Trois saoudiens et leurs sept complices marocains ont-ils voulu commettre des attentats contre des navires américains dans le détroit de Gibraltar ? C’est "ce remake en Méditerranée du coup d’Aden qui a valu aux Etats-Unis la destruction partielle de leur destroyer USS-Cole, en 2001 au Yémen", qu’est en train de juger un tribunal de Casablanca.
Alors que le procès entre dans "sa dernière ligne droite", l’hebdomadaire marocain Le Journal consacre à l’affaire sa "une", son éditorial et un dossier complet. Car, au regard d’une série d’irrégularités judiciaires, voire d’allégations de tortures, son rédacteur en chef, Ali Amar, conclut à "la volonté du pouvoir -marocain- d’expédier une affaire très suivie par le parrain américain, à la veille d’une deuxième guerre du Golfe". Dans son éditorial, Aboubakr Jamaï, directeur de la publication, reproche au président Bush d’avoir, dans un récent discours où il était question d’un attentat avorté dans le détroit "grâce à la coopération de services amis", estampillé les prévenus comme terroristes.
La liste des irrégularités judiciaires énumérées par Le Journal est impressionnante. Supposés membres d’une "cellule dormante" au royaume, les dix accusés ont été arrêtés un mois avant d’être présentés, le 10 juin 2002, à un juge d’instruction, alors que le délai légal de la garde à vue est de 72 heures. Le mois de détention au secret n’aurait pas été perdu pour tout le monde : deux agents secrets, un Américain et un Jordanien, ont pu les interroger à souhait. En leur présence, les présumés terroristes auraient été torturés, l’un des trois Saoudiens - Zuhair Hilal Mohamed Al Tabiti, qui admet avoir rencontré Oussama Ben Laden en janvier 2000 en Afghanistan - ayant été forcé de passer aux aveux sous la menace que sa femme marocaine, qu’il entendait crier, ne fût violée...
L’AIDE DE "SERVICES AMIS"
L’avocat de la défense, Me Khalil Idrissi, confirme que sévices et "services amis"ont rimé dans un ergastule secret à Tamara, près de Rabat. Il ironise aussi sur les 30 pages de dépositions dactylographiées qu’une bien diligente police judiciaire a pu recueillir en trente minutes seulement. "C’est épatant !", relève-t-il, avant de conclure : "Les accusés ont signé les p.-v. sous la torture..." Ensuite, les détenus auraient été conduits nuitamment chez un juge d’instruction qui leur aurait été présenté comme "le boss", juste le temps de parapher les aveux déjà établis. Enfin, autre entorse au règlement, qui frapperait à elle seule de nullité toute la procédure : l’ambassadeur d’Arabie saoudite n’a été informé de l’arrestation de ses ressortissants que le 26 juin, et seulement par les services pénitentiaires.
Ce manquement ne sera peut-être jamais constaté. Car le juge présidant la cour de Casablanca vient d’être "remplacé", au beau milieu du procès. Et, contrairement à son prédécesseur qui avait donné suite à cette requête de la défense, Lahcen Tolfi, connu pour "sa main lourde", ne semble pas vouloir entendre l’ambassadeur saoudien. Tout comme il refuse d’aborder le contexte international, qui explique la présence d’agents étrangers dans des geôles marocaines dès lors que s’y trouvent de présumés terroristes. Ceux-ci auraient d’ailleurs été arrêtés grâce à des informations fournies par la CIA, qui les aurait obtenues des "14 ressortissants marocains détenus à Guantanamo", dans le pénitencier aménagé par Washington sur une base à Cuba pour ses prisonniers d’Afghanistan.
On se demande enfin si les Saoudiens et leurs coaccusés marocains, pour la plupart d’entre eux des parents des femmes locales que les wahhabites avaient épousées comme "couverture sociale", avaient ou non l’intention de lancer des Zodiac bourrés d’explosifs contre des navires américains, sans parler des projets d’attentat que l’accusation leur prête au cœur de Marrakech ou contre des autocars. A ce sujet, on reste sur sa faim. Il faut dire que Le Journaln’a pas été aidé par une justice sereine.
Stephen Smith
pour le JOurnal le monde