Elections 2002 et le risque islamiste

3 septembre 2002 - 10h47 - Maroc - Ecrit par :

La fin de l’été au Maroc se fera au rythme des joutes oratoires et des affrontements électoraux qui promettent d’être particulièrement chauds. A partir du onze septembre, le jour même où le monde célébrera le premier anniversaire de l’attaque contre les deux tours jumelles du Trade World Center, le Royaume de Mohammed VI rentrera officiellement en campagne électorale avec en lice vingt-quatre à vingt-six partis.

Pendant quinze jours, ils essayeront de convaincre des électeurs marocains échaudés que le Maroc a changé et que le scrutin du 27 septembre prochain sera sans précédent au Maroc.

Le Roi Mohammed VI, qui vient de fêter le 31 juillet dernier le troisième anniversaire de son accession au trône, aura ainsi les premières législatives de son règne. Il n’a, de ce fait, manqué aucune occasion ni aucun discours pour marteler combien il tenait à ce que ces élections soient libres et sincères. Depuis son arrivée au sommet du pouvoir, le Souverain s’est contenté de diriger le pays avec un gouvernement, celui du socialiste Abderrahman Youssoufi, hérité de son père. A l’issue du scrutin du 27 septembre, l’héritier de Hassan II présidera à la formation du premier gouvernement de son règne qu’il a placé sous le signe au rajeunissement, de la rénovation et de la démocratisation.Tout a été mis en place pour que ces élections fassent de l’automne 2002 le printemps de la démocratie marocaine. Un nouveau mode de scrutin par liste au plus fort reste au niveau provincial est venu se substituer au scrutin uninominal majoritaire à un tour qui se prêtait plus facilement à la manipulation et faisait la part belle à la corruption des électeurs .

Rusant avec la constitution, le gouvernement marocain a également crée une liste nationale tacitement réservée à la représentation féminine (30 sièges) pour contourner le phalocratisme des partis et le sexisme de l’électorat. Urnes transparentes, encre indélébile pour marquer les votants, abandon du système des couleurs qui facilitait le contrôle des votes figurent dans la panoplie des mesures pour entourer le scrutin d’un maximum de garanties. Les listes électorales ont par ailleurs été réouvertes, tandis que des mesures de généralisation de la carte d’identité nationale pour éviter les fraudes ont été prises. Enfin, une vaste campagne de sensibilisation à l’échelle nationale est menée pour responsabiliser les électeurs et les mobiliser en vue d’une forte participation à des élections que toutes les parties prenantes disent cruciale pour l’avenir du Royaume et de sa monarchie constitutionnelle.

L’opinion publique marocaine ne se fait certes pas beaucoup d’illusion sur les comportements des candidats. Le recours massif à l’argent, d’autant plus difficile à juguler et à combattre que l’électorat marocain reste dans sa grande majorité marqué par l’analphabétisme et le sous-développement économique et social du pays, sera très présent dans la campagne électorale. Mais il est certain que l’Administration territoriale qui a toujours supervisé la fabrication de la carte politique nationale, se tiendra à l’écart, se contentant cette fois-ci de son rôle d’organisateur. Cette attitude, dictée par la stratégie refondatrice du nouveau règne, n’est pas absoute de calculs politiques fins qui permettent au pouvoir de s’offrir des élections libres tout en continuant à être le seul maitre du jeu. Tout d’ailleurs le lui permet.

La présence d’au moins 24 partis dans la course ne promet que la reconduction de la mosaïque parlementaire actuelle qui ne permet pas, non seulement à un, deux ou trois partis, mais à quatre, cinq, voire six formations de former une majorité. En principe, le nouveau mode de scrutin devrait profiter aux « grands partis » et réduire l’émiettement qui caractérise la Chambre des Représentants. Mais la nouveauté du système et les bouleversements qu’il pouvait produire dans la configuration politique du pays, ont été réduite par les mesures qui l’ont accompagné : Un découpage électoral par province et un nombre de sièges à pourvoir par circonscription (de 3 à 6 seulement), le placent à mi-chemin du scrutin par liste et de l’uninominal majoritaire à un tour. Il reportera ainsi un certain nombre de défauts de l’ancien système sans profiter de toutes les qualités du nouveau. Sur le papier, les socialistes de l’USFP qui dirigent l’actuel gouvernement et leurs alliés de l’Istiqlal et du RNI, même s’ils se présentent sur un bilan discutable et avec de fortes dissensions internes, n’auront pas grand mal à se maintenir, à quelques sièges près, dans leurs dimensions actuelles. Et tandis que les partis issus du traditionnel mouvement populaire se recomposent dans un rapprochement toujours précaire, l’Union Constitutionnelle qui a, pendant de longues années, constitué l’épine dorsale des majorités parlementaires, pourrait bien faire figure de dindon de la farce, fut-ce parce que depuis toujours il a fait double emploi avec le RNI mieux organisé, plus crédible et plus en côte avec le pouvoir.

Autour de ces quatre formations (USFP, Istiqlal, MP et RNI) graviteront une cohorte de petites formations, ancienne et nouvelles, couvrant un large spectre allant de la gauche la droite. Mais la grande surprise, dans un sens comme dans un autre, risque de venir des islamistes du PJD.

Contrairement aux autres mouvements islamistes, notamment celui d’Aldl Wal Ihsane de Abdeslam Yassine, le PJD a intégré le jeu institutionnel et siège au Parlement depuis les dernières élections. Il a même fait partie au début, sans être présent au gouvernement toutefois, de la majorité gouvernementale, au nom du « soutien critique » avant de se résoudre à une opposition franche et directe. Jusqu’à probablement les événements du 11 septembre, le PJD, soutenu en sous-main par le ministre marocain (de souveraineté) des Affaires islamiques et des Habous, Abdelkebir Mdaghri Alaoui, pouvait prétendre aux premiers rôles, voire à une forte représentation au sein du prochain gouvernement. Mais la conjoncture internationale a visiblement modifié le dessein et le scénario. La découverte au Maroc au début de l’été de cellules dormantes d’Al Quaida et l’entrée en guerre des services de sécurité marocaine contre les Islamistes d’Assalafya Al Jihadya, un mouvement proche du Wahabisme saoudien, qui ont été jusqu’à perpétrer des crimes de sang, a signé un changement d’attitude du pouvoir à l’égard des islamistes dit modérés. Dévoilant des connexions, des passerelles, exprimant des sympathies les uns pour les autres, le mouvement islamiste marocain dans ses différentes composantes - modérée, pacifique ou communicatrice - apparaît désormais comme une vaste confluence interactive à surveiller de près.

La solidarité dont a fait montre la presse du PJD avec les groupuscules de la Salafya, sur fond de débat et de controverses autour du l’unité doctrinaire du Royaume et des fondements malikites sur lequel il repose, pourrait à terme conduire sinon à l’exclusion de ce parti du jeu politique, du moins à sa marginalisation.

L’Observateur - Naim Kamal

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