex-prisonniers de Guantanamo. L’armée américaine les dément en bloc. S’agissant de Ben Moujane, elle se refuse à tout commentaire spécifique. « Nous ne répondons pas à chaque allégation d’abus formulée par d’anciens détenus », a expliqué Pauline Storum, porte-parole de la prison, dans un courriel à l’Associated Press.
Un audit interne réalisé en mai par le FBI dans des installations militaires américaines dont Guantanamo a confirmé l’existence de pratiques « proches de la torture » et potentiellement illégales, selon le département américain de la Justice.
Ben Moujane affirme que ses derniers mois dans cette prison ont aussi été les pires, des drogues étant systématiquement mélangées à l’eau et la nourriture qui lui étaient servies. « Chaque fois que je mangeais, j’avais des visions », assure-t-il.
Il dit n’avoir « rien ressenti » quand on lui a annoncé son transfert au Maroc. Selon lui, la police marocaine s’est vu remettre à cette occasion des enregistrements vidéo prouvant qu’il avait plusieurs fois tenté de se suicider par strangulation avec ses longs cheveux.
Aujourd’hui, avec le soutien de l’organisation britannique Reprieve, il entend obtenir réparation du gouvernement américain. « Il y a de nombreux motifs de poursuites », assure Clive Stafford, l’avocat à la tête de cette ONG dans un entretien téléphonique. « Je pourrais dresser une liste d’une vingtaine de conventions qui ont été violées par les Etats-Unis, des textes sur la torture aux Conventions de Genève. »
Source : AP
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