Samir, 21 ans, prépare un diplôme d’électromécanicien ; son frère Mounir, 20 ans, est étudiant en médecine à l’université Paris-V. Tous deux vivent avec leur mère près de la basilique de Saint-Denis. Leur père, lui, tient un restaurant et les relations avec ses fils sont fraîches. A entendre Samir et Mounir, cette nuit-là, vers 3 heures, ils attendaient un bus, près de la porte de Paris, pour aller à une fête. Soudain, une voiture de police s’est arrêtée à quelques mètres. Selon les deux frères, les policiers les auraient immédiatement agressés. Samir, qui a l’avant-bras gauche dans le plâtre, aurait crié de ne pas toucher à son frère, diabétique. Mounir dit avoir été plaqué contre la voiture et aspergé de gaz lacrymogène. Samir se serait alors précipité pour repousser un des policiers, puis les deux frères se seraient enfuis.
Pour les policiers, les frères Hammoudi ont été interpellés à la suite d’une plainte de leur père, qui aurait cette nuit-là entendu voler les vitres de son restaurant. Il a aussitôt téléphoné à la police et accusé ses garçons, furieux, selon lui, qu’il leur ait refusé sa voiture pour partir au Maroc. " Je voulais leur faire peur,soupire-t-il, mais je ne pensais pas que les flics leur feraient ça..." Selon la police, l’amie du père avait déjà porté plainte, le 10 juillet, après une visite de Samir, qui l’aurait frappée.
Après le coup de téléphone de leur père au commissariat, les deux garçons ont été repérés par une patrouille. L’interpellation s’est mal passée. Les policiers ont expliqué que, au moment où ils ont cherché à le menotter, Samir aurait frappé avec son plâtre trois gardiens de la paix, dont celui qui ceinturait son frère. Samir et Mounir se sont alors réfugiés dans un immeuble, deux rues plus loin, en cassant un carreau. Une voisine a alerté la brigade anticriminalité (BAC) de Saint-Ouen, elle aussi en patrouille. Deux policiers sont redescendus avec Samir et Mounir, menottes aux poignets. Selon deux témoins, les frères n’ont pas résisté et ne portaient pas de traces apparentes de coups.
C’est alors que les premiers policiers, ceux de Saint-Denis, sont arrivés avec des renforts. Ils étaient plus d’une vingtaine. Selon la police, Samir s’est débattu, a voulu donner des coups de pied, est tombé et s’est blessé seul au visage. Les témoins, eux, ont vu une dizaine de policiers frapper Samir, avec leurs matraques, leurs poings, leurs pieds. " Les flics se sont fait plaisir, raconte C., témoin de la scène. Ils avaient tellement la rage qu’un flic a donné un coup dans la jambe d’un de ses collègues, qui a hurlé. D’autres tiraient des penalties dans Mounir." Qui raconte, la voix défaillante : " Je ne sentais plus les coups mais j’ai chialé en voyant mon frère se faire massacrer. J’ai entendu son cri aigu, permanent, une voix de femme." Samir se souvient : " J’ai vu blanc, jaune, puis plus rien, le noir."
"ILS POUVAIENT MARCHER"
Les deux frères assurent avoir été insultés et frappés pendant le trajet, puis, au commissariat, avoir subi une tentative d’étranglement et des humiliations jusqu’à leur sortie du poste, le samedi vers 18 heures. " Ils pouvaient marcher, ils étaient conscients, leurs droits ont été respectés", assure un policier du commissariat, qui souligne que trois collègues, blessés, ont eu cinq jours d’incapacité temporaire de travail (ITT).
Pendant leur garde à vue, Samir et Mounir ont été transportés dans trois hôpitaux différents pour soigner leurs multiples contusions. Samir souffre également d’une " lésion du globe oculaire droit", de traumatismes aux poignets et d’une entorse à la cheville droite, à laquelle les policiers ont accroché une menotte. Huit jours après les faits - qui ont incité leur père à retirer sa plainte -, l’œil gauche de Samir, qui a reçu 10 jours d’ITT (7 pour Mounir), était encore injecté de sang. Sur les photos prises au lendemain de la garde à vue, le visage de Samir apparaît spectaculairement tuméfié.
Selon leur avocat, Me Stéphane Levildier, Samir et Mounir vont porter plainte pour violences avec constitution de partie civile. En attendant, le maire et député communiste de Saint-Denis, Patrick Braouezec, qui a reçu les deux frères, a décidé de saisir la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). Pendant leur garde à vue, les frères Hammoudi n’ont pas eu le droit de voir un avocat.
Piotr Smolar pour lemonde.fr