La fièvre immobilière retombe à Marrakech

6 janvier 2009 - 16h01 - Economie - Ecrit par : L.A

Après des années d’explosion, la folie immobilière marque le pas à Marrakech. De grands projets sont suspendus, les ventes se tassent, les prix commencent à chuter. Simple ralentissement ou fin d’une "bulle" ? Certains promoteurs espèrent que les dégâts seront limités. Pour d’autres, c’est au contraire le moment de faire des affaires...

Saïd est incollable sur les acquisitions immobilières des stars et des personnalités politiques à Marrakech. En remontant, au volant de sa Peugeot 205 beige, l’avenue Mohammed-V vers la médina, coeur historique de la ville, il vous interroge : "Quel type de bien recherchez-vous ?" Quand il n’est pas taxi, Saïd met en relation acheteurs et vendeurs. Ici, la pratique est courante. "Tout le monde fait de l’immobilier, déplore Ayoub Azzouzi, architecte. Des gens qui sont dans l’artisanat, dans la police..." Il faut dire que le secteur est alléchant. "Il y a dix ans, pour 80.000 euros, vous aviez un riad de 150 mètres carrés dans la médina. Depuis, les prix ont été multipliés par 20 et celui des terrains par 100. C’est de la folie !" Le boom saute aux yeux : du nord au sud, d’est en ouest, la ville est un chantier permanent.

Mais la machine commence à se gripper. Sur la route de l’aéroport, la construction des villas du golf d’Assoufid est à l’arrêt depuis le printemps. Le projet est présenté comme "exceptionnel" : densité faible (80 villas sur 130 hectares), hôtel de luxe et golf, le tout au milieu d’un paysage semi-désertique dominé par l’Atlas... Mais la crise internationale est passée par là, touchant d’abord les clients britanniques. "Ceux qui venaient de l’immobilier ou de la finance ne sont plus là, commente Paul-Eric Jarry, président du groupe Assoufid. Il y a une vraie crise. Depuis quelques mois, plus personne n’a de certitude. Tout l’immobilier de loisir visant la clientèle internationale va souffrir... hormis un ou deux projets dont, je pense, nous ferons partie." Paul-Eric Jarry compte d’ailleurs reprendre la construction et la commercialisation des villas ce mois-ci. Avec une offre revue, et le soutien d’un nouvel actionnaire "puissamment riche" - koweïtien, semble-t-il.

Les rumeurs bruissent

"En ville, les prix des appartements ont baissé de 20% à 30% depuis mars", constate Antoine Ehly, responsable commercial de Marprom. La filiale marocaine du groupe français Alain Crenn développe l’un des plus gros projets de l’agglomération, Samanah : 600 villas, 3 hôtels et un golf. Antoine Ehly n’est "pas inquiet" pour le projet, situé à l’extérieur de la ville, sur la route d’Amizmiz, là où les grues s’alignent à perte de vue. "Le rythme des ventes est un peu plus mou qu’en 2007, concède-t-il. Pour les projets comme le nôtre qui offrent une plus-value, le marché tient. Mais il faudra de nouveaux acheteurs." Marrakech bruisse en tout cas de rumeurs : "incertitudes" sur la vente des futures tranches de Samanah, "difficultés de vente" d’Al Maaden - du marocain Alliances -, commercialisation de Royal Palm (groupe Beachcomber Hotels) qui "bat de l’aile", etc. La CGI - une sous-filiale de la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG) marocaine - continue malgré tout d’investir dans des projets de haut standing. A Chrifia, avec Sama Dubai, une filiale du groupe émirien Dubai Holding. Dans le nouveau quartier chic de Targa. Et au coeur de la palmeraie. Ailleurs, sur la route de l’Ourika, villas, appartements et hôtels poussent aussi comme des champignons sous l’enseigne d’autres promoteurs.

Ces projets verront-ils tous le jour ? "Ce n’est plus l’euphorie d’il y a un an, mais on est optimiste", assure Abderrahim Zellag, responsable des travaux de la CGI à Marrakech. Une question s’impose alors face à l’immensité de l’offre : appartements et villas seront-ils habités ? "La saturation est réelle, mais qu’importe s’ils restent vides, ironise un professionnel. Le Maroc a un secteur informel très puissant avec énormément de blanchiment. Il suffit de voir les sacs de liasses de billets préparés par les banques elles-mêmes..."

Le wali (préfet) de la région de Marrakech, Mounir Chraïbi, considère au contraire le blanchiment comme "marginal". La frénésie de construction est telle que "la crise n’est pas visible", assure-t-il. "Sept nouveaux projets doivent être opérationnels d’ici à 2010 et une vingtaine de golfs d’ici à dix ans - contre quatre aujourd’hui, poursuit le préfet. J’ai dit aux promoteurs : étudiez bien votre affaire, car je préfère dire que votre projet n’existe pas, plutôt que d’affirmer qu’il rencontre des difficultés."

Assainissement du marché

"Depuis six mois, le ressort est bel et bien cassé, observe l’architecte Ayoub Azzouzi. Il y a un tassement des ventes, dû à l’excès de spéculation - depuis 2006, les prix des terrains ont été multipliés par cinq. Marrakech est devenue une jungle !" "Le haut standing connaît un ralentissement, admet le ministre marocain de l’Habitat, Ahmed Taoufiq Hejira. Marrakech est en train de sortir de la folie - le prix du mètre carré à 5000 euros, c’était inhumain !" Il se refuse toutefois à parler de "crise", car "sur le moyen standing, la demande est immense". "Il n’y a pas de crise, insiste aussi Adel Bouhaja, président de l’Association locale des promoteurs immobiliers (Alpim). Ces deux dernières années ont été exceptionnelles. Il y a juste une mévente sur certains logements. La situation est normale, le marché se régule et va nettoyer le secteur. Je pense à la soixantaine de promoteurs non professionnels..." Le nombre de transactions diminue, mais il n’y a pas de stocks invendus, la situation n’a donc rien à voir avec celle de l’Espagne, renchérit l’Alpim.

Benyounes Belkasmi, le directeur général d’Al Omrane, à Tamansourt, ne dira pas le contraire. En 2017, la ville nouvelle, à quelques kilomètres de Marrakech, est censée accueillir 200.000 résidents - ils sont 200 habitants aujourd’hui - et 450.000 en 2030. Certains vilipendent ce projet qu’ils qualifient de "bêtise monumentale", en rappelant que "les réserves en eau y sont quasi nulles"...

Ce coup de froid qui touche le secteur n’effraie pourtant pas le groupe Abu Dhabi Investment House (Adih). Mi-novembre, ce bras armé de l’Abu Dhabi Investment Authority - l’un des plus importants fonds souverains au monde - a donné le coup d’envoi à une cité touristique luxueuse d’un coût global de 400 millions de dollars. Le complexe Porta Moda comprendra résidences, hôtel de luxe et centres commerciaux. L’agence Sotheby’s International Realty (SIR), filiale spécialisée dans l’immobilier de luxe de la célèbre maison de vente aux enchères, prévoit, elle, d’ouvrir un bureau à Marrakech dans les prochains mois. "Le tassement actuel est temporaire, assure Cédric Bredoux, directeur de l’agence marocaine SIR. Quand tout reprendra, on sera dans les meilleures positions."

Alors, Marrakech restera-t-il un eldorado pour les retraités français ?" Oh oui, ici, ce n’est que du bonheur !", lance Marie-Hélène Gilbert, propriétaire du riad Assaada, niché dans les ruelles du nord de la médina. Pour l’instant, "la crise n’est pas perceptible au consulat, complète le consul de France, Jean Wiet. Les gens continuent de venir s’immatriculer tous les jours." "Le capital des Français risque d’être fragilisé par la crise, lâche-t-on cependant dans la communauté tricolore. D’autant que, entre le bakchich et les problèmes de sécurité juridique, l’immobilier n’est pas exempt d’incidents fâcheux."

Un turn-over élevé

Marrakech n’en conservera pas moins de réels attraits. Douceur de vivre et facilité à se payer du personnel de maison attirent les retraités en particulier. Toutefois, sur les 4700 Français immatriculés - retraités et actifs -, la rotation est importante : chaque année, 500 quittent la ville et 700 s’y installent. "Au bout de deux ans, certains renoncent", indique-t-on au consulat. "Ceux qui n’ont pas le golf ou la paroisse pour s’occuper s’ennuient vite", précise un observateur. Il y a aussi ceux qui viennent régulièrement à Marrakech, sans y vivre à l’année - la ville compte 18.000 propriétaires français, dont 700 dans la seule médina.

Profitant de l’envolée des prix, des Marocains ont vendu leur riad et se sont installés en banlieue. Comme les parents d’Abderrahmane Kiali, ferrailleur dans la médina. "Ils rêvent aujourd’hui de revenir, car ils n’arrivent pas à s’adapter à leur nouveau quartier, se lamente-t-il. On est fait pour vivre ici." La flambée de l’immobilier nourrit l’amertume : "Certes, on vit du tourisme. Mais tout devient cher, déplore un Marocain. Pour les Européens, acheter un pain à 3 dirhams, ce n’est rien. Alors que certains d’entre nous ne peuvent pas se le permettre." Le retournement de tendance dans l’immobilier pourrait-il changer la donne ? "Non, pense Ayoub Azzouzi. Le mal est fait. Marrakech ne retrouvera jamais l’authenticité d’il y a trente ans."

Sources : Les Echos - Marie-Christine Corbier

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