Lorsqu’ils se réveilleront, le 28 septembre, les Marocains pourront-ils enfin avoir une idée juste de la carte politique du royaume ? Habitués à la tradition marocaine des élections sans surprise, leur scepticisme a longtemps été de rigueur. Mais à la veille de se rendre aux urnes, le 27 septembre, pour élire 325 députés, ils commencent à se convaincre que peut-être les temps ont changé au royaume du Maroc.
Ce scrutin présente un double enjeu majeur pour le pays. Le premier : il entend engager clairement le Maroc dans un système politique plus moderne et plus démocratique.
Le roi Mohammed VI l’a répété à plusieurs reprises : « Les élections seront transparentes et libres. » En clair, l’époque où le clientélisme et le ministère de l’Intérieur modelaient les scrutins à leur gré est révolue.
Vingt-six partis
Ce serait la première fois dans l’histoire du royaume. Le roi en a fait son affaire personnelle et joue sa crédibilité politique de jeune monarque toujours très populaire après trois ans de règne.
Abderrahmane Youssoufi, le Premier ministre sortant, joue aussi la sienne. Vieux monsieur respecté de 78 ans, il devrait clore, avec ces élections législatives, une carrière politique passée en grande partie en exil avant que le roi Hassan II ne le choisisse, lui le socialiste, pour être le chef d’un gouvernement de transition. Un numéro d’équilibrisme politique qu’il réussira avec talent malgré ses nombreux détracteurs.
Mais le pari est risqué. Pour éviter le clientélisme et les achats de voix, le gouvernement a changé le code électoral : les Marocains vont voter selon un scrutin de liste qui devrait dissuader les candidats de tenter de monnayer les voix. Mais, dans un pays où 50 % de la population (davantage pour les femmes) est analphabète, il n’est pas évident d’identifier les partis en lice. Les électeurs devront, en effet, cocher, sur un seul document comportant le nom des 26 partis, celui de leur choix. Officiellement, les logos devraient permettre de les distinguer. On peut parier que les grandes formations, dont les sigles sont connus de tous, seront de fait favorisées.
Second enjeu : permettre de connaître le poids de l’électorat islamiste. Dans un sondage récent organisé par l’hebdomadaire Jeune Afrique, le premier du genre au Maroc, 19 % d’un électorat très morcelé disait préférer voter pour un parti qui se déclare « religieux ». Au Maroc, la sensibilité islamiste ne peut être négligée. Mais elle recouvre toute la palette de l’intégrisme, allant des légalistes modérés (très majoritaires) aux radicaux (une poignée). Iront-ils voter ? Aux élections de 1997, le Parti de la justice et du développement (PJD), seule formation islamiste légalisée, avait remporté 9 % des voix (9 députés). Puissant à Casablanca et dans la région de Tanger, il pourrait obtenir, cette fois, une trentaine de sièges.
Ce résultat minimiserait pourtant le poids des « barbus » dans la société marocaine. Car leur héros, le vieux cheikh Abdessalam Yassine, 74 ans, dont l’assignation à résidence avait été levée par Mohammed VI en mai 2000, ne participe pas au scrutin. Son mouvement, très populaire, Al Adl Wal Ihssane (Justice et bienfaisance), n’a pas demandé sa transformation en parti. Elle serait très probablement refusée. Al Adl Wal Ihssane préfère continuer à engranger des fidélités en ouvrant des dispensaires, des colonies, des cours d’alphabétisation pour femmes dans les médinas défavorisées. Une politique qui porte ses fruits. Ils sont des dizaines de milliers à descendre dans la rue à l’appel du cheikh lorsque celui-ci demande de soutenir l’Irak, la Palestine, ou de protester contre le projet de modernisation du code de la famille visant à donner plus de liberté aux femmes.
Le mouvement du cheikh Yassine pourra-t-il peser sur la prochaine consultation ? S’il ne participe pas, c’est pour éviter un raz de marée islamiste, déclarait récemment, sans sourciller, un de ses responsables au journal Al Ayam. « Nous craignons la répétition du scénario algérien », affirmait-il. Fanfaronnade de quelqu’un qui ne s’est jamais frotté aux urnes ? Certes. Mais le poids des « barbus » ne doit pas être minimisé. Et, pour la première fois au Maroc, des islamistes modérés seront peut-être appelés, demain, à entrer dans une coalition gouvernementale. La fin d’une époque
Le point