« Le cinéma marocain rabâche, au cours de ces dernières années, les mêmes histoires », s’exclame un jeune cinéphile marocain.
« Après le thème de la femme, on nous sert aujourd’hui celui de l’émigration clandestine et des droits de l’Homme. Comme si ce sont ceux-là les uniques problèmes que connaît le pays ! », ajoute-t-il avec un ton sarcastique. En fait, l’on constate, récemment, une récurrence de certains thèmes dans les films marocains. Dans un premier temps, les cinéastes marocains avaient puisé ( et épuisé ) leurs sujets dans le combat que menaient les femmes pour l’évolution de leurs droits et pour l’éradications de toutes les formes de discrimination à leurs égards. Désormais chose acquise, ou à moitié acquise, surtout avec l’entrée en vigueur de la nouvelle mouture de la Moudawana, il fallait passer à autres choses. Il fallait aller sonder d’autres terrains encore vierges. Après, entre autres, « Jugement d’une femme » de Hassan Benjelloun, « Tresses » de Jillali Ferhati, « Destin de femme » de Hakim Noury, « Femmes et femmes » de Saâd Chraïbi, « Histoire d’une rose » de Abdelmajid R’chich et
« Ruses de femmes » de Farida Belyazid, le thème de la femme a été traité sous toutes les coutures dans les productions cinématographiques marocaines. La période comprenant la fin des années 1990 et le début du 21ième siècle a ouvert la voie à d’autres problématiques. Cette fois-ci, nos réalisateurs ont jeté leurs dévolus principalement sur deux sujets : l’émigration clandestine et les droits de l’Homme. La production s’est penchée sur ces deux créneaux pour porter sur grand écran des films comme : « Jawhara » de Saâd Chraïbi, « La chambre noire » de Hassan Benjelloun, « Mémoire en détention » de Jillali Ferhati, « M ille mois » de Faouzi Bensaïdi, « Taïf Nizar » de Kamal Kamal, « Les années de l’exil » de Nabil Lahlou, « Le paradis des pauvres » de Imane Mesbahi, « Et après » et « Ici et là » de Mohamed Ismail. La prédominance de ces thèmes dans la filmographie nationale est loin d’être le fruit d’une certaine concertation entre nos cinéastes. Les raisons de cette récurrence, il faut aller les chercher ailleurs. En tournant un film avec une aide financière de la part d’un pays étranger, en l’occurrence la France ou l’Espagne, le producteur doit se plier à certaines exigences imposées par les bailleurs de fonds. À ce soutien en pièces sonnantes et trébuchantes étrangères, le réalisateur marocain doit avancer, quant à lui, une contrepartie. « Pour bénéficier d’une subvention de la part d’un pays européen, il faut, de prime abord, avoir un scénario traitant d’un sujet qui plaira à ce pays-là. Un film parlant des droits de l’Homme ou de l’émigration clandestine arrivera à décrocher plus facilement une aide financière, vu le contexte national et international », explique Mohamed Alioui, un observateur de la scène du septième art marocain. Pour mettre tous les atouts de leurs côtés, ces réalisateurs se retrouvent en train de « faire des films marocains avec un traitement qui n’est pas le nôtre ». « Le soutien financier des pays étrangers aux productions cinématographiques nationales est un cadeau empoisonné. Comment peut-on parler de films marocains quand ces derniers véhiculent les thèses et les idées des bailleurs de fonds ? » s’interroge-t-il. Mais, il ne suffit pas uniquement de se limiter aux droits de l’Homme et à l’émigration clandestine pour toucher des euros, il faut encore faire appel à des Européens dans ces productions. « En plus du sujet du film, on impose au réalisateur de faire travailler avec lui un chef opérateur étranger, un ingénieur de son…le générique de ces films est à ce titre éloquent. Bref, c’est une manière de dépenser cette aide financière sur le territoire même du pays donateur ! », fait remarquer Mohamed Alioui.
Au niveau thématique, la production cinématographique continue à emprunter le même chemin. Les réalisateurs qui préfèrent fuir les sentiers battus sont rares. Et ce n’est pas les idées qui manquent. Le succès de « À Casablanca, les anges ne volent pas » est dû en partie à l’originalité de l’histoire. S’obstiner à traiter le même thème ne servirait guère au développement d’un cinéma marocain varié, répondant à tous les goûts.
Atika Haimoud - Aujourd’hui le Maroc