L’avenir s’annonçait sans nuage aux yeux de Dalila, malgré les petites disputes que connaissent toutes les relations naissantes. Mais il arrive que même l’amour s’use, et, pour paraphraser Brel, “qu’il craque en deux parce qu’on l’a trop plié”.
Au bout de six mois, Saïd n’avait déjà plus rien de l’amoureux transi qui venait l’attendre devant la porte du lycée. “C’était un autre homme, pas celui que j’avais aimé”. Les deux tourtereaux décident de prolonger leur mariage, malgré son inconsistance et les divergences devenues de plus en plus fréquentes. “Au bout de deux ans, raconte Dalila, j’étais convaincue que notre relation était un échec. Mais j’ai décidé de la prolonger, pour sauver, vaille que vaille, ce qui pouvait encore l’être”. L’une des raisons probables à cette transformation était que Saïd ne pouvait concevoir et cela, il ne pouvait l’accepter.
Dalila a tout essayé, en vain, pour le pousser vers le médecin, qui a préconisé une opération chirurgicale… que Saïd refusa, de crainte que le bistouri ne fasse des “dégâts collatéraux” sur sa virilité. Pour ne rien arranger, les tempéraments des deux époux étaient à l’opposé l’un de l’autre. Pendant que Saïd était introverti et plutôt casanier, Dalila aimait plus que tout les sorties et les voyages. “Je me mentais à moi-même en pensant que le mariage pouvait arranger les choses. Je voulais tellement que nous vivions les meilleures expériences possibles”, ajoute Dalila, mélancolique. Elle reconnaît aujourd’hui son erreur : avoir pensé que le mariage pouvait changer une personne. “Saïd ne m’avait jamais demandé, avant notre mariage, de passer une nuit avec moi. J’attribuais cela au respect que doit un fiancé à sa promise, mais je suis convaincue aujourd’hui que c’était une erreur, encore une, de ne pas se connaître sur le plan sexuel avant de convoler en justes noces”. Et ce qui devait arriver arriva. Au bout de quatre ans d’un mariage, qu’elle décrit comme un calvaire, Dalila décide de quitter son mari pour retourner chez ses parents. “J’avais préféré la tristesse des mois post-divorce à la souffrance de toute une vie, explique-t-elle. J’étais agréablement surprise quand je me suis rendu compte que quelques jours après, je riais aux éclats, j’étais de nouveau heureuse. J’étais enfin redevenue moi-même. C’est étrange, mais je me sens plus équilibrée divorcée que mariée”.
Mariage sans amour
L’histoire d’Ahlam est différente. Son destin allait croiser celui d’un collègue de travail, qui l’a demandée en mariage après quatre mois d’une relation où l’amour n’avait pas son mot à dire. Ce trop de précipitation a accéléré son mariage, mais aussi son retour chez ses parents, avec un enfant de deux ans à charge. “Je ne regrette rien car nous n’étions pas heureux. Tout de suite après le tribunal, je me suis dirigée vers mon bureau. La vie continue”, raconte Ahlam, reconnaissant qu’il ne fut pas facile de “réapprendre à vivre chez les parents”.
Les exemples de Dalila et Ahlam sont loin d’être des exceptions. Les chiffres officiels sont là pour étayer cette nouvelle donne sociale. Dans une allocution consacrée à la Moudawana, un an après son entrée en vigueur, le ministre de la Justice, Mohammed Bouzoubaâ, a déclaré que les demandes de divorce introduites par les maris ont reculé de 42,7%, alors que celles provenant des femmes ont cru de 58,57%. Preuve irréfutable qu’elles sont plus nombreuses à vouloir s’émanciper de la tutelle d’un mari trop autoritaire ou d’une vie qu’elles ne veulent plus tolérer, sans pour autant considérer leur situation comme une catastrophe.
Et la société dans tout ça ? Accepte-t-elle plus facilement une femme divorcée ? Pas si sûr. Ahlam reconnaît que son père a été compréhensif, contrairement à sa mère, qui a vécu son divorce comme un échec personnel. Le regard de l’entourage est encore plus réprobateur. Ahlam, Dalila et d’autres encore tentent de faire avec, au sein d’une société peu encline à la compréhension envers des femmes dont le seul délit est d’avoir refusé de poursuivre une expérience conjugale condamnée. “Quoi que tu fasses, les gens auront toujours le mot de trop. La célibataire est une vieille fille, la divorcée n’a pas su garder son mari, etc. Mais au final, ce qui compte, c’est de vivre sa vie comme on l’entend et non comme le veulent les autres”, se console Ahlam.
Même son de cloche auprès de Dalila : “Cacher l’évidence est stupide. Le divorce fait aussi partie de la vie. La société n’a pas à faire mon procès, car j’étais bien seule avec mes problèmes et mes nuits blanches à ruminer tout ce qui m’arrivait. Je leur dis aujourd’hui que je suis fière d’avoir osé franchir le pas et je ne m’en porte pas plus mal”.
Réapprendre à vivre
Le divorce, c’est aussi une étape délicate à gérer. Ahlam a désormais la charge d’un enfant, pour le bien duquel elle veille à garder de bonnes relations avec le père. “Même après son remariage, j’ai veillé à garder de bonnes relations avec son épouse et sa fille, pour l’équilibre de notre fils”. Car l’équilibre des enfants tient dans la réussite du divorce de leurs parents, à défaut de se nourrir de la réussite de leur mariage. Leur présenter la situation comme une catastrophe ne fait qu’alimenter leur haine envers le parent, désigné comme coupable. “Ce qui m’irrite le plus, c’est d’entendre certains dire qu’il est préférable de maintenir une relation au bord de la rupture pour le bien des enfants. Ce n’est pas leur rendre service, bien au contraire”, poursuit Ahlam.
Et aujourd’hui ? Eh bien, la vie continue, autant pour Ahlam que pour Dalila, qui se sont lancées dans de nouvelles relations, sauf qu’elles sont devenues plus exigeantes, un tantinet plus méfiantes et certainement plus indépendantes. “Je peux aujourd’hui refuser tout ce qui ne me convient pas, sans en éprouver la moindre gêne. Je ne vois aucune nécessité à retoucher ma personnalité pour lui plaire. L’essentiel est de bien définir les limites de ce que je peux accepter et jusqu’où je peux aller”, énonce Dalila. Ahlam, quant à elle, est restée une incorrigible romantique : “J’aimerais rencontrer quelqu’un qui puisse inspirer la sécurité et prodiguer la tendresse. Et surtout qu’il soit disposé à partager, aussi bien les moments difficiles que les instants agréables”. Est-ce trop demander, messieurs !
TelQuel - Sanaa Elaj