Interpellé par un groupe parlementaire sur le droit des Marocains résidant à l’étranger (MRE) à participer aux élections au Maroc, Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur a répondu sans détour.
Driss Jettou ne se portera pas candidat aux prochaines élections législatives. Le chef du gouvernement a tenu à couper court aux rumeurs sur l’éventualité de l’entrée en lice du Premier ministre sous une quelconque couleur politique. Certains organes de presse lui avaient même fait porter la casquette du RNI. Catégorique, mais habile politicien, le chef du gouvernement a remis les pendules à l’heure : « Je fais de la politique tous les jours, mais je suis sans appartenance politique et je ne compte absolument pas me présenter aux prochaines législatives ».
Dans un dîner, mardi dernier, avec un parterre de journalistes, le Premier ministre a également fait savoir qu’il n’y aura pas de remaniement ministériel. « Le gouvernement reste en place jusqu’à la fin de l’actuelle législature », a-t-il tenu à préciser. « Le fait qu’il y ait des ministres candidats à la députation ne justifie nullement leur sortie du gouvernement », dira Jettou. « Ils assumeront leurs responsabilités jusqu’au bout et sont suffisamment adultes pour ne pas abuser de cette situation lors de leurs campagnes électorales », soutiendra-t-il.
Quelques heures seulement après sa prestation devant la Chambre des députés, Driss Jettou est revenu sur son contenu. Mais l’auditoire était cette fois-ci très restreint (une dizaine de journalistes représentant quelques organes de presse). Aimable et courtois (il a même invité ses hôtes à se mettre à l’aise s’ils ont chaud), Driss Jettou s’est volontiers prêté à l’inévitable jeu des questions-réponses. Un jeu qu’il a appris à maîtriser avec doigté et subtilité. Il n’a éludé aucune question, ponctuant ses réponses avec des chiffres et aussi des commentaires.
Maîtrise du cadre macroéconomique, augmentation des investissements, accélération de grands chantiers, décrue du chômage, croissance, mise à niveau des infrastructures, libéralisation du transport, de l’audiovisuel, dialogue social… sont autant de sujets qui plaident en faveur du gouvernement Jettou. C’est en gros ce sur quoi a porté le programme gouvernemental au cours des cinq dernières années.
Mais il y a aussi la réforme de la justice. Jettou a indiqué, dans ce cadre, que « le renforcement de la suprématie du droit et l’indépendance de la justice ont fait l’objet de réformes importantes, marquées par la consécration de l’égalité des justiciables, notamment à travers la suppression de la Cour spéciale de justice, la révision du Code pénal pour consolider le principe d’un jugement équitable ». Ou encore, la diversification des spécialités par la modernisation de juridictions commerciales, le renforcement des juridictions administratives, la création des cours d’appel administratives et celle des juridictions de la famille outre la modernisation des mécanismes et des moyens de gestion de ce secteur. Le Premier ministre a également cité l’amélioration de l’action de la justice par la célérité de l’instruction des affaires pendantes et l’accélération de l’exécution des jugements. Jettou a également rappelé que « la sécurité est inséparable de la justice, qu’elle constitue un préalable à l’exercice des libertés et de la démocratie, une condition de la protection des personnes et des biens, et une nécessité pour la promotion de l’investissement ».
La moralisation de la vie publique, un slogan de l’équipe gouvernementale actuelle, a aussi été au rendez-vous. Sur le registre de la lutte contre la corruption, par exemple, le Premier ministre reconnaît que ce fléau gangrène encore l’administration. « Mais, c’est surtout la petite corruption qui est la plus ancrée dans les “mœurs” et aussi la plus difficile à combattre », a souligné Jettou. En ce qui concerne la grande corruption, le chef du gouvernement a indiqué que « le verrouillage des procédures des appels d’offres a permis d’y mettre fin ». Dans une certaine mesure, bien sûr.
Revenant sur la déclaration gouvernementale de novembre 2002, Driss Jettou a estimé qu’elle a fait office de programme de sa majorité pour la législature 2002-2007. Elle a été, alors, saluée tant dans sa forme que dans son fond, aussi bien par les milieux d’affaires que par la classe politique. Un programme que certains n’ont pas hésité à qualifier de plan Marshall pour le Maroc. Pour la première fois, la Primature avait livré une politique économique avec des objectifs chiffrés et des priorités basées sur une véritable culture des résultats.
Au programme : de grands chantiers d’infrastructures et de relance de l’investissement dans une logique de développement économique et social. Une mise à niveau sociale où le rôle de l’Etat volontariste sous-tend l’ensemble du programme Jettou.
Le Premier ministre a-t-il réussi son « oral » de fin de législature ? Du moins devant le Parlement. On ne le saura que demain vendredi après que les députés auront fini de discuter du bilan qui leur a été présenté, mardi dernier, par le chef du gouvernement.
Cependant, dès mercredi, les réactions fusent. Globalement, la copie de Jettou a été bien perçue aussi par l’opinion publique que la classe politique. Inhabituel : c’est la première fois qu’une présentation de bilan sorte des sentiers battus aussi bien dans la forme que dans le fond. C’est en tout cas, le constat qui s’en dégage au lendemain de la sortie parlementaire de Jettou. Les premières lectures font état d’une avancée sur le plan de la communication entre l’exécutif et le législatif. Les députés ont été servis, eux qui se sont toujours plaints de leur « mise à l’écart », hormis les questions orales. Cette fois-ci le Premier ministre est venu vers eux pour leur soumettre le bilan de sa majorité.
« Jugez-moi sur les résultats » avait dit Jettou lors de la première déclaration du gouvernement en octobre 2002 devant les mêmes représentants de la Nation. Une sorte de contrat moral unilatéral a dès lors été instauré.
Près de 5 ans après, il revient pour présenter, du haut du même pupitre, son bilan 2002-2007. L’enjeu d’un tel exercice n’échappe à personne, veille des législatives oblige. Les prochaines échéances seront « propres et transparentes », avait annoncé Jettou début 2007. Elles devront dégager une véritable carte politique avec le poids réel de chaque formation. Mais également une opposition forte, capable de faire le contrepoids comme le veut l’exercice de la démocratie.
En tout cas, le bilan Jettou balise le terrain. Une feuille de route donc pour la prochaine législature. L’opinion publique et particulièrement la classe politique et les milieux d’affaires attendaient beaucoup de ce bilan. L’intervention du Premier ministre prépare, en fait, à un événement fort attendu : passer de la transition au processus démocratique à part entière. Les prochaines élections doivent installer définitivement le Maroc dans le cercle des pays démocratiques. Le bilan du Premier ministre illustre parfaitement cette vision 2007-2012.
De l’avis de plusieurs observateurs, Driss Jettou a redonné du sens à la fonction de Premier ministre. Il a été capable de rétablir une fonction (ndlr : la Primature) qui a été pendant longtemps (années 80-90) mise à l’ombre notamment par les deux superpuissants départements régaliens de l’Intérieur et des Finances.
Un nouveau style de management donc avec des méthodes et réflexes typiques d’un chef d’entreprise, des définitions de postes et de missions, des synergies et des objectifs chiffrés et précis… Le tout imprimé d’un rythme et d’une vision. D’emblée, le chef du gouvernement avait aussi précisé que le plan quinquennal de son gouvernement sera révisé en fonction des impératifs économiques et sociaux. En 2002, Jettou avait tablé sur une croissance du PIB de l’ordre de 4% jusqu’en 2004. Il avait aussi promis d’alléger la dette publique en relançant le système de sa reconversion en investissements privés et publics (gestion active de la dette). Un Premier ministre entrepreneur.
Globalement, le rythme de travail du gouvernement Jettou a été assez soutenu. « Il est même plus soutenu que celui escompté », avait déclaré le chef du gouvernement il y a quelques années. Dans l’ensemble, le gouvernement a des motifs de satisfaction.
Le Premier ministre en a voulu pour preuve, un « nouveau palier de développement ». Lequel palier a engrangé une « dynamique généralisée » qui a elle-même fait que les traits de l’économie nationale sont modifiés donnant un taux de croissance de 5% sur la période 2002-2006 contre 3,3% sur la période 1999-2001. Du coup, selon Jettou, « l’immunité de l’économie nationale s’est renforcée, ce qui lui a permis de faire face aux chocs consécutifs aux aléas climatiques et à la conjoncture internationale difficile, les taux de croissance étant restés constamment positifs et le rythme des investissements publics ayant été préservé.
Sur le plan économique, les indicateurs sont donc globalement au vert. Ce qui donne à la majorité actuelle des arguments chiffrés pour se lancer « sereinement » dans une campagne électorale qui promet d’être chaud. Parallèlement, l’actuelle législature a été marquée par l’explosion des ventes du ciment (+ 11% en 2006) dopées par l’accélération des grands chantiers (Tanger Med, Vallée du Bouregreg, routes, autoroutes…) et les projets immobiliers (logements sociaux…). Le cap des 100.000 logements a été largement franchi. Fort de cette dynamique, le pays a besoin de construire une cimenterie par an d’une capacité de 1,5 million de tonnes pour répondre aux besoins du marché immobilier.
Autre point positif, selon Jettou, l’évolution des transferts des MRE et le rush des investissements et autres capitaux étrangers (voir encadré), sans compter les recettes des privatisations. La dernière en date concerne la cession aux institutionnels de 4% de Maroc Telecom, soit 4,5 milliards de DH.
Sur le plan de la formation, l’offshoring a permis un nouvel élan des formations pointues et à forte valeur ajoutée. Ce qui a donné le coup d’envoi à l’opération 10.000 ingénieurs par an.
En revanche, les performances du gouvernement Jettou ne cachent pas quelques contre-performances, des loupés en quelques sortes. Autant la dynamique est mesurable dans les secteurs productifs (industrie, commerce, tourisme, immobilier, grands chantiers…), autant elle prèche par sa léthargie dans les secteurs à caractère social (éducation, agriculture, santé, justice…).
Autre maillon faible de la politique gouvernementale, la gestion du dossier stratégique de l’énergie. Aucune politique claire n’a été tracée sur ce registre pour maîtriser l’utilisation de l’énergie. Combien de centrales seront construites ? Quels seront les choix de demain : nuc-léaire, l’alternative des agro-carburants, énergies renouvelables, le gaz naturel ou d’autres sites de raffinage, capacités de stockage ? La question reste posée face à la flambée des cours et à un prix du baril qui peine à se stabiliser (autour de 70 dollars à fin juin dernier). En tout cas, de l’avis de spécialistes, le Maroc risque une crise énergétique si rien n’est entrepris dans l’immédiat.
De nouveaux mécanismes s’imposent également sur le registre de la Caisse de compensation. Même si le principe de l’indexation des prix a été réinstauré, son application n’est pas toujours systématique. Un dossier reporté pour la prochaine législature.
En même temps, la refonte de la politique de l’eau s’impose face à la raréfaction de la ressource. Les finances publiques sont à inscrire sur le même registre. Certes, la maîtrise du déficit est un bon point dans l’équilibre macro-économique. Chose réalisée, mais au détriment d’un endettement intérieur inquiétant. Ce dernier a progressé durant les dernières années pour deux raisons : les arriérés de la Caisse marocaine des retraites (11 milliards de DH) et le financement de l’opération Départs volontaires (DVD) qui a coûté la bagatelle de 8 milliards de DH. Quelque 39.000 fonctionnaires ont encaissé et provoqué une hémorragie des compétences dans le secteur public. Les ex-cadres de l’Etat (ingénieurs, médecins, experts…) reviennent aujourd’hui au public mais en tant que prestataires de services avec des contrats salés.
Pour sa part, le poids de la masse salariale plombe toujours le budget. La retraite est un autre dossier épineux. Le gouvernement n’est pas parvenu à lui trouver une solution définitive. Le traitement de ce lourd dossier est constamment reporté sine die. Pourtant, on n’ignore pas que chaque jour qui passe sans décision gonfle les déficits.
Enfin, le triptyque enseignement-éducation-formation traîne encore des boulets. Les orientations de la Charte n’ont pas été traduites sur le terrain. L’on regrette que plus de 160.000 enfants quittent chaque année les bancs de l’école.
La Santé n’est pas mieux lotie, au même titre d’ailleurs que l’Agriculture. En une année de sécheresse, les « mesurettes de Laenser » ont fait grandir le rang des mécontents. Les mauvaises récoltes ont appauvri davantage le monde rural. Ce qui va inéluctablement se traduire par une accentuation de l’exode rural et plus de précarité dans les villes. Sans parler de la prolifération des bidonvilles et autres formes d’habitat insalubre.
Confusion des chiffres
Le mandat Jettou a été marqué par une confusion dans la communication des statistiques. Entre les chiffres avancés par la Primature et ceux du HCP (Haut commissariat au plan), il y a souvent photo ! La guerre des chiffres sur l’emploi et le taux de croissance a laissé perplexes plus d’un. Jettou avait même estimé que les chiffres du HCP sur les pertes d’emplois dans le textile, la croissance ou l’ICV « étaient sans fondement » (cf.www.leconomiste.com). Par ailleurs, la Primature et le HCP rejettent tous deux des chiffres officiels qui circulent sur la pauvreté et le handicap. Il n’y a pas 500.000 mendiants au Maroc. Il y en aurait plutôt 50.000, avait dit Jettou.
Attractivité
De l’avis de Driss Jettou, « le Maroc est actuellement classé en tête des pays de la région en ce qui concerne l’attractivité des capitaux ». Les investissements directs étrangers étant passés de 5,8 milliards de DH en 2002 à plus de 25 milliards en 2006. Le Premier ministre a également indiqué que « le volume global des projets ayant fait l’objet de conventions d’investissement est passé de 20 milliards de DH en 2005 à 62 milliards en 2006 et a atteint 59 milliards de DH au cours des 6 premiers mois de 2007 ».
L’Economiste - Jamal Eddine Herradi & Amin Rboub
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