Les femmes marocaines continuent de subir en silence des violences sexuelles. Le sujet est presque tabou au Maroc, mais la parole se libère de plus en plus.
Quand elle veut dire que c’est à la fois ceci et cela, elle dit : « C’est tout le package. » « Ce qui fait qu’on me respecte, c’est ma façon de parler, ma manière de m’habiller. C’est tout le package. » Avec son chignon et sa frange en diagonale, un noir charbonneux tiré haut sur la paupière, Fatim Zahra, 22 ans, ressemble à Audrey Hepburn. Elle se tient bien droite, elle est vive et décidée.
Six jours sur sept, de quarante à quarante-huit heures par semaine, Fatim passe des coups de fil, un casque sur les oreilles. Elle n’est pas représentative de la jeunesse marocaine, pas même de toutes les filles qui travaillent dans les centres d’appels ; seulement de ces citadines qui ont gagné un peu d’indépendance avec un métier relativement bien payé. Son travail lui a donné confiance en elle. « Parce que j’ai toujours été à l’objectif. » Celui du nombre quotidien de boules à lessive ou de cartes de fidélité vendues par téléphone à des Français. Depuis « un an et trois mois », elle travaille chez Webhelp, à Rabat, un sous-traitant français gérant les appels de fournisseurs d’accès à Internet ou de magasins de vente par correspondance.
« Pistonné »
Il y a un an, Webhelp employait 1 850 salariés. Il en compte aujourd’hui 3 500 au Maroc, 60 % de filles, de 20 à 26 ans surtout, de niveau bac à bac + 4. Le métier est pénible, les pauses régentées, les communications écoutées et analysées. Mais pour limiter le turnover (25 % par an), Webhelp joue les patrons modèles, assurant des prestations qui n’ont rien d’habituel : une crèche, un centre de soins, une mutuelle.
Fatim, tout juste promue superviseur, s’estime chanceuse parce que dans la boîte de l’autre côté de la rue, « les téléopérateurs n’ont pas le droit à l’ascenseur, réservé aux superviseurs » . Sa chance, c’est surtout de gagner plus que le Smic marocain (1 800 dirhams - 180 euros - mensuels pour quarante-quatre heures par semaine). Webhelp paie un débutant 3 200 dirhams (320 euros), auxquels s’ajoutent primes d’assiduité, de comportement, de résultats…
La jeune femme a un bac en sciences expérimentales et un Deug d’économie. « Je pensais que le centre d’appels, c’était juste pour les vacances. A la fin de l’été, je me suis dit que je n’allais peut-être pas réussir ma licence, que le salaire était vraiment pas mal. Et puis la fonction publique, avec la licence, c’est pas possible, il faut être pistonné, c’est grave. »
Quand on parle de l’indépendance gagnée, elle répond d’abord : « C’est sûr, je peux aider mes parents. » Son père est chauffeur de bus, sa mère ne travaille pas. Elle vit chez eux. « Mais je peux sortir la nuit… » En réalité, elle va en boîte à Rabat une fois par mois. Sur les deux jeans de marque et les sandales qu’elle vient d’acheter, elle avoue : « J’ai un peu exagéré. » Depuis le dernier ramadan, Fatim sortait avec un garçon. Il l’a quittée, elle affirme s’en moquer. Elle en a parlé qu’à sa mère. Travailler, gagner un salaire, « ça change tout vis-à-vis des garçons. Ça change la manière dont tu parles, dont tu t’habilles. Ils se disent : C’est quelqu’un de cultivé. »
Choucroute
Vendredi, « bien sûr que je voterai aux législatives. C’est important pour le développement de notre pays. » Elle ne dira pas pour quel parti.
Fatim, c’est aussi le portrait qu’elle fait, par téléphone interposé, des Français . « Chaque client, c’est comme si tu vivais avec lui. » Une vie commune qui a commencé avec le Guide du parfait francophile distribué aux nouvelles recrues. Où l’on parle de la choucroute d’Alsace, de l’Epiphanie et du RMI. Où l’on explique le sens de l’expression « j’espère que ça va faire avancer le schmilblick » . Quand elle téléphone, Fatim n’a pas le droit de dire qu’elle est marocaine. Elle se présente : « Bonjour, je m’appelle Sophie. »
Ce qui la frappe surtout, c’est le nombre de fois où elle tombe sur un enfant qui lui dit que ses parents sont absents . « Je trouve que les Français travaillent beaucoup. » Mais quand on lui dit qu’en France, la durée de travail légale est de trente-cinq heures, elle est soudain désorientée. Ça n’était probablement pas précisé dans le Guide du parfait francophile.
Libération.fr - Sonya Faure
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