Principales dispositions : le CSCME (Conseil supérieur de la communauté marocaine à l’étranger) dépend directement du roi et n’a qu’un rôle consultatif. Autre constat non moins significatif : les premiers membres de ce Conseil ne sont pas élus. Il s’agit en effet d’un Conseil transitoire, pour proposer, dans quatre ans, un mode de sélection plus démocratique. Depuis le 21 décembre, le CSCME a aussi un président. Il s’agit de Driss El Yazami, longtemps pressenti au poste, un des hommes les plus en vue de la défunte Instance équité et réconciliation. Le Conseil compte également 36 autres membres nommés. Et sur les cinquante sièges que compte l’instance, treize sont encore vacants.
La polémique, déjà
Les ajustements restent ainsi possibles, et beaucoup les appellent de leurs voeux. Car le jeune Conseil est déjà la cible de toutes les critiques. Les mécontents dénoncent autant le manque de représentativité des membres du CSCME que “l’absence de transparence” qui aurait caractérisé le processus de leur nomination. Associatifs ou politiques, au Maroc ou à l’étranger, ils n’ont pas de mots assez durs. Florilège : “Nous voulons informer le roi qu’il y a eu duperie. Les responsables de ce projet lui ont présenté leurs amis et non des personnes méritantes”, nous confiait Aziz Saret, président de l’Alliance mondiale des Marocains de l’étranger au lendemain des nominations. Saïd Charchira, directeur du Centre européen d’études et d’analyses sur la migration, est lui aussi très amer : “Une fois de plus, les responsables du dossier ont laissé échapper une occasion pour mettre en place un véritable Conseil au service des Marocains de l’étranger. Après un ministère sans budget et sans vision, on leur sert un Conseil sans âme et sans contenu”.
Au Maroc, du côté des partis politiques, même son de cloche. Dans un communiqué, les militants de l’USFP en Europe ont fait savoir leur “refus absolu de la méthodologie suivie dans la désignation des membres”. Le bureau politique du PSU s’est lui aussi fendu d’une franche condamnation du processus. Le PJD, le Mouvement populaire et d’autres encore ont adopté une attitude similaire. Nos partis politiques retrouvent ainsi une habitude perdue en cours de route : contester, se rebeller, dire “Non” tout simplement. À leurs yeux, il y a de quoi : l’esprit même de ce Conseil visait à en exclure la composante politique. En novembre 2006, le Congrès mondial des citoyens d’origine marocaine demandait déjà d’écarter les partis politiques du processus, au motif qu’ils ne disposent pas d’une réelle implantation dans les pays d’accueil. Implicitement, on comprend la difficulté : il est risqué de donner une couleur politique au CSCME dans des pays où l’immigration est un sujet éminemment sensible. Et il est toujours délicat de politiser des questions nationales quand elles peuvent interférer dans les relations internationales.
Concrètement : qu’attend-on des émigrés marocains ? Qu’ils s’intègrent dans leurs pays d’accueil ? Ou qu’ils regagnent la “mère patrie” ? Et de quels émigrés parle-t-on ? Des étudiants, des ouvriers, des jeunes en difficulté, des cadres… ? Pour les réponses, il va falloir attendre.
Peu après sa nomination à la tête du CSCME, Driss El Yazami a simplement indiqué, sur 2M, que le Conseil est appelé à jouer plusieurs rôles, dont celui d’encourager le retour des compétences marocaines. Sera-t-il amené à traiter différemment les étudiants, les cadres et les autres ? Ne s’adressera-t-il qu’à la frange la mieux lotie de la communauté marocaine à l’étranger ? Auquel cas, le discours sur la représentativité du Conseil n’a plus aucun sens : plus aucune nécessité d’un Conseil élu, puisque le seul besoin est économique, celui de l’efficacité et du développement. Décidément, les 50 milliards de dirhams qu’envoient chaque année les quelque 3,5 millions de MRE pèsent très lourd dans la balance !
Sous le signe du CCDH
Si, dès sa naissance, le CSCME subit le feu des critiques, c’est bien parce que, comme le souligne Saïd Charchira, “il n’y a pas pire difficulté que la mise en place d’un Conseil dont la genèse est contestée”. De fait, aucun consensus n’a été atteint, même au sein du groupe de travail qui a réfléchi à la mise en place du CSCME. Petit rappel des faits : le 4 novembre 2006, soit deux jours avant le discours royal confiant au CCDH la mission de plancher sur le futur Conseil des MRE, un “groupe de travail” de 14 personnes se réunissait à Marrakech à la demande du secrétaire général du CCDH, Mahjoub El Haiba. Driss El Yazami n’en était alors qu’un consultant externe. Il fera son entrée au CCDH quelques mois plus tard, à la faveur du renouvellement de sa composition. Par la même occasion, il devient membre à part entière du “groupe de travail”.
Mais en mars 2007, les membres de ce fameux “groupe de travail”, indépendants (du CCDH) pour la plupart, découvrent avec stupeur qu’ils ont été mis hors-circuit. Abdelkrim Belguendouz, qui en faisait partie, dénonce ainsi une “OPA du CCDH sur le travail accompli”. Brahim Ouchelh, autre membre déçu du groupe des 14, est tout aussi catégorique : “Très vite, il y a eu des divergences au sein de l’équipe : des forces occultes interféraient dans le dossier, nous n’en avions plus aucune maîtrise. Nous avons été manipulés. Notre caution morale a été dévoyée”. En fin de compte, le groupe d’experts n’a même pas eu connaissance des recommandations et du rapport remis au roi par le CCDH. Joint par téléphone, Driss El Yazami, le président du CSCME, semble encore chercher sa réponse : “Le Conseil tiendra une conférence de presse dans une quinzaine de jours”, promet-il. Malgré sa bonne volonté, il pourrait avoir du mal face au feu nourri des critiques. Et il est obligé d’aller au débat, à la confrontation d’idées. Chose que l’intéressé a préféré esquiver lorsque, sur le plateau de l’émission Tayarat sur 2M, il a refusé d’avoir comme “invité – surprise” un certain Abdelkrim Belguendouz. En tout état de cause, le CSCME est né dans la douleur et la contestation. Il a quatre ans pour tenter de répondre à cette double question : de quoi sera fait l’avenir de la représentation politique des MRE ? Déjà exclus du Parlement, les émigrés marocains pourront-ils, comme le veut le roi, être représentés par un Conseil élu ?
Représentativité : Un fauteuil pour trois
La communauté marocaine à l’étranger est théoriquement représentée, quant à la défense de ses intérêts, par trois instances :
• La Fondation Hassan II : Instituée par un dahir de juillet 1990, elle est entièrement dédiée aux MRE. Depuis 1996, elle est présidée par Lalla Meriem et Omar Azziman en est actuellement le président délégué. Ses champs d’action sont la culture, le social et l’économie. Mais elle échappe au contrôle du gouvernement (notamment en termes budgétaires) et n’a aucune valeur représentative.
• Le ministère des MRE : Créé en 1990, le ministère des MRE a tour à tour dépendu de la primature ou des Affaires étrangères. Mais il est toujours resté une coquille vide. Sous Youssoufi, il a même disparu pour devenir un sous-secrétariat d’Etat. Prudente, l’ancienne ministre déléguée, Nezha Chekrouni, nous a confié “qu’il faut trouver un meilleur moyen de coordination entre les différents acteurs de la question des MRE”.
• Le CSCME : Le nouveau Conseil est né des recommandations de l’Instance équité et réconciliation (IER), formulées en 2005. Trois discours royaux se sont succédé depuis. En novembre 2005, le roi explique la nécessaire représentation des MRE au Parlement. Le 6 novembre 2006, il confie au CCDH la mission de formuler des propositions pour la création d’un conseil représentatif. Et en novembre 2007, le CSCME voit le jour. Il doit remplacer le système préexistant des « amicales », qui réunissent des associations souvent noyautées par les sécuritaires.
TelQuel - Souleïman Bencheikh