Dans la cour intérieure de ciment fatigué de leur maison, Marie, 22 ans, Viviane, 21 ans, et Sandrine, 19 ans, ne décolèrent pas contre l’ONG locale OIS, auteur de la première enquête qui a révélé cette histoire à l’Onu.
Trainou, bourgade poussiéreuse dont les cases en banco et maisons en dur abritent près de 2.000 âmes, est situé à l’entrée sud de Bouaké, juste à côté d’un camp de soldats marocains, que l’Onu a décidé de confiner à leur base après avoir relevé des abus sexuels "avérés", au grand dam des trois filles.
"C’est un coup monté !", crie Sandrine en levant un poing rageur. "Une dame de l’ONG nous a donné des paquets de savons et des draps en nous disant de mentir et de dire que les Marocains nous violent", ajoute-t-elle. "Elle nous a dit : Si tu veux qu’ont t’aide, il faut mentir sur ton âge en disant que tu en as 14 ou 16", abonde Marie.
Comme 10 autres filles citées par le rapport de l’OIS, Marie, Viviane et Sandrine sont allées se plaindre samedi dernier au siège local de l’Onu. "Je ne sais pas si ces filles sont manipulées ou pas. Mais il est vrai que les âges mentionnés restent à vérifier", explique une source onusienne.
Face aux journalistes, les trois filles nient farouchement toute relation avec les Casques Bleus. Mais réclament leur "libération" à grand cri. "Ils n’ont rien fait. Ils ont le droit d’avoir des copines. Vous d’ailleurs, vous n’avez pas de copine ?", lance Marie, très agitée sous son "body" rose moulant à paillettes, au journaliste qui l’interroge.
A quelques mètres de là, des voisins font entendre une voix bien différente. "Le nom de Trainou est gâté" par la faute de ces filles, déplore Ahou Kouadio, tenancière du maquis voisin.
Les filles, souvent sans moyen et abandonnées par leurs parents, sont arrivées des villages environnants et se sont installées à Trainou pour vivre de leur corps avec les Casques Bleus, expliquent plusieurs habitants.
"Je suis prête à parier que Sandrine attend un enfant d’un Marocain", assure Mme Kouadio. L’intéressée dément, et dit porter "fièrement" un enfant de huit mois, dont le père est un "Ivoirien au teint bien noir aujourd’hui à Abidjan".
Mme Kouadio recense même "une dizaine d’enfants métis" et "autant de grossesses" dans le village. "Cela n’existait pas autant auparavant, et ses naissances témoignent de l’intense activité sexuelle qui s’est développée avec les Marocains". "Ces derniers sortent de leur camp la nuit vers 20h00 et investissent le village pour y retrouver les filles", explique Mme Kouadio.
Des rabatteurs sont également chargés d’amener les soldats étrangers vers les filles. "Habitués aux Marocains, ils apostrophent les étrangers avec un ’Salamaleikum ! Tu veux des filles ?’", explique un responsable local.
"Cette prostitution est de notoriété publique", affirme Julien Adéyemi, artisan-peintre en batiks, au milieu de ses pagnes de couleurs vives. Désoeuvrées au milieu de leur petite cour, Marie, Viviane et Sandrine souhaitent surtout que tout cette affaire s’arrête. "Nos vies sont très menacées par les vendeuses et vendeurs qui travaillaient aux alentours du camp marocain, et qui ne peuvent plus vendre depuis cette affaire. Elles nous en imputent la responsabilité", soupire Marie.
AFP - Christophe Koffi