Le roi Mohammed VI a adressé mardi 26 septembre une Lettre royale au Chef du gouvernement, annonçant une révision approfondie du Code de la famille (Moudawana), près de 20 ans après celle opérée en 2004.
Les élections législatives au Maroc s’annoncent serrées. S’il est aisé de prévoir que le prochain gouvernement sera, comme son prédécesseur, issu d’une coalition, l’intérêt est de savoir qui en sera le chef de file : l’USFP de Me Youssoufi, qui semble bien bénéficier des faveurs de l’électorat, ou l’Istiqlal ?
La cause est entendue. Durant les prochaines semaines et jusqu’au verdict des urnes, fin septembre, l’épouvantail islamique va ressortir à la une de tous les magazines au Maroc et en dehors du Maroc. C’est de bonne guerre. Le sujet est vendeur et il fait courir des frissons de frayeur le long des échines délicates des salons de la grande société de Casablanca, déjà traumatisée par la découverte d’un réseau dormant d’Al-Qaïda, qui préparait quelque forfait contre des navires américains de passage dans le détroit de Gibraltar. Le fait qu’il ait été démantelé par la police marocaine avant son passage à l’acte n’a pas rassuré plus que ça dans ces milieux frileux, qui n’arrêtent pas depuis des années de prédire pour demain la "catastrophe imminente" de l’arrivée d’un raz-de-marée islamique. Les mouvements islamiques eux-mêmes n’accordent aucun crédit à un tel scénario. Ils l’écartent d’emblée de toute discussion sérieuse sur leurs chances électorales de septembre prochain.
En fait de mouvements islamiques, un seul se présentera au prochain scrutin. C’est le Parti de la justice et du développement (PJD) du Dr Abdelkrim Khatib, un octogénaire jovial, baroudeur de la résistance anticolonialiste et ancien chef des maquis. Aucune des associations islamiques les plus connues - notamment Al-Adl Wal Ihsane de Cheikh Yassine - n’est candidate à ces législatives. Elles prétendent ne pas être prêtes à entrer dans l’arène électorale, mais certains les soupçonnent aussi de jouer la carte du pourrissement politique, économique et social, attendant que le fruit soit mûr pour le cueillir. On n’en est pas encore là. Le Dr Khatib, qui se gausse volontiers de ces pronostics alarmistes, évalue l’éventuel "raz-de-marée" en faveur du PJD à un doublement du nombre de ses sièges à l’Assemblée nationale de douze à vingt-quatre, soit à peine 5 % à 7 % de la représentation nationale. Pas de quoi paniquer. A force d’être agité en toutes circonstances, le "syndrome algérien" risque cette fois encore de tomber à plat dans ce pays où le roi, Commandant des croyants, reste tout de même un rempart efficace contre d’éventuelles dérives intégristes.
Quoi qu’on dise, la bataille électorale ne se jouera pas sur ce terrain, mais sur celui de la modernisation politique et sociale, amorcée il y a cinq ans avec la première alternance politique engagée par le roi et les partis politiques, notamment ceux de l’ancienne opposition de gauche. Le Premier ministre Abderrahman Youssoufi, premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaire (USFP), va être sur la sellette durant les prochaines semaines. Il aura à défendre le bilan de la précédente législature, avant d’envoyer ses troupes à la bataille. Le roi Mohammed VI, soucieux d’avoir enfin une carte précise des forces politiques du royaume, qu’il ne peut obtenir qu’à travers un scrutin "propre", s’est engagé solennellement à veiller à la régularité des opérations électorales. Le mode de scrutin a été modifié, les registres et la carte électorale remis à jour. Un consensus a été réalisé autour de ces aménagements, sauf sur un point : le statut des têtes de liste. Leur désignation promet des bagarres internes phénoménales dans chaque parti.
Le bilan d’Abderrahman Youssoufi tient parfaitement la route. Malgré les critiques, parfois acerbes, qui l’ont accompagné tout au long des cinq dernières années, il a réussi à mener à bon port le premier mandat d’alternance, ce qui n’était pas garanti d’avance. D’autant qu’à mi-parcours, il a eu à gérer la transition induite par la brutale disparition du roi Hassan II et l’accession au trône de son héritier Mohammed VI. Il a aussi beaucoup réformé en profondeur dans des domaines où les résultats n’apparaissent pas rapidement, comme il a débloqué le dossier épineux de l’indemnisation des familles de disparus et accordé plus d’attention au respect des droits humains et des diverses associations qui les défendent au Maroc. Résumant son action, il a déclaré récemment : "L’étape que nous quittons a permis de sauver les fondements de la cohésion sociale, menacés d’effondrement dans des secteurs comme la justice, la sécurité sociale, le développement rural et les rapports professionnels. Cette étape a permis de développer les ressources humaines, de sauver les instruments de la gestion économique, tels que les établissements publics qui étaient submergés de gabegie. Nous n’avons pas seulement mis ces dossiers à la disposition de la justice, nous avons aussi agi pour que les salariés ne deviennent pas la monnaie de change dans le troc de la réforme financière au prix de la dégradation sociale."
Le ministre de l’Economie et des Finances, Fathallah Oualalou, n’a pas du tout à rougir de son bilan économique. Malgré une sécheresse exceptionnelle de trois années consécutives - au Maroc "gouverner c’est pleuvoir" -, le taux de croissance annuel moyen a frisé 4 %, les équilibres macroéconomiques ont été rétablis et respectés : taux d’inflation maîtrisé, déficit budgétaire contenu. Les recettes fiscales de l’Etat ont été nettement améliorées. L’investissement public a soutenu la croissance. Un premier programme de privatisations a été mené à bien, notamment dans les télécommunications. Un second est en cours. Il concerne en particulier la régie des tabacs et une nouvelle tranche de télécommunications. "La prochaine équipe trouvera les finances saines", a récemment déclaré le ministre, qui avait inauguré son portefeuille en relevant le défi, que ses adversaires disaient insurmontable, de présenter une loi de finance équilibrée dans les quelques mois qui avaient suivi l’investiture du gouvernement. Le chemin parcouru depuis est considérable.
Mais il est de bonne guerre, alors que les élections approchent, de faire le procès du gouvernement en place. Membre de la coalition gouvernementale, l’Istiqlal a depuis longtemps franchi le Rubicon. Son secrétaire général Abbas el-Fassi, qui avait "un pied dans le gouvernement et l’autre dans l’opposition", selon une expression marocaine, a rejoint désormais des deux pieds l’opposition. Le parti, qui estime avoir été frustré de la victoire aux dernières législatives par les manœuvres de l’ancien ministre de l’Intérieur Driss Basri, estime qu’il a une revanche à prendre. Le véritable enjeu de son bras de fer avec l’USFP est la direction de la coalition qui sortira des urnes dans quelques semaines. Il multiplie les appels du pied au PJD et à l’électorat sensible aux thèses islamiques, sachant qu’il ne sera rejoint sur ce terrain par l’USFP. Le parti de Abderrahman Youssoufi s’en tient en effet à une ligne qui n’a pas varié depuis sa création : le rejet de toute alliance avec des mouvements religieux, car il estime que la plus grande erreur serait "d’impliquer l’islam dans le débat politique". Il estime par ailleurs que pour les partis se réclamant de l’islam, l’adhésion à la démocratie ne soit pas être une "position déclarative, mais être répercutée dans les choix de société", comme vient de le rappeler Khaled Alioua.
Abbas el-Fassi joue par ailleurs son propre avenir à la tête de l’Istiqlal, face à quelques caciques, comme l’ancien Premier ministre Mohammed Boucetta, qui s’étaient vu forcer la main pour participer au gouvernement d’alternance. Ils continuent à penser encore que ce fut une "erreur" que seule une victoire aux prochaines législatives pourrait réparer en redonnant la direction des affaires gouvernementales au vieux parti nationaliste. Les autres membres de la coalition gouvernementale - comme l’ancien Premier ministre Ahmed Osman, président du Rassemblement national des indépendants - sont plus prudents dans leur approche et moins critiques à l’égard de leur chef de file actuel. Ils savent qu’à moins d’un improbable bouleversement politique, le prochain gouvernement sera soutenu par une coalition aux contours pas très éloignés de celle qui doit rendre son tablier dans les prochaines semaines. Mais pour le vieux routier de l’action gouvernementale qu’est Ahmed Osman, le premier mandat d’alternance aura au moins appris à des partis longtemps confinés dans l’opposition qu’il faut désormais présenter aux électeurs des "programmes réalistes et réalisables".
Simon Malley pour Afrique Asie
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